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— Pas si vite, sire, je t’en prie, répondit Everard.

— Tu combattras à nos côtés ? souffla Hipponicus.

— Eh bien, je suis un peu pris de court…» Quel piètre menteur je fais !

Créon gloussa. « Oh ! tu espérais t’amuser un peu, c’est cela ? Eh bien, vide ta bourse dans les meilleures maisons. Bois du bon vin tant qu’on en trouve encore et va voir les putains avant que l’arrivée des soldats ne fasse grimper leurs tarifs aussi haut que ceux de Théonis.

— Qui ça ? » demanda Everard.

Rictus d’Hipponicus. « Peu importe. Elle n’est pas à ta portée, ni à la mienne d’ailleurs. »

Zoilus piqua un fard. « Elle rejette les brutes qui viennent lui présenter un sac d’or, cracha-t-il. C’est elle qui choisit ses amants selon les caprices de ses désirs. »

Oh-ho ! songea Everard. Ainsi, notre haut fonctionnaire a des faiblesses humaines, lui aussi ? Mais évitons de lui causer de l’embarras. Je vais avoir assez de mal comme ça à orienter la discussion dans le sens qui m’intéresse. Des vers de Kipling lui revinrent en mémoire :

Quatre choses il est plus grandes que les autres : Les femmes et les chevaux, le pouvoir et la guerre. De toutes nous parlions, surtout de la dernière[8]

Il se tourna vers Hipponicus. « Pardonne-moi. J’aimerais combattre à tes côtés, mais, le temps que l’on m’enrôle, moi qui suis étranger, la bataille décisive sera sans doute finie. Et puis, de toute façon, je ne serais guère utile à votre cause. Je n’ai pas appris à me battre sur un cheval. »

Le marchand opina. « Et notre cause n’est pas la tienne, répondit-il avec pragmatisme. Je regrette que notre cité t’ait réservé un si mauvais accueil. Tu ferais mieux de partir demain, après-demain au plus tard.

— J’irai faire un tour en ville, parmi les métèques et les voyageurs, répondit Everard. Peut-être que l’un d’eux souhaitera embaucher un garde pour l’escorter jusqu’à son pays. La moitié du monde passe par la Bactriane, à ce que l’on dit. Si je trouve une personne venant d’un lieu que je n’ai encore jamais vu, cela sera parfait. » Depuis qu’il connaissait Hipponicus, il entretenait auprès de lui l’image d’un homme désireux de visiter le vaste monde et pas seulement d’échapper à la vindicte de sa tribu. De tels spécimens étaient monnaie courante en ce lieu et à cette époque.

« Tu ne verras aucun marchand venu de l’Orient, l’avertit Zoilus. Nos échanges avec eux se sont taris. »

Je le savais déjà. La Chine vit sous le joug de Qin Shi Huangdi, le Mao de son temps. Un homme totalement xénophobe. Et sa mort désormais toute proche sera suivie d’une période troublée avant l’avènement de la dynastie Han. Pendant ce temps, les Xiongnu et autres pillards nomades ravageront les terres par-delà la Grande Muraille… Il haussa les épaules. « Eh bien, je pourrai toujours partir pour l’Inde, l’Arabie ou l’Afrique, ou bien retourner en Europe pour voir Rome, l’Aréconie ou encore la Gaule. »

Les trois autres sursautèrent. « L’Aréconie ? » répéta Hipponicus.

Everard sentit son pouls battre plus fort. Il s’efforça de rester aussi détaché que lorsqu’il avait prononcé ce mot. « Vous n’en avez jamais entendu parler ? Peut-être connaissez-vous les Aréconiens sous un autre nom. On m’a parlé d’eux en Parthie, quand j’ai traversé ce pays, et ce n’était qu’un témoignage de deuxième ou de troisième main. J’ai cru comprendre qu’il s’agissait de marchands venus d’une lointaine contrée au nord-ouest. Ils m’avaient l’air intéressants.

— À quoi ressemblent-ils ? lui demanda Créon, qui ne semblait pas lui tenir rigueur de son refus de combattre.

