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Nous l’avons espéré un moment. En août 1830, il y avait tant de générosité dans l’air, un tel esprit de douceur et de civilisation flottait dans les masses, on se sentait le cœur si bien épanoui par l’approche d’un bel avenir, qu’il nous sembla que la peine de mort était abolie de droit, d’emblée, d’un consentement tacite et unanime, comme le reste des choses mauvaises qui nous avaient gênés. Le peuple venait de faire un feu de joie des guenilles de l’ancien régime. Celle-là était la guenille sanglante. Nous la crûmes dans le tas. Nous la crûmes brûlée comme les autres. Et pendant quelques semaines, confiant et crédule, nous eûmes foi pour l’avenir à l’inviolabilité de la vie, comme à l’inviolabilité de la liberté.

Et en effet deux mois s’étaient à peine écoulés qu’une tentative fut faite pour résoudre en réalité légale l’utopie sublime de César Bonesana.

Malheureusement, cette tentative fut gauche, maladroite, presque hypocrite, et faite dans un autre intérêt que l’intérêt général.

Au mois d’octobre 1830, on se le rappelle, quelques jours après avoir écarté par l’ordre du jour la proposition d’ensevelir Napoléon sous la colonne, la Chambre tout entière se mit à pleurer et à bramer. La question de la peine de mort fut mise sur le tapis, nous allons dire quelques lignes plus bas à quelle occasion; et alors il sembla que toutes ces entrailles de législateurs étaient prises d’une subite et merveilleuse miséricorde. Ce fut à qui parlerait, à qui gémirait, à qui lèverait les mains au ciel. La peine de mort, grand Dieu! quelle horreur! Tel vieux procureur général, blanchi dans la robe rouge, qui avait mangé toute sa vie le pain trempé de sang des réquisitoires, se composa tout à coup un air piteux et attesta les dieux qu’il était indigné de la guillotine. Pendant deux jours la tribune ne désemplit pas de harangueurs en pleureuses. Ce fut une lamentation, une myriologie, un concert de psaumes lugubres, un Super flumina Babylonis, un Stabat mater dolorosa, une grande symphonie en ut, avec chœurs, exécutée par tout cet orchestre d’orateurs qui garnit les premiers bancs de la Chambre, et rend de si beaux sons dans les grands jours. Tel vint avec sa basse, tel avec son fausset. Rien n’y manqua. La chose fut on ne peut plus pathétique et pitoyable. La séance de nuit surtout fut tendre, paterne et déchirante comme un cinquième acte de Lachaussée. Le bon public, qui n’y comprenait rien, avait les larmes aux yeux [1].

De quoi s’agissait-il donc? d’abolir la peine de mort?

Oui et non.

Voici le fait:

Quatre hommes du monde, quatre hommes comme il faut, de ces hommes qu’on a pu rencontrer dans un salon, et avec qui peut-être on a échangé quelques paroles polies; quatre de ces hommes, dis-je, avaient tenté, dans les hautes régions politiques, un de ces coups hardis que Bacon appelle crimes, et que Machiavel appelle entreprises. Or, crime ou entreprise, la loi, brutale pour tous, punit cela de mort. Et les quatre malheureux étaient là, prisonniers, captifs de la loi, gardés par trois cents cocardes tricolores sous les belles ogives de Vincennes. Que faire et comment faire? Vous comprenez qu’il est impossible d’envoyer à la Grève, dans une charrette, ignoblement liés avec de grosses cordes, dos à dos avec ce fonctionnaire qu’il ne faut pas seulement nommer, quatre hommes comme vous et moi, quatre hommes du monde? Encore s’il y avait une guillotine en acajou!

Hé! il n’y a qu’à abolir la peine de mort!

Et là-dessus, la Chambre se met en besogne.

Remarquez, messieurs, qu’hier encore vous traitiez cette abolition d’utopie, de théorie, de rêve, de folie, de poésie. Remarquez que ce n’est pas la première fois qu’on cherche à appeler votre attention sur la charrette, sur les grosses cordes et sur l’horrible machine écarlate, et qu’il est étrange que ce hideux attirail vous saute ainsi aux yeux tout à coup.

Bah! c’est bien de cela qu’il s’agit! Ce n’est pas à cause de vous, peuple, que nous abolissons la peine de mort, mais à cause de nous, députés qui pouvons être ministres. Nous ne voulons pas que la mécanique de Guillotin morde les hautes classes. Nous la brisons. Tant mieux si cela arrange tout le monde, mais nous n’avons songé qu’à nous. Ucalégon brûle. Éteignons le feu. Vite, supprimons le bourreau, biffons le code.

Et c’est ainsi qu’un alliage d’égoïsme altère et dénature les plus belles combinaisons sociales. C’est la veine noire dans le marbre blanc; elle circule partout, et apparaît à tout moment à l’improviste sous le ciseau. Votre statue est à refaire.

