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Ce n’est ni le retour au Moyen Age ni à l’âge de pierre mais le retour à la nature, c’est-à-dire à l’âge d’or que propose Jacques Massacrier dans son roman « Outre-Temps » (1978). L’auteur rejette avec horreur la civilisation urbaine et ses aliénations ; et lorsqu’il lâche la bride à ses aspirations, même la pastorale de René Barjavel pâlit en comparaison. Une famille parisienne s’est installée sur la petite île méditerranéenne d’Ibiza et exploite un domaine où elle essaie de se suffire à elle-même. Si bien que lorsque survient le déluge elle est prête à affronter l’après-catastrophe. Elle se joint aux quelque cent cinquante survivants de l’île pour prendre part au mouvement qui aboutit à la création d’une nouvelle civilisation, puis à l’inutilité de la civilisation. Réduite à ses seules ressources, la population, sous l’influence de quelques intellectuels, en organise l’exploitation sur des bases agricoles, écologiques et communautaires. Les expériences les plus avancées sont la naissance d’un groupe de bergères vivant en amazones et la réforme de l’école autour de l’idée que l’identification à la nature passe par l’étude de ses manifestations et par le jardinage. Le climat devenant tropical, la végétation croît de façon gigantesque et produit des fruits en toute saison. Si bien que lorsqu’un séisme abat les constructions en pierre, les insulaires se retrouvent dans le jardin d’Eden. L’amour libre se généralise ; les rites de la fertilité avec danses érotiques sous la lune apparaissent et ils se multiplient. Végétariens, menant une vie saine, ils sont rarement malades et utilisent dans ce cas des plantes médicinales. Débarrassés de leurs conditionnements de civilisés et du souci d’assurer leur subsistance, ils se subliment. Si bien qu’au bout de dix ans les enfants sont devenus arboricoles. C’est dire qu’il ne faut pas prendre au sérieux ce délire d’intellectuel citadin. Quel que soit le degré de sincérité que l’auteur y exprime, ce livre exploite jusqu’à la caricature le mythe du retour à la nature.

Maîtrisant mieux son sujet, l’anthropologue américain George W. Stewart panoramise aussi la vision qu’en avait donné son probable inspirateur Jack London dans « The Scarlet Plague » (La Peste Ecarlate, 1912) où il ramenait pratiquement à un renversement social les effets d’une épidémie universelle dans une Amérique ploutocratique. « Earth abides » (La Terre demeure, 1949) l’envisage sous les angles écologique, philosophique, anthropologique et tout simplement humain, et constitue le texte de base sur le choix de civilisation dans le cadre post-catastrophique. D’entrée le roman donne le ton en nommant le personnage central Ish, diminutif d’Isherwood mais aussi mot hébreu désignant dans la Genèse Adam en particulier et l’homme par rapport à la femme (Isha)[4]. Il sera donc le premier homme et aussi l’initiateur d’une nouvelle culture parmi les vestiges de l’humanité que la nature a éliminés à la façon des lemmings lorsque leur nombre a menacé son équilibre. Ainsi l’auteur suggère-t-il un rééquilibrage immanent ; puis il examine le sort des plantes cultivées qui dégénèrent et des animaux domestiques qui redeviennent sauvages ou suscitent des prédateurs et même de trois espèces d’insectes parasites de l’homme qui risquent de disparaître. La catastrophe est un phénomène écologique aux retombées écologiques. Miraculeusement épargné, Ish parcourt les États-Unis qui retournent à l’état sauvage. Il rencontre une mulâtresse qui sera sa compagne car les préjugés de l’ancien monde sont devenus caducs. C’est pour avoir compris très tôt cette vérité qu’il s’adaptera au nouveau. Le couple se fixe près d’une petite ville de Californie où quelques rescapés les rejoignent. Au bout d’une vingtaine d’années c’est une véritable petite tribu qui s’est formée. Les survivants de la catastrophe ont vieilli et, trop peu nombreux pour restaurer l’ancienne technologie, ils n’en utilisent que les vestiges. Ish a donc instauré certaines institutions dans le but de transmettre les connaissances-clés. Il a notamment ouvert une école, avec des résultats médiocres. Seul un de ses fils est doué et il le considère déjà comme son continuateur, celui qui fera de la ville voisine encore intacte et de sa bibliothèque le centre d’une renaissance. Mais il a la douleur de le perdre et se retrouve avec une classe qui assimile mal son enseignement parce qu’il ne correspond plus aux réalités quotidiennes. La mort dans l’âme, Ish comprend qu’il a visé trop haut et que la régression est inévitable. Il leur dispense alors des connaissances pratiques et des techniques primitives qu’ils n’auront pas à réinventer une fois taries les ressources de la ville. Ainsi ils ne repartiront pas à zéro dans leur remontée vers la civilisation. Puis, leur ayant facilité la tâche, il achève sa longue vie. « Les hommes passent mais la terre demeure », conclut l’auteur avec cette sérénité qui prévaut même dans les tragédies de ce roman mais n’en efface pas l’humanité.

4. LE CHOIX DU NIHILISME

Le beau roman de G.R. Stewart a le mérite mais peut-être aussi l’inconvénient d’envisager le fait de civilisation dans un contexte non plus intellectuel mais non moins sujet à philosophie : la Terre en tant que système écologique. Même l’ouvrage de J. Massacrier qui est typique d’une époque où cette optique était à la mode ne s’en réclame pas aussi fermement. Cela dit, tout deux s’accordent sur l’importance de l’incidence humaine. L’homme est une composante de la biosphère terrestre mais les changements et les dérèglements qu’il y a introduits ne le placent pas au-dessus des autres qu’il ne comprend pas toujours ni ne maîtrise. L’auteur s’est attaché à restituer l’insignifiance de cette espèce si fière de ses conquêtes et pourtant à la merci d’une possible altération de son milieu ambiant, ici l’apparition de germes foudroyants. Et il surenchérit en démontrant qu’une fois frappés ses promoteurs, la civilisation s’écroulera et que ses traces s’effaceront vite, que les survivants n’auront d’antre choix que de se plier aux impératifs du milieu. Alors seulement leurs descendants pourront la restaurer.

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Il est difficile de ne pas voir aussi dans ce nom une allusion au moins à Ishi, le dernier Indien « sauvage », dont le témoignage recueilli par la romancière Théodore Kroeber, épouse de l’ethnologue Alfred Kroeber et mère d’Ursula Le Guin, eut un retentissement considérable. Ish est le dernier Américain comme Ishi fut le dernier Indien et en quelque sorte il boucle la boucle puisqu’il revient par force au mode d’existence des premiers occupants de l’Amérique. Ishi a été publié en français dans l’excellente collection Terre humaine, chez Pion. (Note de l’éditeur.)