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Le duc-archevêque de Langres était acquis de longue date aux Valois; et tout également leur était dévoué le comte-évêque de Beauvais, Jean de Marigny, dernier frère survivant du grand Enguerrand. Vieilles trahisons, vieux remords, services mutuels avaient tissé de solides liens.

Restaient les évêques de Châlons, de Laon et de Noyon; ces derniers, on le savait, feraient corps avec le duc Eudes de Bourgogne.

— Ah! pour le Bourguignon, s’écria Robert d’Artois en écartant les bras, cela, Philippe, c’est ton affaire. Je ne peux rien auprès de lui, nous sommes lance à lance. Mais tu as épousé sa sœur; tu dois bien avoir quelque action sur lui.

Eudes IV n’était pas un aigle de gouvernement. Toutefois il se rappelait les leçons de sa défunte mère, la duchesse Agnès, la dernière fille de Saint Louis, et comment lui-même, pour reconnaître la régence de Philippe le Long, avait gagné le rattachement de la Bourgogne-comté à la Bourgogne-duché. Eudes en cette occasion avait épousé la petite-fille de Mahaut d’Artois, de quatorze ans plus jeune que lui, ce dont il ne se plaignait pas maintenant qu’elle était nubile.

La question de l’héritage d’Artois fut la première qu’il posa lorsque, arrivant de Dijon, il s’enferma avec Philippe de Valois.

— Il est bien entendu qu’au jour du trépas de Mahaut, le comté d’Artois ira à sa fille, la reine Jeanne la Veuve, pour ensuite revenir à la duchesse mon épouse? J’insiste fort sur ce point, mon cousin, car je connais les prétentions de Robert sur l’Artois; il les a assez clamées!

Ces grands princes ne mettaient pas moins de défiante âpreté à défendre leurs droits d’héritage sur les quartiers du royaume que des brus à se disputer les gobelets et les draps dans une succession de pauvres.

— Jugements par deux fois ont été rendus qui ont attribué l’Artois à la comtesse Mahaut, répondit Philippe de Valois. Si aucun fait nouveau ne vient étayer les requêtes de Robert, l’Artois passera à votre épouse, mon frère.

— Vous n’y voyez point d’empêchement?

— Je n’en vois mie.

Ainsi le loyal Valois, le preux chevalier, le héros de tournoi, avait donné à ses deux cousins, à ses deux beaux-frères, deux promesses contradictoires.

Honnête toutefois dans sa duplicité, il rapporta à Robert d’Artois son entretien avec Eudes, et Robert l’approuva pleinement.

— L’important, dit ce dernier, est d’obtenir la voix du Bourguignon, et peu importe qu’il s’ancre dans la tête un droit qu’il n’a pas. Des faits nouveaux, lui as-tu dit? Eh bien, nous en produirons, mon frère, et je ne te ferai pas manquer à ta parole. Allons, tout est au mieux.

Il ne restait plus qu’à attendre, ultime formalité, le décès du roi, en souhaitant qu’il se produisît assez vite, pendant que cette belle conjonction de princes était réunie autour de Philippe de Valois.

Le dernier fils du Roi de fer rendit l’âme la veille de la Chandeleur, et la nouvelle du deuil royal se répandit dans Paris, le lendemain matin, en même temps que l’odeur des crêpes chaudes.

Tout semblait devoir se dérouler selon le plan parfaitement agencé par Robert d’Artois, quand à l’aube même du jour fixé pour le Conseil des pairs, arriva un évêque anglais, au visage chafouin, aux yeux fatigués, sortant d’une litière couverte de boue, et qui venait représenter les droits de la reine Isabelle.

III

CONSEIL POUR UN CADAVRE

Plus de cervelle dans la tête, plus de cœur dans la poitrine, ni d’entrailles dans le ventre. Un roi creux. Les embaumeurs, la veille, avaient terminé leur travail sur le cadavre de Charles IV. Mais cela faisait-il grande différence avec ce que ce faible, indifférent, inactif monarque avait été durant sa vie? Enfant attardé que sa mère appelait «l’oison», mari trompé, père malheureux vainement entêté à travers trois mariages à assurer sa succession, souverain constamment gouverné, d’abord par un oncle puis par des cousins, il n’avait servi à rien d’autre qu’au logement du principe royal. Il y servait encore.

