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Pourrais-je l’ouvrir maintenant ? se demanda Eddie. L’ouvrir et entrer ? Il se dit que non. Pas encore, du moins. Mais il se sentait nettement plus optimiste sur ce plan-là qu’il ne l’avait été cinq minutes auparavant.

Soudain, les voix souterraines revinrent à la vie, mais en une cacophonie assourdissante. Eddie distingua celle de Benny Slightman le Jeune, hurlant le mot Dogan, il entendit sa propre mère lui crier que maintenant, pour couronner son long entraînement de perdant, il avait même fini par perdre jusqu’à sa femme, il y eut aussi cet homme (sans doute Elmer Chambers) disant à Jake qu’il avait perdu la tête, qu’il était devenu fou, qu’il faisait son Monsieur Lunatique[1]. D’autres voix se joignirent à celles-là, puis d’autres, et d’autres encore.

Henchick adressa un signe de tête brusque à ses compères. Ils se lâchèrent les mains. Au même moment, les voix venues d’en dessous s’interrompirent au beau milieu de leur babillage. Et Eddie ne fut pas surpris de constater que la porte recouvrait instantanément son air anonyme et anodin — comme n’importe quelle porte devant laquelle on passe dans la rue, sans même y prêter attention.

— Mais qu’est-ce que c’était que ça, au nom du ciel ? demanda Callahan en désignant les ténèbres d’un mouvement de la tête. Ce n’était pas comme ça, avant.

— D’après moi, la grotte est devenue folle, à cause de la secousse, ou bien de la disparition de la magie du cristal, répondit Henchick avec le plus grand calme. Ça n’a rien à voir avec notre affaire, de toute façon. Notre affaire, c’est cette porte.

Il jeta un œil en direction du sac de Callahan.

— Vous avez voyagé, autrefois.

— En effet, oui.

Les dents d’Henchick firent de nouveau une brève apparition. Eddie en conclut que, d’une certaine manière, ce vieux salaud aimait ça.

— Si on en juge par votre gunna, sai Callahan, vous n’avez plus le coup de main.

— Je dois avoir du mal à croire qu’on va réellement quelque part, répondit Callahan avec un sourire qui, comparé à celui d’Henchick, était bien pâle. Et j’ai pris de l’âge.

Ce à quoi Henchick répondit par un bruit grossier — fah !, ou quelque chose du genre.

— Henchick, intervint Roland, est-ce que vous savez ce qui a provoqué la secousse de ce matin ?

Le vieil homme tourna vers lui ses yeux d’un bleu passé mais toujours vif. Il hocha la tête. À l’entrée de la grotte, à l’extérieur, alignés le long du sentier en pente, environ trois douzaines de Manni attendaient patiemment.

— Un Rayon qui a lâché, c’est ce que nous pensons.

— C’est aussi mon avis, confirma Roland. Notre tâche devient de plus en plus désespérée. J’aimerais qu’on arrête les politesses, s’il vous sied. Palabrons comme il le faut, et collons-nous au travail.

Henchick lança à Roland un regard aussi froid qu’à Eddie, mais Roland ne cilla pas. Henchick fronça les sourcils, puis se détendit.

— Si fait, acquiesça-t-il. Comme tu voudras, Roland. Tu nous as rendu un fier service, à tous, Manni aussi bien qu’oublieux, et nous souhaitons à présent te rendre la pareille de notre mieux. La magie est toujours là, et bien là. Il suffira d’une étincelle. Cette étincelle, nous pouvons la produire, si fait, c’est simple comme commala. Ce que tu veux, tu l’obtiendras peut-être. D’un autre côté, il se peut aussi que nous nous retrouvions tous dans la clairière au bout du sentier. Ou bien dans les ténèbres. Comprends-tu ?

Roland acquiesça.

— Et veux-tu aller de l’avant ?

Pendant un instant, Roland se tint là, tête baissée, la main posée sur la crosse de son pistolet. Lorsqu’il releva les yeux, il souriait de son véritable sourire. Un beau sourire, fatigué, désespéré et dangereux. Et de la main gauche il décrivit ce double moulinet qui voulait dire : Allons-y.

