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— On n'a pas droit à un petit remontant ? s'inquiète Bébélune ; moi, avec vos conneries, j’ai fait ballon pour les liqueurs !

— Chez nous, ce n'est pas la coutume ! répond Nikola.

Et puis v'là le gnome qui semet à trépigner et à vitupérer en agitant le sceptre de la brave Kelbobaba, comme quoi ses gorilles lambinent et que si d'ici trois minutes nos deux tronches n'ont pas roulé dans le salpêtre de la grotte, il y aura d'autres têtes qui tomberont. Pour lors, les archers se grouillent. On dégage un fort billot du magasin aux accessoires. Le bourreau (qui est également buraliste à Obsénité-Atouva) s'empare d'une hache beaucoup trop polie pour être honnête dont, par excès de précaution, il affûte encore le fil avec une pierre.

Le billot, que je vous le raconte, est vachement perfectionné. Il paraît que son inventeur l'a fait breveter et qu'il va l'exposer l'an prochain au concours Lépine, c'est vous dire. Il est très large de diamètre et comporte deux petites anses de part et d'autre de sa tranche (c'est marrant pour un billot d'avoir une tranche, quand on y réfléchit). Ses anses sont munies de sangles en cuir auxquelles on attache les poignets du supplicié. De ce fait, le condamné est forcé d'étreindre le billot et d'avoir sa tête sur la partie plane. Astucieux, non ? Le bourreau peut prendre tout son temps pour assurer soc coup de hachoir.

Les horribles gorilles royaux forcent le Gros à s'agenouiller. Il essaie bien de regimber, mais il se soumet devant la loi du nombre.

— Salut, San-A. ! me lance-t-il d'une voix aussi unie et calme que celle qu'il prend pour me dire bonsoir avant de rentrer chez lui. Fallait bien qu'on tombe sur un os, un jour ou l'autre. Moi je me gaffais pas que notre circuit s'achèverait de cette manière, mais comme disait mon cousin Mathieu : « Que ça soye pour une chaude-lance ou une première communion, y'a toujours un cierge qui coule, pas vrai ? » On se sera payé du bon temps sur cette terre, Mec, et c'est ce donc à propos de cela qu'importe. Tchao ! Je t'en fais mettre une au frais en arrivant.

Et, là-dessus, le cher, le tendre, le bon, le brave (ô combien) Béru encercle le billot et y dépose sa bonne grosse bouille patinée par le beaujolais.

Mon regard est aveuglé par les larmes. Tout se brouille, les gars. Béru, le Mahousse, Bibendum, l'Affreux, va périr sous mes yeux effarés dans une poignée de secondes. Ma propre mort me paraîtra délectable après m'être farci un tel spectacle. Et tout est de ma faute. J'ai voulu épater le Vieux, jouer les Machiavel ! Faire du super-zèle alors qu'on ne me demandait rien ! Ah ! misère, si je pouvais me flanquer un dernier coup de pied occulte avant de disparaître. J'évoque, en un éclair, ma Félicie qui, en ce moment… Tiens, au fait, quelle heure est-il dans notre douce France ? Les fuseaux horaires tangotent dans mon esprit. J'arrive pas à situer m'man à la seconde présente.

C'est épouvantable. Béru, les poignets liés par ces sauvages… Il a la frime sur le rude bois. C'est du tek !

Un zig au torse nu, le Samson de la reine, assure le manche de la hache dans ses monstrueuses mains assassines. Doucement, avec d’infinies prévenances, il met le tranchant de l'arme sur le bout de cou du Gros (à force de galimafrer, il n'a presque plus de cou, Béru, sa tronche est posée sur ses épaules comme une courge sur un mur.)

J'ai la tête qui me tourne, mes amis. Tout bastringue. Je vois la terrible lame qui, lentement, se redresse, bien perpendiculaire a son terrible objectif. Elle monte sans frémir vers la voûte suintante, accaparant tous les reflets qui se sont fourvoyés en ce cul-de-basse-fosse. Le visage du bourreau est tendu, hermétique (on joue à bourreau fermé, quoi, c'est là que je voulais en venir).

Une fois à la verticale de l'homme, la hache reste en suspens. Et puis il y a un sifflement dominé par un hurlement de kamikazé (comme le sirop des Vosges). Un choc sourd, vibrant. Les larmes brouillant ma vue tombent. Je vois ! Je n'en reviens pas, ni personne, excepté Béru. Ah ! le gaillard ! Ah ! l'invincible ! An ! le rapide ! Comment un corps si embonpointé peut-il accomplir des gestes si fulgurants et si précis ?

