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Surtout le reste !

Sauf que l’Ange Noir n’est pas un policier héroïque mais un vilain massacreur.

Et voilà qu’il a obtenu une remise de peine.

Je le croyais condamné à perpète : mon œil !

Il retourne au charbon, le doigt sur la gâchette.

Fringué à neuf, mon tueur de charme part conquérir un public.

Un conseil, jolie fillette : si tu l’aperçois, change de trottoir.

San-Antonio

PREMIER ÉPISODE

LE BOULEVARD DES ALLONGÉS

À la mémoire de Dillinger, qui en a fait bien d’autres,

Éminence Noire de la Littérature.

L’Ange Noir

Prologue

Si vous ne craignez pas le vertige et si vous aimez les spectacles impressionnants, allez donc faire un tour dans les sommiers de la « criminelle ». Vous demanderez au tordu de service la permission de jeter un coup d’œil sur le casier judiciaire de « l’Ange Noir », et alors vous sentirez votre cerveau se ratatiner et devenir à peine plus gros qu’une larme de fourmi ; si vous avez encore des tifs sur le dôme — ce que je vous souhaite de tout cœur — ils se lèveront tout droit comme si on leur jouait « La Bannière étoilée[11] ». Et les bonshommes sentiront une certaine partie de leur individu se friper comme de la chicorée d’automne…

Ce cahier judiciaire, c’est un peu l’Everest des sommiers. Je crois qu’ils en sont fiers, à la grande taule, comme les Parisiens sont fiers de la tour Eiffel. Faut dire que, comme la tour Eiffel, il donne le vertige. Vous y lirez toute une collection de pseudos, parmi lesquels on espère que figure mon nom véritable. Je vous le dis tout de suite, tout ça c’est du flan. Puisque les journaux m’ont baptisé « l’Ange Noir », contentez-vous de ce blaze. Et puis, qu’est-ce que ça peut vous branler que je m’appelle Duschnock ou Tyrone Power ? Hein ? C’est pas d’être rancardé là-dessus qui paiera vos impôts.

Pour vous situer le bonhomme dans le temps et dans l’espace : je vais vous affranchir sur mon premier meurtre. C’est un des rares qui ne soit pas consigné chez les flics. Je l’ai commis le jour de ma naissance. Parfaitement ! Maman a accouché à l’arrière d’un camion transportant des vélos. Elle ne m’attendait pas si tôt. Le conducteur qui l’avait prise en charge n’a pas entendu ses cris, because, il conduisait un de ces vieux Macs qui font plus de raffut qu’un train de banlieue. Alors, elle est claquée dans les vélos, maman. Je l’ai saignée à blanc. Ça faisait neuf mois que je devais mijoter ce coup-là, tel que je me connais. Tu parles d’une préméditation, mon neveu ! Maintenant, du haut de mes trente piges, je ne peux pas m’empêcher de penser que c’était le destin qui la ramenait déjà. Le destin ! Vous savez bien ? C’est ce petit mec farceur qui vous pousse en avant à coups de pompes dans le baquet et qui vous fait faire les pires conneries…

Mon destin, moi, je l’ai gagné de vitesse. Je lui ai fait le bon poids ! Tellement même qu’il doit avoir envie de me tirer son chapeau. Mais le destin, sûrement, ça ne doit pas porter le bada…

Je vous ai dit, plus haut, que c’était la Presse qui m’avait surnommé « l’Ange Noir ». Ceci pour vous montrer que les mecs des journaux ont de l’imagination. Ils en ont trop. Je n’aime pas du tout la façon qu’ils ont de tartiner sur mes faits et gestes de manière à les rendre présentables. La poésie du fait divers, je l’ai dans le baigneur, et la meilleure preuve, c’est que je vais illico l’écrire, moi, le journal de mon activité.

S’ils en veulent, du pris-sur-le-vif, du bien-saignant, ils seront sucrés, les journaleux.

Je suis capable de faire ma biographie, vous verrez, en noir et en technicolor. Sans 25 bavures, sans truquages… Les personnes sensibles pourront se faire servir des vulnéraires.

Bon ! On y va, oui ?

Chapitre premier

— Arrête, me dit Sissy, j’ai un paquet à prendre chez Werley.

Je freine et me range le long du trottoir, juste devant le magasin de chaussures. Sissy saute de la calèche et disparaît dans la boutique.

Je bâille. J’ai la gueule toute désœuvrée. Il est trop tôt pour attaquer au rye, trop tôt même pour fumer… Hier au soir, on s’est un peu poivré les naseaux, chez Jo. Et ce matin, j’ai la bouche du mec qui aurait morfillé un édredon à son petit déjeuner au lieu de ses œufs frits.

Il fait beau. C’est le printemps qui remet ça. Y a du soleil dans les rues et les souris remuent du prose comme si elles s’entraînaient pour écrire huit mille huit cent quatre-vingt-huit avec leur derche. Vous savez ? C’est un de ces matins où toutes les gerces sont plaisantes et où les hommes ont l’air moins glands et moins faux jetons que d’ordinaire.

Sissy sort de chez son bottier, un paxon à la main. Elle grimpe vivement à mes côtés.

— T’as remarqué ? fait-elle brièvement.

— Remarqué quoi ?

— Allez, décarre !

Je tire mon démarreur.

— Hein ? Remarqué quoi ?

Elle hausse ses jolies épaules.

— T’as du pâté de foie dans les châsses, ou quoi ?

J’ai l’idée de bigler le rétro. Je constate alors que le cabriolet noir qui était stoppé derrière moi vient de se mettre en branle. Il me suit.

Je me dis que ça ne doit pas être une voiture de flic, car l’engin ne me paraît pas très puissant. Si je veux le semer, je n’ai qu’à emprunter Michigan Boulevard et appuyer sur le champignon. Mais la course, c’est le grand moyen : celui qu’on emploie lorsqu’il est impossible de faire autrement.

— Comment l’as-tu remarqué ? je demande à Sissy.

— Pendant qu’on me servait, chez Werley, je regardais dehors… Y a un petit mec, dans le cabriolet, qui se déhanchait le cou pour voir ce que tu maquillais…

Du coup, je ne sens plus ma gueule de bois.

— O.K., on va voir…

Je commence une petite série de crochets à travers Chicago. Le cabriolet est toujours derrière. Pas de doute, c’est bien à moi que le zig en a.

Alors il me vient une idée. Parce qu’il faut que je vous le dise tout de suite : des idées, y en a autant dans mon crâne qu’il y a d’œufs d’esturgeons dans une tonne de caviar. Délaissant mes zigzags, je fonce dans la banlieue rupinos. J’ai un petit coin, du côté du lac, où je vais pouvoir donner libre cours à ma fantaisie.

Nous roulons sur une belle avenue plantée d’arbres. J’enfonce un peu le champignon. Le cabriolet perd pied légèrement, assez pourtant pour que je puisse réaliser mon plan.

— Qu’est-ce que tu maquilles ? demande Sissy.

Je lui conseille de se coller de l’albuplast sur les lèvres. J’aime pas beaucoup les gonzesses qui la ramènent au moment où on exécute un numéro de haute voltige.

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11

Hymne national américain.