CINQ

On posa les cercs à terre — avec précaution, car le sentier qui menait à ce que les Manni appelaient le Kra Kammen était étroit — pour en sortir le contenu. Des doigts aux ongles longs (les Manni n’étaient autorisés à se couper les ongles qu’une fois par an) se mirent à tapoter les aimants, produisant un bourdonnement strident qui donna à Jake l’impression qu’on lui débitait le cerveau au couteau. Cela lui rappela le carillon du vaadasch, et il se dit qu’il n’y avait là rien de surprenant, car ce carillon était le kammen.

— Qu’est-ce que ça veut dire, Kra Kammen ? demanda-t-il à Cantab. La Maison des Cloches ?

— La Maison des Fantômes, répondit ce dernier sans lever les yeux de la chaîne qu’il déroulait. Laisse-moi tranquille, Jake. C’est délicat, ce que j’ai à faire.

Jake ne voyait pas en quoi, mais il s’exécuta. Roland, Eddie et Callahan se tenaient juste à l’entrée de la grotte. Jake les y rejoignit. Pendant ce temps, Henchick avait placé les autres membres du groupe en demi-cercle à l’arrière de la porte. L’avant, avec ses hiéroglyphes gravés et son bouton en cristal, demeurait sans surveillance, du moins pour l’instant.

Le vieil homme se rendit à l’entrée de la grotte, échangea brièvement quelques mots avec Cantab, puis fit signe à la chaîne de Manni qui attendaient sur le chemin de remonter. Lorsque l’homme de tête atteignit l’entrée de la grotte, Henchick lui dit de s’arrêter et rejoignit Roland. Il s’agenouilla et, d’un geste, invita le Pistolero à faire de même.

Le sol de la grotte était tapissé de poussière. Elle provenait en partie des rochers, mais il s’agissait surtout de poudre d’os, issue de squelettes de petits animaux assez inconscients pour s’être aventurés ici. À l’aide de son ongle, Henchick dessina sur le sol un rectangle, ouvert au fond, puis un demi-cercle qui l’entourait.

— La porte, commenta-t-il. Et les hommes de mon kra. Tu intuites ?

Roland fit oui de la tête.

— Vous et vos amis, vous fermerez le cercle, dit-il en achevant le dessin.

— Le garçon est fort, avec le shining, ajouta Henchick en jetant un regard si soudain en direction de Jake que ce dernier sursauta.

— Oui.

— Alors nous le positionnerons directement en face de la porte, mais assez loin pour que, si jamais elle s’ouvre violemment — ce qui est probable —, elle ne le décapite pas au passage. Pourras-tu tenir, mon garçon ?

— Oui, à moins que Roland et vous ne pensiez autrement, répondit Jake.

— Tu ressentiras quelque chose, à l’intérieur de ta tête — comme si on t’aspirait la cervelle. Ce ne sera pas agréable — il marqua un temps d’arrêt — vous voulez ouvrir la porte deux fois ?

— Oui, répondit Roland. Duox.

Eddie savait que la seconde fois, ce serait pour Calvin Tower, et il avait perdu tout intérêt pour le propriétaire de la librairie. L’homme avait du courage, c’est vrai. Eddie était prêt à le croire, mais il savait qu’il était aussi intéressé, borné et uniquement préoccupé de ses propres affaires : le parfait New-Yorkais du XXe siècle, pour résumer. Mais la dernière personne à avoir passé cette porte était Suze et à la seconde où elle s’ouvrirait, il avait bien l’intention de se précipiter. Si elle se rouvrait ensuite sur la petite ville du Maine où Calvin Tower et son ami, Aaron Deepneau, étaient allés se terrer, splendide ! S’ils devaient tous atterrir là-bas, à essayer de protéger Tower et d’acquérir certain terrain vague et certaine rose sauvage, magnifique ! La priorité d’Eddie, c’était Susannah. Tout le reste était secondaire.

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1

En français dans le texte. (N.d.T.)