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On nous traduit l'inscription figurant sur le socle en dialecte malotrusien. C'est un poème qui dit à peu près ceci :

Il avait les pieds sur la terre, Il s'exprimait comme un pied Et il est parti les pieds devant Après nous avoir bien fait marcher. Que le Dieu Pu-Rodor l'accueille

… ce qui, convenez-en, ou allez en vitesse vous faire tirer des cartes de visite sur papier-chiotte, ne manque ni de lyrisme ni d'envolée. Et astucieux avec ça ! Il fait passer le coup des panards solitaires ; il les justifie, leur donne une démarche, si je puis dire, les immortalise. Dans la vie, quand on a fait une bêtise, au lieu de la déplorer, il faut la célébrer. La plupart des grandes découvertes ont pour origine une bévue. Souvent, une connerie réussie est plus profitable qu'une grande œuvre loupée.

Pointalaligne.

Le Palais Royal (en anglais, the Royal Palace) se dresse dans le fond de la place. Contrairement aux autres constructions qui sont en paille et en bois, lui est fait de briques et de brocs, c'est dire qu'on n'a pas lésiné sur les matériaux. C'est une bâtisse qui serait presque rectangulaire si elle n'était parfaitement ovale. Elle a la forme d'un carton à chapeau. Elle ne comporte aucune fenêtre, afin que la chaleur ne puisse pas pénétrer à l'intérieur et prend le jour par une immense verrière en dent de scie. Cette royale demeure ferait songer à une usine si des gardes en grande tenue ne montaient la faction près du vaste perron à l'envers qui descend jusqu'à la porte.

La Rolls s'arrête. Nous en descendons. En veine de pourliches, le Gros file une pièce au conducteur. Des soldats s'approchent, armés de lances d'apparat. Au commandement de leur chef qui hurle : Nombri… il ! les valeureux guerriers malotrasiens se plantent le manche de leur arme dans l'alvéole qui leur vrille l'abdomen. Car, dès leur plus jeune âge, les enfants sont sélectionnés pour devenir lanciers de la reine. On leur fait porter une ceinture-perce-nombril qui leur pratique, au fil des ans, une cavité d'environ vingt-cinq centimètres dans la panse. Cette cavité est gainée de cuir, et les lanciers défilent avec leur lance dans le bide, sans avoir besoin de la tenir, ce qui leur permet de jouer de la musique en même temps, de jongler avec des noix de coco ou de lire Le Monde[11].

Nous descaladons les marches du perron et passons un porche monumental, tendu de velours grenat, ce qui fait éminemment royal. En revanche, la porte est étrange. En acajou massif, elle s'orne de deux panneaux sur lesquels on lit :

« Buvez Coca-Cola glacé ». Aux dires de notre guide, cette porte fut offerte à la reine par les Américains, soucieux de remercier les Iles Malotrus de leur concours lors de la dernière guerre.

Le porche passé, sans crier gare (bien que nous en eussions fortement envie, vu l'ambiance) c'est la salle du Trône. Imaginez un immense local de cinquante-deux mètres sur trente-quatre, couvert de tapis et seulement meublé d'un trône gigantesque et de bornes kilométriques. Quand je vous assure que le trône est gigantesque, ne croyez pas que j'en remets, les mecs. Pour vous situer ses dimensions, laissez-moi vous dire qu'il comporte deux éléphants grandeur nature en guise d'accoudoirs. C'est autre chose que du Chippendale, croyez-moi ! Ces éléphants offrent la particularité d'être en ivoire et de posséder des défenses en or. Le dossier du formidable siège est également en or incrusté de pierreries. Les bornes disséminées dans la salle sont de véritables bornes servant de tabouret aux visiteurs. Elles font partie de la collection privée de la reine. Les îles Malotrus ne possèdent pratiquement pas de routes, et Kelbobaba est fascinée par les nationales d'autrui.

— Asseyez-vous, invite le messager, Sa Majesté ne va pas tarder.

