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L’Espagnole, ces biroutes infernales, elle les prend pour du toc. Bites de cinoche ! Miguel détient le vrai calibre ; les tringleurs de la vidéo, c’est des frimants qui ont dû chausser du braque ersatz pour impressionner le gogo. Même leur lâcher de fumaga sur le michier des donzelles, elle le voit blanc d’œuf, la cuisinière. Foutre au chiqué !

Le julot étant à point, il prétend jouer la « Chevauchée sans retour », à sa Conchita. Il la place à genoux sur le canapé, et alors ils m’aperçoivent, les deux transis du réchaud.

La femme hurle une invocation :

— Santa Maria dos Bégonias !

Son matou me reconnaît et se contente de remiser Coquette dans son porte-bagages.

— Qu’est-ce qué vous faisez ici, señor ! il exclame d’une voix où percent colère et respect.

— Vous n’aviez pas fermé la porte, mens-je, et j’entendais des plaintes…

Il me croit à demi, c’est-à-dire pas du tout. Mais mon aplomb le déroute.

J’avance vers les Ibères, le sourire aux lèvres, la main tendue. Miguel murmure à Conchita comme quoi je suis un policier célèbre engagé par Monsieur. Elle m’adresse une révérence Grand Siècle, ramasse le nichon qu’elle a largué dans le mouvement et, en femme latine docile, grimpe dans la chambre matrimoniale.

Je désigne l’écran au chauffeur-valet :

— Ils s’expliquent dans le sérieux, hein ? T’as vu celui de droite, le chipolata qu’il se paie ! J’ai l’impression que, ciné ou pas, sa partenaire part à dame pour de bon.

Gêné, il va interrompre le charmant programme. Il bandouille encore sur sa lancée et, pour en terminer avec son bâton de maréchal, se le coince entre les jambes.

— Vous avez bésouin dé moi, señor ?

— Affirmatif !

T’as plein de cons qui répondent par ce mot militaire. J’en voyais un, l’autre soir, à un jeu télévisé. Le présent-tâteur lui posait des questions mords-moi-le-zob, style : « Vous êtes marié, vous avez des enfants ? » A chacune, le glandu répondait « Affirmatif ». Tout juste s’il se mettait pas au garde-à-vous, ce vieux nœud ! Moi, un con, ça me perturbe, mais me fascine. Je suis comme les poissons. Tu lances quelque chose dans l’eau : ils se taillent. Mais presque aussitôt, ils reviennent vérifier de quoi il s’agit. Quand je nez-à-nèze avec un superbe con, à la téloche, par exemple, j’avance la main pour couper la sauce ; mais la fascination prend le dessus et je regarde de tous mes yeux agrandis par l’effroi et la délectation.

Il attend que je m’explique, l’Espanche.

Je biche une chaise et la chevauche à l’envers.

— Miguel, murmuré-je, tu as de la sympathie pour tes maîtres ?

« Ses maîtres » ! Là encore je délecte. Qui peut admettre avoir « un maître », à notre époque ? Pourtant, il approbationne vivement :

— Si, si, señor, mucho !

— Je n’en doutais pas. Alors laisse-moi te dire qu’ils courent un grand danger.

— Es posible ?

— Certain ! Le temps presse, amigo : tu dois m’aider.

Il cheffe à tout berzingue. S’il portait un sonotone, une perruque ou un dentier, tout ça valdinguerait dans la pièce.

Il murmure :

— Jé pou vous offrir ouna liquor, señor ?

Histoire de créer une ambiance favorable, j’accepte, et l’Espingouin va chercher une bouteille emplie d’un liquide blanc et deux petits verres. Le goulot est pourvu d’un de ces verseurs de plastique qui interdisent qu’on puisse remettre du liquide dans la boutanche. Ça sort mais ne rentre pas. Il me sert une lichette de sa drogue.

— Liquor dé cannelle ! m’avertit-t-il en me présentant le godet.

Je goûte : pas mauvais du tout.

— Miguel, reprends-je, qui est le monsieur qui habite dans l’hôtel du duc ?

