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Or il arriva que le vaillant roi, qui préférait prévenir plutôt qu’être prévenu, dînait en compagnie, joyeusement, quand les quinze mille hommes de Flandre envahirent son camp. Ils brandissaient des étendards peints d’un coq sous lequel était écrit:

Le jour que ce coq chantera

Le roi trouvé ci entrera.

Ils eurent tôt fait de ravager la moitié du camp, coupant les cordes des pavillons, renversant les échiquiers, bousculant les tables de festin et tuant bon nombre de seigneurs.

Les troupes d’infanterie françaises prirent la fuite; leur émoi devait les porter sans souffler jusqu’à Saint-Omer, à quarante lieues en arrière.

Le roi n’eut que le temps de passer une cotte aux armes de France, se couvrir la tête d’un bassinet de cuir blanc et sauter sur son destrier pour rassembler ses héros.

Les adversaires, en cette bataille, avaient chacun commis une lourde faute, par vanité. Les chevaliers français avaient méprisé les communaux de Flandre; mais ceux-ci, afin de montrer qu’ils étaient gens de guerre autant que les seigneurs, s’étaient équipés d’armures; or, ils venaient à pied!

Le comte de Hainaut et son frère Jean, dont les cantonnements se trouvaient un peu à l’écart, se lancèrent les premiers pour prendre les Flamands à revers et désorganiser leur attaque. Les chevaliers français, rameutés par le roi, purent alors se ruer sur cette piétaille qu’alourdissait un orgueilleux équipement, la culbuter, la fouler aux sabots des lourds destriers, en faire massacre. Les Lancelot et les Galaad se contentaient de pourfendre et d’assommer, laissant leurs valets d’arme achever au couteau les vaincus. Qui cherchait à fuir était renversé par un cheval à la charge; qui s’offrait à se rendre était dans l’instant égorgé. Il resta sur le terrain treize mille Flamands qui formaient un fabuleux monceau de fer et de cadavres, et l’on ne pouvait rien toucher, herbe, harnais, homme ou bête, qui ne fût poisseux de sang.

La bataille du mont Cassel, commencée en déroute, s’achevait en victoire totale pour la France. On en parlait déjà comme d’un nouveau Bouvines.

Or le vrai vainqueur n’était pas le roi, ni le vieux connétable Gaucher, ni Robert d’Artois, si grande vaillance qu’ils eussent prouvée en s’éboulant comme avalanche dans les rangs adverses. Celui qui avait tout sauvé était le comte Guillaume de Hainaut. Mais ce fut Philippe VI, son beau-frère, qui moissonna la gloire.

Un roi aussi puissant que l’était Philippe ne pouvait plus tolérer aucun manquement de la part de ses vassaux. On envoya donc sommation au roi anglais, duc de Guyenne, de venir rendre hommage et de se hâter.

Il n’est guère de défaites salutaires, mais il est des victoires malheureuses. Peu de journées devaient coûter aussi cher à la France que celle de Cassel, car elle accrédita plusieurs idées fausses: à savoir d’abord que le nouveau roi était invincible, et ensuite que les gens de pied ne valaient rien à la guerre. Crécy, vingt ans plus tard, serait la conséquence de cette illusion.

En attendant, quiconque avait bannière, quiconque portait lance, et jusqu’au plus simple écuyer, considérait avec pitié, du haut de sa selle, les espèces inférieures qui s’en allaient à pied.

Cet automne-là, vers le milieu du mois d’octobre, Madame Clémence de Hongrie, la reine à la mauvaise fortune qui avait été la seconde épouse de Louis Hutin, mourut à trente-cinq ans, en l’ancien hôtel du Temple, sa demeure. Elle laissait tant de dettes qu’une semaine après sa mort tout ce qu’elle possédait, bagues, couronnes, joyaux, meubles, linge, orfèvrerie, et jusqu’aux ustensiles de cuisine, fut mis aux enchères sur la demande des prêteurs italiens, les Bardi et les Tolomei.

Le vieux Spinello Tolomei, traînant la jambe, poussant le ventre, un œil ouvert et l’autre clos, fut à cette vente où six orfèvres-priseurs, commis par le roi, firent les estimations. Et tout fut dispersé de ce qui avait été donné à la reine Clémence en une année de précaire bonheur.

Quatre jours durant on entendit les priseurs, Simon de Clokettes, Jean Pascon, Pierre de Besançon et Jean de Lille, crier:

— Un bon chapeau d’or,[5] auquel il y a quatre gros rubis balais, quatre grosses émeraudes, seize petits balais, seize petites émeraudes et huit rubis d’Alexandrie, prisé six cents livres. Vendu au roi!

— Un doigt, où il y a quatre saphirs dont trois carrés et un cabochon, prisé quarante livres. Vendu au roi!