Je pose mon dargif sur une borne indiquant « La Tour-du-Pin 8 km », tandis que Béru confie une partie du sien à une autre borne annonçant Birmingham à 3 miles.

En attendant la venue de la reine, je jette un œil fasciné aux murs couverts de panneaux indicateurs. Toujours la collection royale. On se croirait un peu dans les bureaux d'une autoécole. Il y a des interdictions de stationner, des sens uniques (en leur genre), des « stop », des sens interdits (je le suis aussi) ; des annonces de virage en Z, des panneaux pour pistes cyclables, des « fin d'interdiction de doubler », des convois exceptionnels, des danger, des rappel, des 80, des 100, des cassis, des chaussée rétrécie, des signaux sonores interdits, des hauteur limitée 3 m 5, des douane sur zoll, des intersections, des chaussées glissantes, des attention, verglas, des sens giratoire, des passages à niveaux gardés, des poids maximum autorisé et bien d'autres encore, dont j'avoue ignorer la signification, ce qui par l'étang qui court, peut me valoir le retrait du permis de conduire.

— Belle collection, hein ? exulte notre mentor, c'est li plue complète di tou li Pacifique.

— Superbe, admets-je.

— Li clou, poursuit notre aimable cicérone, ji crois qui c'est çui-là…

Il me montre un attention travaux très banal à première vue.

— Il vient d'une route di Corse, explique-t-il.

Soudain, il se pétrifie. Dans les profondeurs du palais, un chant vient d'éclater. Un hymne lent et emphatique, pompeux, caverneux, sirupeux, qui fait songer aux trente baignoires d'un hôtel de troisième ordre se vidant simultanément.

— Sa Majesté va apparaître, fait-il d'une voix recueillie (pour ne pas la laisser perdre).

Il se dresse et nous l'imitons. Il est tourné vers la porte du fond, à doubles battants dont chacun est illustré par une publicité des pneus Firestone. Des feux tricolores flanquent le chambranle. De rouges qu'ils étaient ils passent au vert. Deux esclaves qui seraient entièrement nus s'ils ne portaient l'un et l'autre un bracelet de cuir, ouvrent la porte en grand. Le chant se fait plus présent. Du fond d'une large galerie, nous voyons surgir un étrange cortège. Une vingtaine de gars habillés en pompistes avancent, à genoux, en psalmodiant le chant sacré de la Cour dont le titre est : « Prends ton fade, ô ma reine bien-aimée », et qui commence par ces célèbres paroles : « Si tu te la peignais en vert, on la prendrait pour un lézard ».

Derrière ce cortège de pompistes-choristes-pénitents, marche un groupe de jeunes filles vêtues de bleu, mais très légèrement puisque aussi bien elles ont la poitrine dénudée. Ce sont les vierges du palais, réservées depuis leur plus jeune âge aux notables. Et entièrement élevées à la farine Jacquemaire. Ensuite, une cohorte de guerriers dont le plus petit mesure au moins deux mètres coltine une espèce de litière voilée. Un vieillard chenu habillé de sa barbe blanche, marche à côté de la litière en portant le sceptre de Kelbobaba, pure merveille d'orfèvrerie puisqu'il représente précisément les trois orfèvres de la chanson, en train de célébrer la Saint-Eloi. Celui du bas glorifie la bonne, l'orfèvre intermédiaire s'occupe du chat, quant au troisième, espèce de glorieux Charlemagne qui domine la pyramide d'or et de rubis, il exhibe délibérément ses attributs et l'on peut lire, gravée en demi-cercle, la devise de la monarchie malotrusienne qui est, je vous le rappelle pour le cas où vous l'auriez oubliée : « Et ça c'est du Belge ? »[12].

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11

Comme son nom l'indique, Le Monde couvre la totalité de la Planète. Et, à cause de la typographie de son titre, la plupart des étrangers le prennent pour un journal allemand.

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12

Le grand-père de Kelbobaba était Congolais.