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Je n’ai pas à manipuler le heurtoir gros comme le tympan du bourdon de la cathédrale of Chartres. Déjà l’huis s’écarte comme mû par le déclenchement d’une cellule électrique. Un homme en kilt à carreaux vert et rouge, chemise blanche à jabot, veste de velours noir, se tient dans l’encadrement. Il est grand, grisonnant, pâle.

— Qui êtes-vous ? jette-t-il rudement.

— Je suis un officier de police français délégué au Z.O.B.[6] et il est indispensable que nous ayons, mon collègue et moi, un entretien avec le général Mac Heuflask.

Le maître d’hôtel reste d’une impassibilité marmoréenne.

— Il est probable que sir Mac Heuflask voudra savoir ce qu’est le « Z.O.B. », dit-il d’une voix qui lui tombe de la bouche comme la musique coule d’un haut-parleur.

Je tripote mon nœud de cravate, à la recherche d’une définition qui soit éloquente pour le général sans pour autant mettre l’oreille à la puce de son personnel.

— Eh bien, dites à sir Mac Heuflask qu’il s’agit là d’un organisme international chargé d’enquêter à propos de certains méfaits dont sont victimes de hautes personnalités.

— Un instant, je vous prie…

Le personnage grave s’éloigne, nous plantant délibérément sur le perron. Son absence est brève.

Lorsqu’il réapparaît, il déclare, imperturbable :

— Sir Mac Heuflask accepte de répondre à vos questions.

— Trop aimable à lui.

— Ce sera dix livres de l’heure !

Les brabançonnes (musique de Van Campenhout), les bramas sonnent, les bras m’en tombent. Je reste coït. Je me pétrifie.

— Qu’est-ce y arrive ? jette le Sagace que ma stupeur inquiète.

— Le général réclame du pognon pour répondre à nos questions, traduis-je. T’as déjà entendu parler d’un machin de ce genre, toi ?

Tempête béruréenne ! En pas dix secondes il est au noir de la fureur, départ arrêté.

— Quoi ! Sans charre ! On vient de l’aut’ bout de la planète pour s’intéresser au lézard de monsieur et faudrait lui attriquer de la fraîche pour qu’il parlasse ! Pépère s’est laissé désamidonner le bigorneau et il voudrait en tirer profit ! Envoye-le aux fraises, San A. Qu’il aille se faire foutre puisque c’est tout ce qu’y peut s’permettre doré-de-l’avant.

Le larbin écossais toussote contre ses ongles et hasarde :

— Je me permets de vous faire observer que sir Mac Heuflask est écossais. En outre, il parle couramment le français et je suppose qu’il consentirait à s’entretenir avec vous dans cette langue sans majoration de ses tarifs.

— Bon, on se brise ? fulmine Béru.

Je souris.

— Non, Gros. Un zig pareil, je veux me le payer, serait-ce de mes propres deniers. Parfait, déclaré-je au domestique, j’accepte les conditions du général.

— En ce cas, veuillez me suivre !

Nous traversons un vaste hall garni de tapisseries tricotées main qui toutes représentent des scènes de batailles. L’intérieur de ce château est de style gothique. Les boiseries ressemblent à la signature de Mathieu.

L’homme au kilt pousse une porte sculptée. Un bureau-bibliothèque s’offre à nous. La pièce baigne dans une grisaille morne à cause des volets fermés. Un vrai décor pour film d’épouvante. On s’attend à voir pivoter des panneaux et surgir des fantômes en costard grand siècle.

Notre guide désigne deux fauteuils, puis il va au bureau monumental dont les pieds sont des affûts de canon et actionne une lampe à abat-jour de parchemin. La lumière qu’elle diffuse est très chiche, très triste, mais suffisante cependant pour nous découvrir les curieuses photographies tapissant les murs. Il s’agit d’images pornos représentant des dames et des messieurs occupés à se divertir avec les moyens que la nature leur a fournis.

Alexandre-Benoît en est ébloui.

— De dieu ! brame-t-il, ce carnaval de miches ! Non mais mords un peu ce défilé, Sana ! Ces aubépines en flirt ! Charogne ! T’as maté le comment elle se tient, la grosse rouquine, là à droite ? Doit être femme-serpent dans le civil, c’te doudoune ! Dis, oh, hé, dis : regarde le petit crevard coiffé à la Georges Bidault, comment il est baraqué du popof ! Quéqu’un qui le rencontrerait fringué s’imaginerait pas qu’il trimbale une pareille lance d’arrosage, hein ? Et la belle brune, ici ? C’te boîte à lettres à moustaches, dedieu, dedieu ! Tu diras ce que je voudrai, mais la couleur y a que ça. Du temps qu’on travaillait les rotismes en noir et blanc, y f’saient malsains ! Maintenant, ça planture ! T’en mangerais !

Le maître d’hôtel (dans ce temple du vice ce serait plutôt un maître d’autel) attend la fin du lyrisme béruréen. Comme cette fin tarde, il claque des doigts.

— Si vous voulez bien régler une heure d’avance, me dit-il.

Je sors deux fafs de cinq livres de ma profonde et tends au bonhomme deux Elisabeth queen qui sentent les pieds de facteur (les billets de banque anglais usagés sentent tous les pieds de facteur). Le kiltman rafle les banknotes, les glisse dans la bourse garnie de poils de chmurkpouf qui se balance devant ses claouis et soupire en s’asseyant :

— Well, gentlemen, je vous écoute, car je suis le général Mac Heuflask.

Tout en confessant ce surprenant secret, il remonte un réveille-matin posé sur son bureau.

Je décide d’extirper de moi tout sentiment de surprise et de me cuirasser contre l’étonnement. Ici, il faut lâcher du fil à la réalité ; se laisser porter par la fantaisie.

— Ravi de vous connaître, balle-but-siège.

Alexandre-Benoît se lève et court à notre hôte.

— Permettez que je condoléance, mon général ? fait le Gros en lui tendant la main. Je me gaffe de ce que vous devez ressentir ! Zifolette en cale sèche, c’est le bout de la nuit ! Mais dès lors que vous déconnectez du bec verseur, pourquoi gardez-vous ces photos pornings qui doivent vous faire trépigner les regrets ?

Sir Mac Heuflask hausse les épaules.

— J’essaie de me stimuler, dit-il, car j’espère encore…

— Et v’ s’avez grandement raison, mon vieux, déclare le Véhément. Après tout, votre appareillage est au complet, hein ? Un court-jus, ça se répare.

— Tu permets, interviens-je, j’aimerais que nous procédions par ordre.

Il est d’une dignité qui force l’admiration, le général. Beau visage… Yeux clairs ; teint brique, sourcils presque blancs, tempes grises, moustache drue, marquée de roux. Il n’est pas vaincu par l’adversité. Un combatif. L’énergie la plus farouche s’obstine en lui, comme la sève dans certains saules auxquels il ne reste plus que l’écorce.

— Mon général, attaqué-je (car il convient d’attaquer lorsqu’on a affaire à un officier de ce grade) je me doute que la conversation qui va suivre vous sera pénible…

— C’est pourquoi, je vous compte dix livres de l’heure, mon cher, riposte Mac Heuflask. L’existence est affaire de compensations et de sursis.

Il s’organise dans le désespoir, comme des naufragés sur une île déserte. C’est le Robinson Crusoé de l’impuissance.

— Cette conversation est indispensable, reprends-je. Si je m’en réfère aux rapports médicaux, vous fûtes la première personne atteinte par le fléau ?

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6

Z.O.B. : zoological operation for beatitude (appellation choisie par les chefs de police pour qualifier l’étrange brigade qui vient d’être instituée).