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La première partie de son plan venait de se réaliser. Les rues de Varsovie étaient peu animées. Malko ne mit pas cinq minutes à arriver place Zamkovy. Plusieurs fois il vérifia que personne ne le suivait… Il gara sa voiture en face de la cathédrale et continua à pied, vers le Rynek. Pourvu que Halina soit au rendez-vous ! Sinon, tout son plan s’écroulait.

* * *

Elle était là. Debout au comptoir, en train de manger une pâtisserie. Avec un manteau de vison vieillot et de hautes bottes noires. Le petit bar était plein. Halina dévisagea Malko d’un air calme. Comme si leur rendez-vous n’allait pas faire basculer sa vie. Il s’installa sur le tabouret à côté d’elle, regarda machinalement autour de lui. Halina eut un faible sourire.

— On ne m’a pas suivie. J’ai fait attention.

Malko laissa un billet de cent zlotys et glissa de son tabouret. Il avait hâte d’agir. Halina le suivit docilement. Sur les pavés gelés du Rynek, elle demanda :

— Où allons-nous ?

— Voir quelqu’un, dit Malko.

Jerzy devait les attendre. Ils montèrent l’escalier en silence. Malko frappa trois fois. Le jeune homme entrouvrit la porte. Avec lui, il y avait Wanda et deux autres jeunes Polonais qui serrèrent la main à Malko sans un mot. Un petit radiateur électrique brûlait, apportant un peu de chaleur.

Halina dévisagea calmement les trois.

Jerzy fixa Halina avec une expression presque douloureuse. Comme il ne se décidait pas à parler, Wanda demanda presque avec brutalité :

— C’est vrai ? Vous allez venir avec nous ?

— Oui.

Ce n’était pas possible. Il n’y avait pas une trace d’émotion dans sa voix. Comme si elle avait déjà été morte. Malko chercha son regard, le trouva. Serein, calme, détaché. Pourquoi Halina trahissait-elle maintenant l’homme qu’elle avait protégé pendant plus de trente ans… Incompréhensible.

— Ça me suffit, dit soudain Jerzy d’une voix étranglée. Ils vont partir détruire le fichier immédiatement et nous allons là-bas tous les quatre. J’ai une voiture.

— Moi aussi, dit Malko. Et je tiens à la garder. Elle est plus puissante que la vôtre.

Il avait brûlé ses vaisseaux. Il poussa Halina hors de la pièce et ils se retrouvèrent sur le Rynek.

Ils marchèrent en silence jusqu’à la place Zamkovy. La voiture n’avait pas bougé. Le prisonnier du coffre ne pipait pas. Malko consulta sa montre. Quarante minutes depuis qu’il avait quitté l’appartement.

— Combien faut-il de temps pour aller à Zelazowa ?

— Une heure environ, dit Jerzy.

Vingt minutes plus tard, ils roulaient au milieu de la campagne gelée et sinistre. On se serait cru au XIXe siècle. La route était toute droite, presque pas de circulation. Halina était assise à côté de lui.

Dans le rétroviseur, il vit que Wanda et Jerzy se tenaient la main. La jeune femme avait les traits tirés, les yeux hagards. Il se tourna vers Halina :

— Pourquoi avez-vous accepté de parler ? Elle mit plusieurs secondes avant de répondre :

— Peut-être parce que cette fois cela sera utile. Et puis… (Elle eut un geste fataliste.) Il y a des choses qui deviennent trop lourdes à porter un jour.

Le silence retomba. Troublé par un bruit léger. Wanda pleurait. Malko se retourna :

— Si tout se passe bien, dit-il, nous serons tous en sécurité dans quelques heures. Sinon…

La jeune femme secoua la tête.

— Ce n’est pas cela. Je n’ai peur ni de la mort ni de la prison. Si nous nous sauvons, tant mieux, sinon, tant pis. Mais nous y avons tellement cru, à Roman. Maintenant, je sais qu’il n’y aura pas de printemps, à Varsovie…

Chapitre XIX

Ils criaient Wolnosc, wolnosc[44] en frappant dans leurs mains. Les courants d’air faisaient vaciller les flammes des chandeliers posés sur le grand piano à queue, à côté duquel était assis Roman Ziolek, ses cheveux blancs reflétant les flammes des bougies, face à ses partisans, entassés dans la gentilhommière.