Au bout de la grand-salle à piliers du château de Vincennes, reposait, raide sur un lit d’apparat, sa dépouille habillée de la tunique azurée, du manteau fleurdelisé, et la tête encastrée dans la couronne.

Les pairs et les barons, réunis à l’autre extrémité, voyaient briller, éclairés par les buissons de cierges, les pieds bottés de toile d’or.

Charles IV allait présider son dernier conseil, dit «conseil dans la chambre du roi», puisqu’il était censé gouverner encore; son règne ne serait officiellement terminé que le lendemain à l’instant où son corps descendrait dans la tombe, à Saint-Denis.

Robert d’Artois avait pris l’évêque anglais sous son aile, tandis qu’on attendait les retardataires.

— En combien de temps êtes-vous venu? Douze jours depuis York? Vous n’avez pas traîné à chanter messe en route, messire évêque… un vrai train de chevaucheur!.. Votre jeune roi, a-t-il eu de joyeuses noces?

— Je le pense. Je n’ai pu y prendre part; j’étais déjà sur mon chemin, répondit l’évêque Orleton.

Et Lord Mortimer, était-il en bonne santé? Grand ami, Lord Mortimer, grand ami, et qui parlait souvent, au temps où il était réfugié à Paris, de Monseigneur Orleton.

— Il m’a conté comment vous le fîtes évader de la tour de Londres. Pour ma part, je l’ai accueilli en France et lui ai donné les moyens de s’en retourner un peu plus armé qu’il n’était arrivé. Ainsi nous avons fait chacun la moitié de la besogne.

Et la reine Isabelle? Ah! la chère cousine! Toujours d’aussi grande beauté?

Robert ainsi amusait le temps, pour empêcher Orleton de se mêler aux autres groupes, d’aller parler au comte de Hainaut ou au comte de Flandre. Il connaissait Orleton de réputation, et s’en méfiait. N’était-ce pas l’homme que la cour de Westminster utilisait pour ses ambassades auprès du Saint-Siège, et l’auteur, à ce qu’on disait, de la fameuse lettre à double sens: «Eduardum occidere nolite timere bonum est…» dont Isabelle et Mortimer s’étaient servis pour ordonner l’assassinat d’Édouard II?

Alors que les prélats français avaient tous coiffé leur mitre, Orleton portait simplement son bonnet de voyage, en soie violette, à oreillettes fourrées d’hermine. Robert nota ce détail avec satisfaction; cela retirerait de l’autorité à l’évêque anglais quand il prendrait la parole.

— C’est Monseigneur Philippe de Valois qui va être régent, murmura-t-il à Orleton comme s’il confiait un secret à un ami.

L’autre ne répondit pas.

Enfin la dernière personne attendue pour que le Conseil fût au complet entra. C’était la comtesse Mahaut d’Artois, seule femme convoquée à cette assemblée. Elle avait vieilli, Mahaut; ses pas semblaient haler avec peine le poids de son corps massif; elle s’appuyait sur une canne. Son visage était rouge sombre sous les cheveux tout blancs. Elle adressa de vagues saluts à la ronde, alla asperger le mort, et vint s’asseoir, lourdement, à côté du duc de Bourgogne. On l’entendait haleter.[4]

L’archevêque-primat Guillaume de Trye se leva, se tourna d’abord vers le cadavre du souverain, fit le signe de croix, lentement, puis demeura un moment en méditation, les yeux vers les voûtes comme s’il demandait l’inspiration divine. Les chuchotements s’étaient arrêtés.

— Mes nobles seigneurs, commença-t-il, quand la succession naturelle fait défaut à la dévolution du pouvoir royal, celui-ci retourne à sa source qui est dans le consentement des pairs. Telle est la volonté de Dieu et de la Sainte Église, laquelle en fournit l’exemple par l’élection de son suprême pontife.

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4

Cette année 1328 fut pour Mahaut d’Artois une année de maladie. Les comptes de sa maison nous apprennent qu’elle dut se faire saigner le surlendemain de ce conseil, 6 février 1328, et encore les 9 mai, 18 septembre et 19 octobre.