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— Yo ! fit Vindelle Pounze.

— Yo ! » fit Crapahut.

(Quelque part dans l’obscurité, là où la foule était la plus clairsemée, la silhouette décharnée de monsieur Ixolite, le dernier banshee survivant du monde, se faufila jusqu’au bâtiment secoué de tremblements et glissa timidement un mot sous la porte.

Lequel disait : OUUUiiiOUUiiiOuuiii.)

Le chariot, tant bien que mal, s’arrêta définitivement. Personne ne se retourna.

« Vous êtes derrière, hein ? demanda lentement Raymond Soulier.

— C’est ça, monsieur Soulier, répondit gaiement Crapahut.

— Est-ce qu’il faudra s’inquiéter quand il sera devant nous ? demanda Ridculle. Ou est-ce que c’est pire de le savoir derrière ?

— Ha ! Fini les placards et les caves pour le croque-mitaine, fit Crapahut.

— Dommage, parce qu’on a quelques caves drôlement spacieuses à l’Université », dit aussitôt Vindelle Pounze.

Crapahut resta silencieux un moment. Puis il demanda, l’air de tâter le terrain : « Spacieuses comment ?

— Immenses.

— Ouais ? Avec des rats ?

— Les rats, ce n’est qu’un hors-d’œuvre. Elles sont pleines de démons en fuite et de tas d’autres trucs. Une infestation.

— À quoi vous jouez ? souffla Ridculle. C’est de nos caves à nous que vous parlez !

— Vous préférez l’avoir sous votre lit, dites ? chuchota Vindelle. Ou le sentir rôder derrière vous ? »

Ridculle hocha aussitôt la tête.

« Hou-là, oui, ces rats dans les caves, on peut plus les tenir, dit-il tout fort. Certains… oh, soixante à soixante-dix centimètres, pas vrai, doyen ?

— Un mètre, renchérit le doyen. Au moins.

— Et gras comme des cochons », ajouta Vindelle.

Crapahut réfléchit un moment. « Bon, d’accord, fit-il à contrecœur. Je vais peut-être aller y jeter un coup d’œil en passant. »

Le grand magasin explosa et implosa à la fois, chose quasiment impossible à réaliser sans un budget faramineux en effets spéciaux ou trois sortilèges réagissant les uns contre les autres. On eut l’impression d’un nuage gigantesque qui s’étendait mais qui s’éloignait en même temps si vite qu’il faisait l’effet d’un point de plus en plus petit. Les murs se gonflèrent et furent aspirés. Le sol déchiré se souleva et disparut en vrille dans le vortex. Une explosion de non-musique mourut presque aussitôt.

Puis plus rien en dehors d’un champ bourbeux.

Et de milliers de flocons blancs tombant comme neige du ciel du petit matin. Ils descendirent silencieusement et se déposèrent légèrement sur la foule.

« Ce ne sont pas des semis, dites ? » fit Raymond Soulier.

Vindelle saisit un des flocons. Un vague rectangle, irrégulier et barbouillé. On arrivait tout juste, avec beaucoup d’imagination, à déchiffrer les mots :

« Non, répondit Vindelle. Je ne crois pas. »

Il se renversa en arrière et sourit. Il n’était jamais trop tard pour la belle vie.

Lorsque plus personne ne fit attention, le dernier chariot survivant du Disque-monde s’enfonça tristement en ferraillant dans l’oubli de la nuit, solitaire et désorienté[18].

« Coco-l’haricot ! »

Mademoiselle Trottemenu était assise dans sa cuisine.

Du dehors lui parvenaient des chocs métalliques déprimés : Edouard Bottereau et son apprenti récupéraient les débris enchevêtrés de la moissonneuse battante. Une poignée d’autres villageois leur donnaient soi-disant un coup de main, mais profitaient de l’occasion pour donner en réalité un coup d’œil à la ronde. Elle leur avait préparé un plateau de thé et les avait laissés.

À présent, assise, le menton dans les mains, elle fixait le vide.

On frappa à la porte ouverte. Fausset passa la tête.

« Dites, mademoiselle Trottemenu…

— Hmm ?

— Dites, mademoiselle Trottemenu, y a un squelette de ch’val qui s’balade dans la grange ! Il mange du foin !

