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Le roi, à ces mots que l’assemblée ne put écouter sans rire, laissa échapper un éclair de ses yeux.

Quant à de Saint-Aignan, il laissa tomber sa tête sur sa poitrine, et voila, sous un amer éclat de rire, le dépit profond qu’il ressentait.

– Oh! fit le roi en se redressant de toute sa taille, voilà, sur ma parole, une plaisanterie charmante assurément et, racontée par vous, madame, d’une façon non moins charmante: mais réellement, bien réellement, avez-vous compris la langue des naïades?

– Mais le comte prétend bien avoir compris celle des dryades, repartit vivement Madame.

– Sans doute, dit le roi. Mais, vous le savez, le comte a la faiblesse de viser à l’Académie, de sorte qu’il a appris, dans ce but, toutes sortes de choses que bien heureusement vous ignorez, et il se serait pu que la langue de la nymphe des eaux fût au nombre des choses que vous n’avez pas étudiées.

– Vous comprenez, Sire, répondit Madame, que pour de pareils faits on ne s’en fie pas à soi toute seule; l’oreille d’une femme n’est pas chose infaillible, a dit saint Augustin; aussi ai-je voulu m’éclairer d’autres opinions que la mienne, et, comme ma naïade, qui, en qualité de déesse, est polyglotte… n’est-ce point ainsi que cela se dit, monsieur de Saint-Aignan?

– Oui, madame, dit de Saint-Aignan tout déferré.

– Et, continua la princesse, comme ma naïade, qui, en qualité de déesse, est polyglotte, m’avait d’abord parlé en anglais, je craignis, comme vous dites, d’avoir mal entendu et fis venir Mlles de Montalais, de Tonnay-Charente et La Vallière, priant ma naïade de me refaire en langue française le récit qu’elle m’avait déjà fait en anglais.

– Et elle le fit? demanda le roi.

– Oh! c’est la plus complaisante divinité qui existe… Oui, Sire, elle le refit. De sorte qu’il n’y a aucun doute à conserver. N’est-ce pas, mesdemoiselles, dit la princesse en se tournant vers la gauche de son armée, n’est-ce pas que la naïade a parlé absolument comme je raconte, et que je n’ai en aucune façon failli à la vérité?… Philis?… Pardon! je me trompe… mademoiselle Aure de Montalais, est-ce vrai?

– Oh! absolument, madame, articula nettement Mlle de Montalais.

– Est-ce vrai, mademoiselle de Tonnay-Charente?

– Vérité pure, répondit Athénaïs d’une voix non moins ferme, mais cependant moins intelligible.

– Et vous, La Vallière? demanda Madame.

La pauvre enfant sentait le regard ardent du roi dirigé sur elle; elle n’osait pas nier, elle n’osait pas mentir; elle baissa la tête en signe d’acquiescement.

Seulement sa tête ne se releva point, à demi glacée qu’elle était par un froid plus douloureux que celui de la mort.

Ce triple témoignage écrasa le roi. Quant à Saint-Aignan, il n’essayait même pas de dissimuler son désespoir, et sans savoir ce qu’il disait, il bégayait:

– Excellente plaisanterie! bien joué, mesdames les bergères!

– Juste punition de la curiosité, dit le roi d’une voix rauque. Oh! qui s’aviserait, après le châtiment de Tircis et d’Amyntas, qui s’aviserait de chercher à surprendre ce qui se passe dans le cœur des bergères? Certes, ce ne sera pas moi… Et vous, messieurs?

– Ni moi! ni moi! répéta en chœur le groupe des courtisans.

Madame triomphait de ce dépit du roi; elle se délectait, croyant que son récit avait été ou devait être le dénouement de tout.

Quant à Monsieur, qui avait ri de ce double récit sans y rien comprendre, il se tourna vers de Guiche:

– Eh! comte, lui dit-il, tu ne dis rien; tu ne trouves donc rien à dire? Est ce que tu plaindrais MM. Tircis et Amyntas, par hasard?

– Je les plains de toute mon âme, répondit de Guiche; car, en vérité, l’amour est une si douce chimère, que le perdre, toute chimère qu’il est, c’est perdre plus que la vie. Donc, si ces deux bergers ont cru être aimés, s’ils s’en sont trouvés heureux, et qu’au lieu de ce bonheur ils rencontrent non seulement le vide qui égale la mort, mais une raillerie de l’amour qui vaut cent mille morts… eh bien! je dis que Tircis et Amyntas sont les deux hommes les plus malheureux que je connaisse.

– Et vous avez raison, monsieur de Guiche, dit le roi; car enfin, la mort, c’est bien dur pour un peu de curiosité.

– Alors, c’est donc à dire que l’histoire de ma naïade a déplu au roi? demanda naïvement Madame.

– Oh! madame, détrompez-vous, dit Louis en prenant la main de la princesse; votre naïade m’a plu d’autant mieux qu’elle a été plus véridique, et que son récit, je dois le dire, est appuyé par d’irrécusables témoignages.

Et ces mots tombèrent sur La Vallière avec un regard que nul, depuis Socrate jusqu’à Montaigne, n’eût pu définir parfaitement.

Ce regard et ces mots achevèrent d’accabler la malheureuse jeune fille, qui, appuyée sur l’épaule de Montalais, semblait avoir perdu connaissance.

Le roi se leva sans remarquer cet incident, auquel nul, au reste, ne prit garde; et contre sa coutume, car d’ordinaire il demeurait tard chez Madame, il prit congé pour entrer dans ses appartements.

De Saint-Aignan le suivit, tout aussi désespéré à sa sortie qu’il s’était montré joyeux à son entrée.

Mlle de Tonnay-Charente, moins sensible que La Vallière aux émotions, ne s’effraya guère et ne s’évanouit point.

Cependant le coup d’œil suprême de Saint-Aignan avait été bien autrement majestueux que le dernier regard du roi.

Fin du tome II

(1848 – 1850)

[1] Formule familière de refus, empruntée du latin.