Il fait coulisser ses vasistas.

— Personne, il habite ici en déhors des patrons, señor !

— A qui appartient la Mini Cooper rouge qu’il vient de rentrer au garage ?

— A Madame !

— L’homme dont je te parle est très mince, petit, jeune, plutôt beau gosse, tu vois de qui je parle ?

— Si, señor, jé l’ai vou quelquéfois ici. Es oune amigo dé Madame ; ma n’habite pas la casa.

— Tu connais son nom ?

Il négative de la tronche.

— Dis-moi, madame, elle mène une existence un peu olé olé, non ?

Il hausse ses épaules étroites. Ponctue d’une mimique mi-désolée, mi-égrillarde.

— Tu sais ce que signifie le mot « frasques » ?

— Non, señor.

— Il veut dire qu’on fait des folies, principalement avec son corps, tu piges ?

— Si, señor.

— La duchesse fait des frasques.

Il a une non-réponse plus véhémente qu’un énergique acquiescement[7].

— Pour les commettre, elle dispose d’un endroit tranquille. Elle est trop connue pour aller pomper des pafs dans des maisons de rendez-vous ou des hôtels de passes. Juste ?

— Si, señor.

— Comme néanmoins c’est une femme libérée, elle n’a pas de secrets pour toi. J’aimerais que tu me donnes l’adresse de son baisodrome. Sois pleinement rassuré : ma bite sur le billot, je n’avouerais jamais que c’est toi qui me l’as indiquée.

Il secoue la tête.

— Ma, señor, jé souis oune domestiqué dé confiance !

— Bien entendu ! Et c’est pour cela que tu vas répondre à ma question. Sais-tu pourquoi ? Parce que, je te le répète, tes patrons courent un grand danger et que nous devons tout mettre en œuvre, aussi bien toi que moi, pour les en préserver.

— Allez lé démander à Madame, elle vous lé dira sourément.

— Ne me donne pas de conseil, Miguel, mon ami. Je suis un policier important, je te le dis en grande modestie, donc puissant. Je donne un coup de téléphone et demain on te fout dans un avion pour Barcelone ou Madrid, au choix, avec l’interdiction de remettre les pieds en France. Le motif ? Attentat à la pudeur. Cette cassette, plus toutes celles que tu dois conserver quelque part dans cette crèche, tu les passes à de jeunes enfants !

— Ma jamais ! Ma c’est faux !

— Je peux décider que c’est vrai, Miguel. Tu ne voudrais pas faire de moi un fumier, mon petit Espingo joli !

Il me file un regard dont j’aurai honte jusqu’à la fin de mes jours et déclare :

— 206, rue de la Pompe, troisième étage gauche.

Je prends note.

— Parfait, Miguel. Maintenant, parle-moi de Victoria de Tramontane. Le vieux lui rend visite et elle l’appelle « Papi » ! C’est charmant…

Il est sidéré par « l’étendue de mes connaissances », se dit que, décidément, j’en devine des choses ! Alors il me bonnit ce qu’au fond je sais déjà. L’associé du mathusala avait pour giton le frère de Victoria. Parfois, il conviait le duc chez l’éditeur. Sanfoyniloix s’est pris de tendresse pour la jouvencelle et la couvrait de présents. Amours platoniques, bien sûr, mais très fortes néanmoins.

Il me fait l’effet d’un gros lézard vert au soleil, Miguel. Apeuré et furtif, aux aguets, redoutant tout, éternellement sur le qui-vive. Ma vilaine menace de tout à l’heure l’a tourneboulé. Il se sent embarqué dans une merderie qui le dépasse et risque de lui coûter sa situation ; une douce situation, voyez-vous. Il est douillé royalement, empaquette des pourliches grands formats les soirs de réceptions ducales.

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7

La phrase est superbe dans sa brièveté. Je l’ai déjà écrit dans mon Histoire de la littérature française : « La différence qu’il y a entre un livre de Robbe-Grillet et un livre de San-Antonio, c’est un livre de San-Antonio !

Jérôme Garcin, de l’Académie française.