— Comment ça ?

— Et ça lui passe au travers !

— Ah bon ? On va le garder, alors. Au moins, il coûtera pas cher à nourrir. »

Fausset s’attardait en tripotant son chapeau dans ses mains. « Z’allez bien, mademoiselle Trottemenu ? »

« Z’allez bien, monsieur Pounze ? »

Vindelle fixait le vide.

« Vindelle ? fit Raymond Soulier.

— Hmm ?

— L’archichancelier vous demande si vous voulez boire quelque chose.

— Il aimerait un verre d’eau déminéralisée, dit madame Cake.

— Quoi ? Rien que de l’eau ? s’étonna Ridculle.

— C’est c’qu’il veut, dit madame Cake.

— J’aimerais un verre d’eau déminéralisée, s’il vous plaît », répondit Vindelle.

Madame Cake affichait un air suffisant. Du moins, le peu qu’on voyait d’elle affichait un air suffisant, à savoir la partie comprise entre le chapeau et son sac à main, un sac du même acabit que le chapeau, si grand que lorsqu’elle était assise et qu’elle le tenait serré sur ses genoux, elle devait lever les mains pour en attraper les poignées.

Quand elle avait su qu’on invitait sa fille à l’Université, elle était venue aussi. Madame Cake présumait toujours qu’une invitation pour Ludmilla valait aussi pour sa mère. Des mères de ce genre, il en existe partout, et on ne peut rien y faire, semble-t-il.

Les mages recevaient les Nouveaux Partants, lesquels s’efforçaient de paraître y prendre plaisir. Il s’agissait d’une de ces mondanités délicates où se succèdent de longs silences, des toux sporadiques et de temps en temps des banalités du genre : « Ah, on est bien. »

« Pendant un moment, vous aviez l’air ailleurs, Vindelle, dit Ridculle.

— Je suis un peu fatigué, c’est tout, archichancelier.

— J’croyais que vous dormiez jamais, vous autres les zombis.

— Je suis pourtant fatigué, fit Vindelle.

— Vous êtes sûr de pas vouloir qu’on recommence l’enterrement et tout ? On pourrait faire ça comme il faut cette fois.

— Non, mais merci tout de même. Je ne suis pas fait pour la vie de mort-vivant, je crois. » Vindelle se tourna vers Raymond Soulier. « Je regrette. Je ne sais pas comment vous y arrivez. » Il fit un sourire d’excuse.

« Vous avez parfaitement le droit d’être vivant ou mort, c’est vous qui voyez, répliqua durement Raymond.

— D’après Un-homme-seau, les gens se remettent à mourir normalement, dit madame Cake. Alors, vous pourriez sûrement prendre rendez-vous. »

Vindelle regarda autour de lui.

« Elle est allée promener votre chien, dit madame Cake.

— Où est Ludmilla ? » demanda-t-il.

Vindelle eut un sourire gêné. Les prémonitions de madame Cake pouvaient devenir franchement lassantes.

« Je serais rassuré si je savais qu’on s’occupe de Lupin après mon… départ, quoi, fit-il. Dites, vous pourriez le prendre ?

— Ben… hésita madame Cake.

— Mais c’est… commença Raymond Soulier qui surprit alors l’expression de Vindelle.

— Je dois reconnaître que je me sentirais mieux avec un chien dans la maison, décida madame Cake. Je me fais tout le temps du souci pour Ludmilla. On voit tellement de gens bizarres.

— Mais votre fi… tenta encore Raymond.

— La ferme, Raymond, le coupa Dorine.

— Alors, c’est réglé, fit Vindelle. Est-ce que vous avez des pantalons ?

— Quoi ?

— Des pantalons ? Chez vous ?

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18

On pense communément, sur les mondes où a germé la forme de vie des centres commerciaux, que les gens emmènent les paniers métalliques et les abandonnent dans des lieux isolés inattendus, si bien qu’il faut embaucher des équipes de jeunes hommes afin de les rassembler et de les ramener. La vérité est tout autre. En réalité, les hommes sont des chasseurs, ils traquent leurs proies bruyantes dans la campagne, les prennent au piège, leur brisent le caractère, les apprivoisent et les conduisent vers une vie d’esclavage. Peut-être bien.