Au moment où on lui liait ses poignets aux anses du billot, Pépère les a fait gonfler à l'extrême, c'est un truc connu des malfrats qui parfois font de même lorsqu'on leur passe le cabriolet. En outre, dans leur précipitation, les gardes houspillés par le barbu n'ont pas fait trente-six nœuds, si bien qu'à la toute dernière seconde, Grosse Pomme a tout fait péter d'une fabuleuse détente et la lame de la hache n'a fait que lui effleurer la joue.

Personne n'a eu le temps de concevoir qu'il est déjà debout, le bon taureau. D'une seule main il arrache la hache du billot et mouline comme un dingue.

Les tronches pleuvent autour de lui comme des noix fouettées par deux gaules. Il a une crise de dinguerie furieuse. Il hurle sa rage, sa survie, son obstination à se poursuivre, à Anvers et contre tous.

Il carnage à tout berzingue. Et rrran, et rran !

Moi, vous me connaissez ? Mes instants de stupeur ne sont jamais de longue durée. D'une double bourrade je me défais de mes gorilles affolés. Unissant mes efforts à ceux de mon hacheteur éventuel (car Béru n'a pas tellement l'habitude de manier la hache), je m'empare d'une gigantesque paire de tenailles et je décime additionnellement.

Ça tombe autour de nous. Mais nous ne perdons pas de temps à dénombrer les pertes de l'adversaire. Les bilans des batailles, comme ceux des maisons de commerce, ne se font pas en cours d'exercice. Notre objectif, c'est la lourde, point hautement stratégique. Ceux qui ne sont pas K.O. sont à plat ventre, ce qui les rend tout aussi faciles à enjamber. En moins de temps qu'il n'en faut à un discobole pour morfler une contre-danse en zone bleue, nous atteignons la porte, la refermons et la verrouillons. Cette première étape vers le salut franchie, nous nous accordons quelques instants pour respirer. Nous sommes haletants, mais radieux ! Croyez-moi, ou allez vous faire beurrer le trésor afin de mieux pouvoir utiliser les paratonnerres comme tabourets, mais j'ai envie de rire. Cette renversée quasi miraculeuse. Cette fantastique pirouette du destin.

— Des comme toi, Gros, m'époumoné-je, des comme toi…

— Je sais, m'interrompt-il charitablement. Et maintenant ?

Dans la grotte y a du sacré bigntz, je peux vous le dire. Ça remue-ménage sans ménagement. Et puis, brusquement, le silence se fait. Des coups d'une résonance particulière se mettent à vaser sur la porte. Un roulement précipité avec, par instant, des périodes de silence.

— Ils jouent du tambour ? s'ébahit le Gros.

— Non, mon pote, ils téléphonent !

— Qu'est-ce tu débloques ?

— La vérité, ils utilisent le tam-tam pour donner l'alerte, on ne va pas tarder à déguster des renforts…

— Alors magnons-nous !

Tout en répondant à cette invite, je continue de penser que nos peaux ne valent pas grand chose à l'heure où je mets sous presse ! D'abord parce que la peau de Blanc se déprécie à toute vibure aux jours de ces jours-ci, ensuite parce que nous nous trouvons dans le sous-sol d'un palais possédant une seule issue. De plus, quand bien même nous parviendrions à en sortir, n'oubliez pas que Merdabéru est une île perdue en plein Pacifique !

Néanmoins, notre tempérament combatif n'étant plus à vanter, nous jouons notre va-tout.

Pour commencer, c'est l’escalade des degrés très roides donnant accès au rez-de-chaussée. Ils furent taillés dans le roc et sont assez glissants.

Nous en avons escaladé les deux tiers lorsque des guerriers Matuvu[23] surgissent. Oh ! Oh ! des marches. Ils sont armés de lances qu'ils braquent dans notre direction. Comment passer outre ce rempart ? La hache trop courte du Gros est impuissante. Il ne peut que la balancer dans le tas, mais APRÈS ?

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23

Les plus sanguinaires des îles Malotrus, et aussi ceux qui ont la meilleure denture puisqu'ils mangent leur belle-mère le jour de leurs noces d'argent.