Malko observa leurs visages à la lueur dansante des bougies. Jeunes, sincères, tendus, les yeux brillants, puis des moins jeunes, aux traits marqués, mais les yeux brillant du même enthousiasme. Une dame âgée, un bonnet de fourrure enfoncé jusqu’aux oreilles, criait encore plus fort que ses deux jeunes voisins. Derrière les verres épais de ses lunettes, on devinait des larmes.

Des larmes de joie et d’espérance. Décidément les Polonais ne changeraient jamais. C’était aussi pathétique, dérisoire et respectable que les charges des cavaliers polonais contre les panzers SS en 1939.

Le rêve contre la réalité.

Malko observait la scène par une des ouvertures latérales de la salle, encadré de Jerzy et Wanda. La gorge nouée par l’émotion. Jusque-là, ils avaient eu de la chance. Au lieu d’arriver à Zelazowa par la route normale, ils avaient effectué un détour de plus d’une heure, montant au nord jusqu’à Nowy Dwor, puis redescendant sur Sochaczew, afin d’arriver de l’ouest, la direction opposée à Varsovie. Au cas où la Milicja ou le S.B. auraient déjà disposé les barrages routiers. Après Leszno, ils s’étaient arrêtés quelques instants au bord de la route déserte qui traversait la forêt et avaient bâillonné et ligoté le prisonnier du coffre.

Jerzy voulait l’abandonner dans la forêt pour qu’il y gèle à mort, mais Malko s’y était opposé.

Ensuite, ils avaient abandonné la voiture à deux kilomètres du village, continuant à pied. Comme s’ils venaient de Zelazowa. Deux gros bus étaient garés en face de la grille de la propriété où avait lieu le rassemblement. Avec quelques voitures particulières et un fourgon gris de la Milicja, deux haut-parleurs sur le toit. Il y avait de la lumière dans la petite auberge où devaient dîner ensuite les participants. Quelques miliciens en uniforme et quelques civils rôdaient, mais n’avaient pas intercepté les deux couples.

Dans le parc, ils avaient encore aperçu des ombres suspectes, mais personne ne s’était manifesté. Pourtant, il devait y avoir un agent du S.B. derrière chaque arbre.

Seule manifestation de la réprobation officielle : le courant avait été coupé, forçant les organisateurs à utiliser des bougies. Pratiquement, chacun en avait une.

Ce qui donnait encore plus de romantisme à la scène. Les participants s’étaient entassés dans toutes les pièces du rez-de-chaussée, qui devaient être bourrées de micros, la réunion ayant été annoncée à l’avance. Mais cela n’avait plus d’importance. Malko consulta sa Seiko-Quartz. Maintenant, le S.B. était sur le sentier de la guerre.

Combien de temps mettrait-il à interpréter correctement la situation ?

Le S.B. disposait d’un élément : la disparition de leur véhicule. De toute façon, ils étaient sûrs d’eux, sachant que Malko pouvait difficilement sortir de Pologne. Il avait basé tout son plan sur cela. Depuis le début, le S.B. avait joué la ruse et la souplesse. Il fallait convaincre Malko, non l’éliminer. Ils n’avaient changé de tactique qu’en dernière extrémité. Malko espérait bien que c’était trop tard. Il jouait sa vie sur ce pari.

Les claquements de mains s’arrêtèrent et il y eut un remue-ménage à côté du piano. Roman Ziolek venait de se lever. Appuyé au piano, il imposait le silence. Sa crinière blanche était imposante, faisant ressortir ses traits anguleux, les yeux profondément enfoncés. Malko comprenait que Halina ait pu être éperdument amoureuse de cet homme. Trente ans plus tôt, il avait dû être superbe. Il l’observa du coin de l’œil. Debout dans l’ombre, elle fixait intensément Roman Ziolek, comme pour le forcer à s’apercevoir de sa présence. Soudain, il comprit pourquoi elle était là. Une dernière fois, elle voulait lui rappeler son existence. Même si c’était pour le détruire…

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Liberté, liberté.