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Commença alors pour Nicolas une nouvelle existence, ordonnée par la succession régulière des tâches. Tôt levé, il faisait ses ablutions à grande eau dans un appentis du jardin dont, avec la complicité de la bonne Catherine, il s’était approprié l’usage.

Il avait complété sa modeste garde-robe chez Vachon où le nom de M. de Sartine lui avait ouvert les portes et le crédit d’un tailleur qui avait même un peu forcé la commande, à la grande confusion de Nicolas. Les glaces lui renvoyaient désormais l’image d’un jeune cavalier sobrement mais élégamment vêtu, et le regard insistant de Marie lui avait confirmé son changement d’apparence.

À sept heures, il se présentait au commissaire Lardin, qui lui communiquait son emploi du temps. Les leçons de M. de Noblecourt, petit vieillard bienveillant, magistrat amateur d’échecs et de flûte traversière, étaient des moments de détente appréciés. Grâce aux conseils avisés de son professeur, il devint assidu aux concerts.

Nicolas poursuivit sa découverte de Paris et des faubourgs. Jamais, même à Guérande, il n’avait autant marché.

Le dimanche, il fréquentait les concerts spirituels qui se donnaient alors dans la grande salle du Louvre. Un jour, il se trouva assis à côté d’un jeune séminariste. Pierre Pigneau, né à Origny, dans le diocèse de Laon, aspirait ardemment à rejoindre la société des Missions étrangères. Il expliqua à Nicolas, admiratif, son vœu de dissiper les ténèbres de l’idolâtrie par les lumières de l’Évangile. Il voulait rejoindre la mission de Cochinchine, qui subissait, depuis quelques années, une terrible persécution. Le jeune homme, un grand gaillard au teint vif qui ne manquait pas d’humour, tomba d’accord avec Nicolas sur la qualité médiocre de l’exécution d’un Exaudi Deus par la célèbre Mme Philidor. L’enthousiasme du public les indigna tant qu’ils sortirent ensemble. Nicolas raccompagna son nouvel ami au séminaire des Trente-Trois. Ils se séparèrent en se donnant rendez-vous la semaine suivante.

Les deux jeunes gens prirent bientôt l’habitude d’achever leurs rencontres chez Stohrer, pâtissier du roi, dont la boutique, rue Montorgueil, était un rendez-vous à la mode depuis que l’artisan fournissait la cour en gâteaux de son invention que goûtait particulièrement la reine Marie Leszczyńska. Nicolas se plaisait beaucoup en la compagnie du jeune prêtre.

Au début, Lardin dont les fonctions n’étaient pas attachées à un quartier particulier — lui ordonna de le suivre dans ses missions. Nicolas connut, au petit matin, les poses de scellés, les saisies, les constats ou plus simplement les arbitrages des querelles, entre voisins, si fréquentes dans les maisons de rapport des faubourgs où s’entassaient les plus nécessiteux. Il se fit connaître des inspecteurs, des hommes du guet, des gardiens des remparts, des geôliers et même des bourreaux. Il dut se cuirasser devant les spectacles insoutenables de la question et de la grande morgue. Rien ne lui fut dissimulé et il comprit que la police devait s’appuyer, pour fonctionner, sur une foule d’indicateurs, de « mouches » et de prostituées, monde ambigu qui permettait au lieutenant général de police d’être l’homme de France le mieux informé des secrets de la capitale. Nicolas mesura aussi de quel précieux réseau de pénétration des consciences disposait M. de Sartine avec le contrôle de la poste et des correspondances particulières. Il en tira, pour lui-même, de sages précautions et demeura prudent dans les billets réguliers qu’il adressait en Bretagne.

Ses relations avec le commissaire n’avaient guère évolué, ni en bien ni en mal. À la froideur autoritaire de l’un répondait l’obéissance silencieuse de l’autre. Durant de longues périodes, le policier paraissait l’oublier. M. de Sartine, au contraire, n’hésitait pas à se rappeler à lui. Parfois, un petit Savoyard lui portait des billets laconiques le convoquant au Châtelet ou rue Neuve-Saint-Augustin. Ces rencontres étaient courtes. Le lieutenant général interrogeait Nicolas. Il semblait à ce dernier que certaines questions tournaient étrangement autour de Lardin. Sartine se fit décrire minutieusement la maison du commissaire et les habitudes de la famille, poussant l’enquête jusqu’au détail de la table. Nicolas était quelquefois un peu gêné de cette inquisition et perplexe sur sa signification.

Le lieutenant général de police lui ordonna d’assister aux audiences criminelles et de lui en résumer les séances par écrit. Un jour, il le chargea de lui rendre compte de l’arrestation d’un homme qui avait mis en circulation des lettres de change dont les signatures avaient été contestées. Nicolas vit en pleine rue les exempts attraper un individu aux yeux vifs, à la figure étonnante et qui parlait français avec un fort accent italien. L’homme le prit à témoin :

— Monsieur, vous qui me paraissez honnête homme, voyez comme on traite un citoyen de Venise. On se saisit du noble Casanova. Témoignez de l’injustice qui m’est faite. C’est un crime contre quelqu’un qui vit et écrit en philosophe.

Nicolas le suivit jusqu’à la prison de For-l’Évêque. Sartine, quand il lui fit son rapport, se mit à jurer sourdement et s’écria :

— Il sera libre demain : M. de Choiseul protège cet escroc, plaisant homme au demeurant.

L’apprenti policier tira diverses conclusions de cet épisode.

Une autre fois, il dut proposer l’achat de bijoux à un courtier en horlogerie qui se faisait délivrer, pour la revente, quantité d’objets précieux, mais dont la banqueroute était attendue. Nicolas devait se faire passer pour un envoyé de M. Dudoit, commissaire de police au faubourg Sainte-Marguerite, que Sartine soupçonnait d’avoir partie liée avec le courtier. Le chef de la police parisienne tenait son monde serré, ne souhaitant pas qu’éclatent à nouveau, comme en 1750, des émeutes populaires contre la malhonnêteté de certains commissaires. Même le monde du jeu ne resta pas étranger à Nicolas, il sut bientôt faire la différence entre recruteurs, embaucheurs, tenanciers, rabatteurs, receveurs de loterie et tout le monde de la cocange[1] et du bonneteau.

Tout à Paris, dans le monde du crime, tournait autour du jeu, de la débauche et du vol. Ces trois mondes communiquaient entre eux par d’innombrables canaux.

En quinze mois, Nicolas apprit son métier. Il connut le prix du silence et du secret. Il vieillit, sachant désormais mieux maîtriser ses sentiments en refrénant une imagination toujours trop agitée à son gré. Ce n’était plus l’adolescent que le père Grégoire avait accueilli à son arrivée à Paris. La lettre de Guérande qui lui annonçait l’état désespéré de son tuteur trouva un autre Nicolas. La silhouette sombre et sévère qui, dans ce matin froid de janvier 1761, se tenait à la proue du chaland, face à la Loire sauvage, c’était déjà celle d’un homme.

II

GUÉRANDE

Passion da Vener

Maro dar Zadorn

Interramant d’ar Zul

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1

Le jeu. L’origine de ce terme provient de la demi-noix de coco qui servait à un joueur clandestin pour des paris s’apparentant au jeu du bonneteau.