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Il réapparaît en refermant l’encolure de sa braguette.

— Tu ne tires jamais la chasse après usage, Gros ? m’informé-je.

Il hausse les épaules et retourne accomplir la manœuvre omise en maugréant :

— Ces aristos qui pointillent sur tout, bordel ! Ah ! av’c eux, faut pas s’manquer, qu’aussitôt y vous reprendent ! Si y croivent qu’on en avait une, d’chasse, à la ferme ! Les chiches étaient dans une cabane au fond du jardin, et les noyes d’hiver, quand la cagate vous bichait, on bédolait dans des pots d’chamb’ !

Il revient, m’agresse délibérément :

— Faut p’t-êt’ que j’vais me laver les pognes pour êt’ conforme à Môssieur ?

— Je n’oserais jamais te demander un sacrifice aussi grand !

— C’t’encore heureux. Où est le négro ?

Là, je m’emporte, sans m’être empaqueté :

— Tu nous cours, avec ton racisme primaire ! Pour qui te prends-tu, Sac à graisse ? Jérémie est plus clair que toi car il se lave, lui. Le vrai nègre, c’est tézigue, cradingue comme une poubelle !

Interloqué, il cherche un trait. N’en trouve pas.

— Bon, d’accord : c’t’un blondinet, grince-t-il. Un sou neuf ! un Suédois ! N’en attendant, moi, je vais claper. Quand j’m’ai essoré la bosaille, n’aussitôt ensute, j’ai les crocs ! Si t’aurais b’soin d’moi pour élucider un aut’ cauch’mar, j’s’rai à la Maison Pébroquemuche en début d’aprème.

Il voudrait me gratifier d’un pet avant de partir, histoire de parapher sa rogne. Mais il a beau se pencher de côté et soulever la jambe droite, rien ne lui vient, pas même une obscure promesse, aussi est-ce un homme amoindri qui se retire.

Bon vent[2] !

Demeuré seul, je quitte la chambre afin de fouinasser dans l’appartement. Je me sais par cœur, aussi interprété-je mon obstination à m’attarder sur les lieux comme la marque de mon instinct flicard. Un confus quelque chose inidentifiable m’incite à occuper le terrain. Je visite tour à tour, le living, puis le bureau, l’autre chambre (dite d’amis) qui ne m’a pas l’air de servir beaucoup ; pour finir je me rends dans la cuisine. Tout est en ordre, impec. Pas le moindre ustensile qui traîne. Ça sent le spray citronné. Dans l’office se trouve une porte de service qui ne doit pas servir beaucoup car elle est blindée, munie de verrous et de serrures de sécurité dont les clés sont absentes. Sans doute débouche-t-elle sur un escalier réservé aux fournisseurs et au personnel de maison. Voilà que j’entreprends cette méchante lourde, tirant les verrous et m’expliquant avec les serrures. Je fais toucher les deux épaules à celle du haut et m’accroupis pour avoir une conversation sérieuse avec celle du bas.

C’est alors que je découvre un tout petit quelque chose, insignifiant en apparence, mais qui me perplexite à mort. Il s’agit d’un brin de laine blanche de trois ou quatre centimètres de long. Une aurore boréale se lève dans mon âme. Brin de laine égale tapis, non ? Et si les « déménageurs de la nuit » étaient passés par là ? L’escadrin doit déboucher sur la petite rue perpendiculaire au quai où leurs macabres manœuvres risquaient moins d’attirer l’attention.

J’achève de débonder et la porte s’ouvre. L’escadrin est en béton. Des appliques fonctionnelles l’éclairent lorsqu’on actionne la minuterie. Une rampe sommaire, en fer. Je dévale les deux étages. La porte du bas, vitrée dans sa partie supérieure, mais pourvue d’une forte grille est également fermée à clé. Inutile de fatiguer mon petit sésame sur elle, je constate qu’elle débouche sur le quai, à une vingtaine de mètres de la grande porte. Donc, le problo reste entier, concernant les risques de ce déménagement nocturne.

