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– C’est madame de Beaufort qui a dit cela?

– Qu’importe! si elle a dit vrai.

– Madame de Beaufort s’est trompée.

– Comment?

– Il est possible qu’elle eût agi ainsi, elle, si elle se fût trouvée dans la dure position de miss Stevenson; mais vous n’avez plus de semblables dangers à redouter.

– Que signifie?

– Cela signifie qu’avant de m’éloigner j’aurai écarté de vous toute appréhension pour l’avenir.

M. de Beaufort regarda son enfant avec un profond étonnement, cherchant à comprendre le sens ambigu des paroles qu’elle venait de prononcer.

Edmée s’était dirigée vers un petit meuble de Boule placé entre les deux fenêtres de la chambre et elle venait d’en ouvrir un des tiroirs.

– Que fais-tu? interrogea avidement M. de Beaufort.

Edmée se retourna tristement, souriante, vers son père. Elle tenait à la main une enveloppe qu’elle venait de retirer du meuble de Boule et qu’elle lui présenta d’un geste attendri.

– Il y a sous cette enveloppe, dit-elle, deux documents importants qui pouvaient menacer la sécurité de madame de Beaufort et la vôtre: miss Stevenson cédant à ma prière, a bien voulu me les remettre, approuvant d’avance l’usage que j’en comptais faire. L’un de ces documents est la copie authentique de l’acte aux termes duquel M. le comte de Simier s’est uni en mariage à miss Fanny Stevenson et madame de Beaufort pourra le détruire elle-même. Quant à l’autre…

– L’autre?… répéta M. de Beaufort d’un ton anxieux.

– C’est mon acte de naissance à moi!

– Que dis-tu?

– Et vous jugerez s’il ne vous convient pas de le détruire également, pour être bien sûr qu’il ne reste plus aucun vestige du passé!

M, de Beaufort eut un cri douloureux et se cacha le front dans les deux mains.

– Cruelle enfant! balbutia-t-il d’un accent brisé. Que t’ai-je donc fait pour me torturer ainsi sans pitié?

– Mon père! mon père! supplia Edmée.

– Tu ne veux donc plus que je t’appelle ma fille?

– Je n’ai pas dit cela.

– Tu as oublié en un jour l’amour dont j’ai entouré ton enfance; tu veux m’abandonner, me laisser seul, maintenant que je suis vieux et las de la vie. Tu veux que je meure dans l’isolement et le désespoir!

– Ne le croyez pas!

– Ah! tu me fais payer bien cher une faute que je voudrais racheter au prix de tout mon sang…

– Pardonnez-moi!

– Me quitter, toi! poursuivit M. de Beaufort, toi, qui es ma seule consolation, et que j’aimais de tous mes regrets, et de tous mes remords du passé. Ce châtiment manquait à mon supplice, et c’est ma fille… mon Edmée…

La pauvre enfant se jeta éperdue dans les bras de son père.

Jamais elle n’avait surpris une telle douleur sur ses traits, et elle en était épouvantée.

Elle le serra follement contre son cœur.

– Non! non, dit-elle, ne pleurez plus, je vous en conjure. Écoutez. Je ferai ce que vous voudrez. Je n’aurai d’autre volonté que la vôtre… Par pitié, ordonnez! dites ce qu’il faut que je fasse; j’aimais miss Stevenson pour tout ce qu’elle a souffert. Eh bien, je ne la verrai plus… Est-ce là ce que vous voulez!… Gaston est le premier homme auquel j’ai rêvé de confier le bonheur de toute ma vie, c’est le seul que j’aimerai jamais… dites un mot, mon père, et je vous jure que je ne prononcerai plus son nom devant vous. Ces deux sacrifices, je vous les offrirai comme preuve de mon affection. Qu’importe que j’en meure! pourvu que j’assure ainsi votre sécurité, et que je vous voie heureux… Je retournerai au cloître… le monde m’y oubliera… Gaston lui-même finira par aimer une autre femme!… tout!… je consens à tout, entendez-vous bien… pourvu que vous me regardiez comme autrefois et que je ne voie plus de larmes dans vos yeux, mon père!… Ah! répondez-moi au moins… et dites-moi que vous êtes content de votre enfant!…

M. de Beaufort était incapable de répondre: les pleurs l’aveuglaient; sa gorge serrée était étouffée de sanglots. Jamais il n’avait éprouvé une plus poignante émotion.

Enfin, il secoua la tête avec force, prit la tête d’Edmée dans ses mains, enfonça ses doigts frémissants dans les flots de sa chevelure opulente, et l’embrassa à diverses reprises avec des transports de joie.

– Tais-toi! tais-toi!… dit-il d’un accent plein de désordre. Tu es ma fille, mon enfant adorée… et je mourrais plutôt que de porter atteinte à ton bonheur!… Je verrai Gaston… il est digne de toi et de l’amour que tu as conçu pour lui… Laisse-moi faire… Aie confiance en mon affection, et je jure Dieu que rien ne viendra plus menacer le bonheur que tu as si bien mérité.

Qu’ajouter à ce qui précède? Quelques lignes seulement.

Un mois plus tard, Gaston de Pradelle, complètement rétabli, épousait mademoiselle Edmée Stevenson, et les deux jeunes époux partaient pour l’Italie, où ils allaient promener leur rêve de bonheur.

Ils devaient y retrouver Mariette et Maxime, qui les y avaient précédés et qui leur avaient donné rendez-vous à Venise.

Mais Gaston et Edmée n’allèrent pas jusque-là.

Ils avaient trouvé sur leur chemin, à quelque distance de Menton, une jolie petite villa, enfermée sous les arbres, en face du splendide panorama de la Méditerranée, et ils s’étaient arrêtés dans ce nid charmant que le hasard leur présentait.

Ils y restèrent toute la saison.

Ils étaient heureux autant que deux créatures humaines peuvent l’être en ce monde, et nous n’avons qu’à fermer le livre sur ce dernier chapitre de leurs amours.

Quant à miss Fanny Stevenson, on ne la vit plus que de loin en loin.

Elle ne demandait qu’à voir sa fille heureuse, et chaque fois qu’elle vint la trouver, soit à Nice, soit à Paris, elle emporta la certitude de son bonheur.

Que lui fallait-il de plus?…

La haine s’était éteinte peu à peu dans son cœur.

Elle avait appris que le comte de Simier n’était pas aussi coupable qu’elle l’avait pu croire…

Après l’avoir abandonnée, le remords l’avait pris, et il était revenu pour réparer autant que possible le mal qu’il avait fait.

Mais à Québec, comme à Smeaton, personne ne put lui donner des nouvelles de Fanny.

Elle avait disparu… et son père faisait bonne garde autour du phare.

L’enfant seule restait, et il l’avait emportée…

D’ailleurs, à quoi bon revenir sur ce passé cruel?…

Fanny Stevenson consentait à tout oublier depuis qu’elle ne se sentait plus menacée, et elle avait pardonné, depuis que le bonheur de son enfant ne pouvait plus être troublé.

Toutes les mères lui donneront raison!…

Fin.

(1882)

[1] Le chapitre XII n’existe pas dans l’édition papier utilisée pour la présente édition. (Note du correcteur – ELG.)