— Un doigt, où il y a six rubis d’Orient, trois émeraudes carrées et trois diamants d’émeraude, prisé deux cents livres. Vendu au roi!

— Une écuelle de vermeil, vingt-cinq hanaps, deux plateaux, un bassin, prisés deux cents livres. Vendus à Monseigneur d’Artois, comte de Beaumont!

— Douze hanaps en vermeil émaillé aux armes de France et de Hongrie, une grande salière en vermeil portée par quatre babouins, le tout pour quatre cent quinze livres. Vendus à Monseigneur d’Artois, comte de Beaumont!

— Une boursette brodée d’or, semée de perles et de doubles, et dedans la bourse il y a un saphir d’Orient. Prisée seize livres. Vendue au roi!

La compagnie des Bardi acheta la pièce la plus chère: une bague portant le plus gros rubis de Clémence de Hongrie et estimée mille livres. Ils n’avaient pas à la payer, puisque cela viendrait en diminution de leurs créances, et ils étaient sûrs de pouvoir la revendre au pape lequel, autrefois leur débiteur, disposait maintenant d’une fabuleuse richesse.

Robert d’Artois, comme pour prouver que les hanaps et autres services à boire n’étaient pas son seul souci, acquit encore une bible en français, pour trente livres.

Les habits de chapelle, tuniques, dalmatiques, furent achetés par l’évêque de Chartres.

Un orfèvre, Guillaume le Flament, eut à bon compte le couvert en or de la reine défunte.

Des chevaux de l’écurie, on tira six cent quatre-vingt-douze livres. Le char de Madame Clémence et le char de ses demoiselles suivantes furent mis aussi à l’encan.

Et quand tout fut enlevé de l’hôtel du Temple, on eut le sentiment de fermer une maison maudite.

Il semblait vraiment cette année-là que le passé s’éteignait, comme de lui-même, pour faire place nette au nouveau règne. L’évêque d’Arras, Thierry d’Hirson, chancelier de la comtesse Mahaut, mourut au mois de novembre. Il avait été pendant trente ans le conseiller de la comtesse, un peu son amant aussi, et son serviteur en toutes ses intrigues. La solitude s’installait autour de Mahaut. Robert d’Artois fit nommer au diocèse d’Arras un ecclésiastique du parti Valois, Pierre Roger.[6]

Tout était défavorable à Mahaut, tout se montrait favorable à Robert dont le crédit ne cessait de grandir, et qui accédait aux suprêmes honneurs.

Au mois de janvier 1329, Philippe VI érigeait en pairie le comté de Beaumont-le-Roger; Robert devenait pair du royaume.

Le roi d’Angleterre tardant à rendre son hommage, on décida de saisir à nouveau le duché de Guyenne. Mais avant de mettre la menace à exécution armée, Robert d’Artois fut envoyé en Avignon pour obtenir l’intervention du pape Jean XXII.

Robert passa, au bord du Rhône, deux semaines enchanteresses. Car Avignon, où tout l’or de la chrétienté affluait, était, pour qui aimait la table, le jeu et les belles courtisanes, une ville d’agrément sans égal, sous un pape octogénaire et ascète, retrait dans les problèmes d’administration financière, de politique et de théologie.

Le nouveau pair de France eut plusieurs audiences du Saint-Père; un festin fut donné en son honneur au château pontifical, et il s’entretint doctement avec nombre de cardinaux. Mais, fidèle aux goûts de sa tumultueuse jeunesse, il eut rapport aussi avec des gens de plus douteux aloi. Où qu’il fût, Robert attirait à lui, et sans prendre aucune peine, la fille légère, le mauvais garçon, l’échappé de justice. N’eût-il existé dans la ville qu’un seul receleur, il le découvrait dans le quart d’heure. Le moine chassé de son ordre pour quelque gros scandale, le clerc accusé de larcin ou de faux serments piétinaient dans son antichambre pour quêter son appui. Dans les rues, il était souvent salué par des passants de basse mine dont il cherchait vainement à se rappeler en quel bordel de quelle ville il les avait autrefois rencontrés. Il inspirait confiance à la truanderie, c’était un fait, et qu’il fût à présent le second prince du royaume français n’y changeait rien.

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5

Un chapeau d’or: terme employé au Moyen Âge concurremment à celui de couronne. Également en orfèvrerie, doigt signifiait: bague.

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6

Pierre Roger, précédemment abbé de Fécamp, avait fait partie de la mission chargée des négociations entre la cour de Paris et la cour de Londres, avant l’hommage d’Amiens. Il fut nommé au diocèse d’Arras le 3 décembre 1328 en remplacement de Thierry d’Hirson; puis il fut successivement archevêque de Sens, archevêque de Rouen; et, enfin, élu pape en 1342 à la mort de Benoît XII, il régna sous le nom de Clément VI.