Certes, il n’est pas besoin que nous le déclarions ici, nous ne sommes pas de ceux qui réclamaient les têtes des quatre ministres. Une fois ces infortunés arrêtés, la colère indignée que nous avait inspirée leur attentat s’est changée, chez nous comme chez tout le monde, en une profonde pitié. Nous avons songé aux préjugés d’éducation de quelques-uns d’entre eux, au cerveau peu développé de leur chef, relaps fanatique et obstiné des conspirations de 1804, blanchi avant l’âge sous l’ombre humide des prisons d’État, aux nécessités fatales de leur position commune, à l’impossibilité d’enrayer sur cette pente rapide où la monarchie s’était lancée elle-même à toute bride le 8 août 1829, à l’influence trop peu calculée par nous jusqu’alors de la personne royale, surtout à la dignité que l’un d’entre eux répandait comme un manteau de pourpre sur leur malheur. Nous sommes de ceux qui leur souhaitaient bien sincèrement la vie sauve, et qui étaient prêts à se dévouer pour cela. Si jamais, par impossible, leur échafaud eût été dressé un jour en Grève, nous ne doutons pas, et si c’est une illusion nous voulons la conserver, nous ne doutons pas qu’il n’y eût eu une émeute pour le renverser, et celui qui écrit ces lignes eût été de cette sainte émeute. Car, il faut bien le dire aussi, dans les crises sociales, de tous les échafauds, l’échafaud politique est le plus abominable, le plus funeste, le plus vénéneux, le plus nécessaire à extirper. Cette espèce de guillotine-là prend racine dans le pavé, et en peu de temps repousse de bouture sur tous les points du sol.

En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe. Elle met le peuple en appétit.

Nous étions donc personnellement d’accord avec ceux qui voulaient épargner les quatre ministres, et d’accord de toutes manières, par les raisons sentimentales comme par les raisons politiques. Seulement, nous eussions mieux aimé que la Chambre choisît une autre occasion pour proposer l’abolition de la peine de mort.

Si on l’avait proposée, cette souhaitable abolition, non à propos de quatre ministres tombés des Tuileries à Vincennes, mais à propos du premier voleur de grands chemins venu, à propos d’un de ces misérables que vous regardez à peine quand ils passent près de vous dans la rue, auxquels vous ne parlez pas, dont vous évitez instinctivement le coudoiement poudreux; malheureux dont l’enfance déguenillée a couru pieds nus dans la boue des carrefours, grelottant l’hiver au rebord des quais, se chauffant au soupirail des cuisines de M. Véfour chez qui vous dînez, déterrant çà et là une croûte de pain dans un tas d’ordures et l’essuyant avant de la manger, grattant tout le jour le ruisseau avec un clou pour y trouver un liard, n’ayant d’autre amusement que le spectacle gratis de la fête du roi et les exécutions en Grève, cet autre spectacle gratis; pauvres diables, que la faim pousse au vol, et le vol au reste; enfants déshérités d’une société marâtre, que la maison de force prend à douze ans, le bagne à dix-huit, l’échafaud à quarante; infortunés qu’avec une école et un atelier vous auriez pu rendre bons, moraux, utiles, et dont vous ne savez que faire, les versant, comme un fardeau inutile, tantôt dans la rouge fourmilière de Toulon, tantôt dans le muet enclos de Clamart, leur retranchant la vie après leur avoir ôté la liberté; si c’eût été à propos d’un de ces hommes que vous eussiez proposé d’abolir la peine de mort, oh! alors, votre séance eût été vraiment digne, grande, sainte, majestueuse, vénérable. Depuis les augustes pères de Trente invitant les hérétiques au concile au nom des entrailles de Dieu, per viscera Dei, parce qu’on espère leur conversion, quoniam sancta synodus sperat hæreticorum conversionem, jamais assemblée d’hommes n’aurait présenté au monde spectacle plus sublime, plus illustre et plus miséricordieux. Il a toujours appartenu à ceux qui sont vraiment forts et vraiment grands d’avoir souci du faible et du petit. Un conseil de brahmines serait beau prenant en main la cause du paria. Et ici, la cause du paria, c’était la cause du peuple. En abolissant la peine de mort, à cause de lui et sans attendre que vous fussiez intéressés dans la question, vous faisiez plus qu’une œuvre politique, vous faisiez une œuvre sociale.

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[1] Nous ne prétendons pas envelopper dans le même dédain tout ce qui a été dit à cette occasion à la Chambre. Il s’est bien prononcé çà et là quelques belles et dignes paroles. Nous avons applaudi, comme tout le monde, au discours grave et simple de M. de Lafayette et, dans une autre nuance, à la remarquable improvisation de M. Villemain.