Vaguement dépité, je regagne le logis des Lassale-Lathuile. Jérémie est de retour et m’attend sagement dans une bergère du hall. Il s’est coiffé d’un écouteur de talkie-walkie qui aplatit sa tignasse crépue, et dodeline du chef au rythme de la musique. Rien de plus con à voir qu’un mec savourant des sons que tu ne perçois pas.

— C’est beau ? hurlé-je.

Il se dégage les éventails à bengalis.

— Michael Jackson ? je questionne en montrant son bousin.

— Non, la Messe en ré de Beethoven ! Superbe ! Il y a une profondeur, là-dedans, qui me noue les tripes.

Il replie gentiment son petit matériel de mélomane.

— Tu as eu les renseignements que je voulais ? lui demandé-je.

— Oui, et davantage encore.

Je me laisse tomber à son côté. C’est curieux que nous soyons là, tous deux, assis dans l’entrée de ce logement, comme chez un médecin, à attendre notre tour.

— C’est la concierge qui assure le ménage, et c’est elle que tu as eue au téléphone, ce matin. Lorsqu’elle est montée, Mme Lassale-Lathuile n’était plus ici. Elle devait rejoindre son mari et partir avec lui pour l’Indonésie. Tout était prévu. Ses bagages se trouvaient déjà à la consigne de l’aéroport où il les avait emmenés, trois jours plus tôt, en allant prendre l’avion pour la province. Il avait ce petit voyage à faire avant d’entreprendre le grand. J’ai interrogé la gardienne à propos du couple. Il semble vivre assez librement. Lui paraît plus qu’à son aise financièrement, presque riche, et la bonne femme se retient d’insinuer qu’il doit se faire graisser la patte par quelques gros contribuables.

Je cherche à évoquer mon contrôleur. Froid, avec un regard courtois mais dénué de toute sympathie réelle. Je ne l’imagine pas en train de monnayer sa fonction. Il y a en lui un je ne sais quoi de franchement distant qui ne devait guère inciter aux proposes malhonnêtes. Une sorte d’hostilité sourde, spontanée. Il semblait mépriser son prochain. Ce qui est très méprisable !

— C’est tout ?

Mon brave bougne hoche la tête et son rire aubergine s’ourle de ratiches étincelantes, fourbies à l’Email Diamant.

— Comme la plupart des concierges, celle de cet immeuble est très diserte. En tout cas, pas raciste, ce qui est rare chez les gens modestes. Les nantis le sont aussi, et plus profondément, bien sûr, mais ils feignent de ne pas l’être. Nous n’avons, pauvres nègres, comme alliés sûrs que les intellectuels qui se battent pour nous, non par sympathie réelle, mais par vocation collective…

— Et après ce cours de philosophie, champion, tu vas me parler de quoi ?

— Lassale-Lathuile a presque toujours habité cette maison. Ses parents occupaient l’appartement contigu, sur le même palier.

Je lui prends la main, très simplement, entre les deux miennes, et ça se met à ressembler, nos trois paluches, à un gros sandwich au hamburger.

— Cher grand cœur qui paraît au discours que tu tiens, fais-je, tu ne vas pas me dire que l’appartement dont tu me parles est toujours à la disposition de Lassale-Lathuile ? Si oui, je vais me mettre à sangloter comme un Ecossais qui a perdu son porte-monnaie ou une vieille fille son pucelage.

— Alors pleure, ô mon chef admiré, car telle est la vérité. Ledit logement est libre depuis le décès de la chère vieille maman, en octobre de l’an passé. Lassale-Lathuile l’a conservé car il projetterait de quitter l’administration pour monter un cabinet de conseiller fiscal, ainsi que le font, me suis-je laissé dire, la plupart de ces gens qui, après avoir martyrisé le contribuable pour un salaire modeste, lui apprennent à berner le fisc moyennant des honoraires substantiels.

— Viens !

Il ne me demande pas où, l’ange sombre. Une fois de plus, je vais forniquer avec deux serrures superposées ; des serrures qui donnent à ceux qui les utilisent une fallacieuse impression de sécurité, mais qui cèdent aux instances de l’homme déterminé presque aussi rapidement qu’une femme mariée…

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Si j’ose dire !