— Ils ont une allure des plus étrange, m’a-t-on dit. Grands, minces et beaux comme des dieux, avec des cheveux noirs mais une peau d’albâtre et des yeux clairs ; et les hommes n’ont pas de barbe, leurs joues sont aussi lisses que celles d’une fille. »

Hipponicus fronça les sourcils puis secoua la tête. Zoilus se raidit. Créon frotta son menton hirsute et murmura : « Ces derniers mois, j’ai entendu parler de… Mais oui ! Cela ressemble à Théonis. Ne dit-on pas que les hommes de son entourage n’ont pas de barbe ? Sait-on vraiment de quel pays elle est originaire ? »

Hipponicus prit un air pensif. « Elle s’est établie en ville il y a environ un an, de façon plutôt discrète. Comme de bien entendu, elle a dû obtenir les permis et autorisations nécessaires. Mais cela ne lui a causé aucune difficulté, et il n’a filtré aucune rumeur à ce sujet. Un beau jour, elle faisait partie des courtisanes, et voilà. » Il partit d’un rire franc. « Je suppose qu’elle dispose d’un protecteur puissant qui prélève une partie de ses bénéfices. »

Everard sentit un frisson lui parcourir le cuir chevelu. Une courtisane d’élite, ouais, c’est la meilleure couverture pour une femme souhaitant avoir une totale liberté d’action dans ce milieu. Je m’en doutais un peu. Il esquissa un sourire. « Croyez-vous qu’elle accepterait de parler à un vagabond assez bien mis de sa personne ? s’enquit-il. Si elle a des parents ici, ou si elle-même est désireuse de quitter votre cité, eh bien, mon épée est à louer. »

Zoilus tapa du poing sur sa couche. « Non ! » s’écria-t-il. Les autres le fixèrent d’un air surpris. Il se ressaisit et lança à Everard d’une voix hostile : « Pourquoi t’intéresse-t-elle à ce point, toi qui avoues ne rien savoir ou presque de ces… Aréconiens, c’est cela ? Je m’étonne de voir un mercenaire endurci courir après un… une légende. »

Oh-ho ! j’ai touché un point sensible, dirait-on. Prudence ! Everard leva une main. « Je t’en prie, ce n’était qu’une idée en l’air. Inutile d’en faire toute une affaire. J’irai en ville dès demain pour tâcher d’obtenir d’autres informations. En attendant, sires, je pense que vous avez des questions plus importantes à traiter, n’est-ce pas ? »

Créon pinça les lèvres. « En effet. »

Néanmoins, Zoilus passa le reste de la soirée à jeter des regards inquisiteurs à Méandre l’Illyrien.

976 av. J.C.

Après avoir capturé les Exaltationnistes[9] le commando de la Patrouille gagna une île de la mer Égée pour faire le point et soigner les blessés. L’opération s’était déroulée conformément aux vœux d’Everard : sept ennemis capturés à bord du navire marchand phénicien et quatre scooters temporels détruits. Certes, trois membres de la bande s’étaient évanouis dans l’espace-temps avant qu’un rayon énergétique ait pu les frapper. Il n’aurait pas de repos tant que le dernier représentant de cette engeance ne serait pas capturé ou tué. Mais il n’en restait qu’une infime quantité en liberté, et aujourd’hui, il avait enfin – enfin ! – mis la main sur leur chef.

Merau Varagan s’éloigna de quelques pas, se dirigeant vers le bord de la falaise, et s’abîma dans la contemplation de la mer. Les Patrouilleurs ne tentèrent pas de le retenir – ils avaient passé un collier de neuro-induction autour du cou de chacun des prisonniers. Au premier geste suspect, il suffirait de presser un bouton pour le paralyser. Obéissant à une impulsion, Everard s’approcha de lui.

Sur l’eau bleu turquoise dansaient des gerbes d’écume d’un blanc éblouissant. Sous leurs pieds, les dictâmes embaumaient à la chaleur du soleil. La brise ébouriffait les cheveux de Varagan, les transformant en oriflamme d’obsidienne. Il s’était défait de sa robe trempée et se dressait tel une statue façonnée par la main de Phidias. Son visage évoquait lui aussi l’idéal d’une Hellade encore à naître, mais ses traits étaient un peu trop finement ciselés et il n’y avait rien d’apollinien dans ses grands yeux verts, ni sur ses lèvres rouge sang. Dionysiaque, oui, sans conteste…

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8

« The Ballad of the King’s Jest », traduction inédite. (N.d.T.)

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9

Voir « D’ivoire, de singes et de paons », op. cit. (N.d.T.)