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Il fallait, pour pénétrer dans ce lieu saturé d’horreurs, passer par la cour, la ci-devant porte donnant sur le boulevard Gouvion-Saint-Cyr étant condamnée (à perpète) par un Himalaya de choses plus ou moins bancroches qui risquaient, semblait il, de carboniser la grande vitre grise et jaspée d’auréoles. On entrait donc par ce qui avait été conçu porte de service, laquelle prenait dans une paroi coulissante permettant la circulation des meubles volumineux. Tout de suite à droite en entrant, on avait frayé un chemin à travers ce foutoir qui conduisait à une pièce servant de bureau. Paradoxalement cet endroit était clair, propre, meublé design ; il comportait un sofa couvert de soie sauvage de couleur orange, avec une cohorte de coussins bleu roi.

Le maître des lieux, Achille Parmentier[6], un quinquagénaire chauvasse et ventripotent, discutait avec deux gars pas très sympathiques. L’un avait un œil blanc qui le rendait incommodant, l’autre regardait tout un chacun avec l’air de se demander combien ça lui rapporterait s’il le butait.

— On a été floués, déclara Parmentier, il ajouta (parce que nous sommes dans un San-Antonio) : comme des patates !

Ses interlocuteurs hochèrent leurs têtes faisandées pour marquer l’acquiescement.

L’antiquaire reprit :

— Le petit Ventru a été abattu sans sommation et ils ont embarqué Zadig.

— Qui ça, « ils » ? demanda l’œil blanc, mais avec sa bouche.

— A première vue, les gens du laboratoire.

— Les gens d’un laboratoire ne disposent pas d’une équipe de tueurs volants, fit l’autre personnage qui avait pour patronyme Julien. Selon moi, ils ont dû rencarder les poulets.

— J’imagine mal les poulets tirant sans sommation devant la populace ; ce serait plus qu’une bavure…

— Si vous croyez qu’ils se caillent pour ça. Dites, et Mesrine, ils lui ont envoyé une lettre recommandée pour lui annoncer qu’ils allaient l’allonger ?

— Tout de même, soupira Achille Parmentier, je flaire autre chose de plus compliqué. Toujours est-il que cette putain de valise doit présenter un sacré intérêt pour quelques gens. Mais c’est pas le tout : je m’attends à de la visite. Zadig est un intrépide, pourtant je doute qu’il se laisse arracher les couilles plutôt que de me balancer.

— On vous couvre, patron, déclara Nonœil en caressant un renflement de son costar pied-de-coq.

— Merci. Mais pas de grabuge inutile. S’il se produit du caca, n’intervenez qu’en cas de gros patins. Je préférerais la négociation.

— Vous voulez négocier quoi avec des gus qui vous refroidissent vos fines lames sans même s’annoncer ? grinça Julien.

Il sortit de sa poche une boîte de pastilles Valda et en prit une qu’il glissa avec dévotion dans sa clape comme s’il se fût agi d’une hostie. Parmentier s’attendit à le voir s’envoler, comme dans la pube, mais l’homme à la frime charognarde resta le cul sur sa chaise Knoll.

Achille Parmentier était un homme de décision ; il ignorait la peur malgré sa frime rondouillarde qui suait le bien-être bourgeois.

— L’effet ne se fit pas attendre, murmura-t-il, en regardant par la baie vitrée qui donnait sur la cour.

Ses péones l’imitèrent et virent survenir deux hommes probablement étrangers. L’un était roux, massif, avec une frime d’ancien boxeur plus riche de coups reçus que de coups donnés ; l’autre avait l’air d’un gitan. De toute évidence, ce tandem ne venait pas ici pour acheter des meubles, ni même pour en vendre.

— Eh bien, il va falloir ouvrir l’œil, déclara Parmentier, car je pressens que ces messieurs arrivent avec de mauvaises intentions.

Nonœil pressa à nouveau la bosse de sa veste.

— Je ne mets pas longtemps à dégainer, assura-t-il avec des mines pour westerns.

Boris, suivi de Stevena, parcourait le sentier ménagé dans la jungle de cette pouillerie et se pointa jusqu’à la porte vitrée du bureau à laquelle il frappa.

— Entrez ! fit Achille Parmentier.

Au lieu d’obéir, Boris s’effaça pour laisser le champ libre à Stevena. Ce dernier tenait une mitraillette et, sans l’ombre d’une hésitation, tira une salve à travers la vitre en direction de Nonœil et Julien. Les deux hommes s’écroulèrent en geignant. Ils n’avaient pas eu le temps de sortir leurs propres armes tant l’action avait été fulgurante.

Boris poussa la porte.

— Vous nous avez bien dit d’entrer ? demanda-t-il avec civilité.

Achille Parmentier sentit son courage dévaler au fond de sa personne et peser fort sur ses sphincters. La perspective de souiller son pantalon l’effraya et il fit un immense effort.

Les arrivants retirèrent les deux sièges dont les socles étaient coincés par les jambes de leurs victimes, ils les rapprochèrent du bureau de l’antiquaire, Boris plaça même le sien de l’autre côté du meuble, c’est-à-dire près de celui d’Achille Parmentier.

Un silence effroyable se développa, coupé par les ultimes râles des hommes foudroyés. Stevena et Boris ne perdaient pas leur hôte involontaire de vue. Parmentier déplaçait sa tête pour les contempler alternativement. Il se demandait de quel côté allait venir sa mort. Car il ne doutait pas de son imminent trépas. Ces hommes étaient d’une cruauté totale. La manière impitoyable dont ils venaient de liquider ses gardes du corps était éloquente.

Lorsqu’on abat quelqu’un avant de lui dire bonjour, c’est qu’on est déterminé à tout et que le pire est votre style.

— Eh bien, terminons-en, finit-il par articuler.

Il songeait au pistolet qui se trouvait dans le tiroir du bas de son bureau. L’arme lui parut dérisoire, aussi inutile que son stylo. Jamais ses visiteurs ne le laisseraient accomplir le moindre mouvement.

Stevena désigna Nonœil et Julien.

— Vos gardes du corps ont eu de la chance, fit-il : ils n’auront pas eu le temps de souffrir.

Le sous-entendu découlant de l’assertion mit de la glace dans le ventre du gros homme. D’accord, il allait crever. Il avait toujours eu cette perspective en arrière-pensée. Quand on fricote dans l’illégalité et qu’on passe son temps à arnaquer tout un chacun, y compris ses complices, il faut s’attendre à une telle finalité. Il se demanda, à cet instant, s’il n’avait pas, tout au long de sa vie, caressé cette tentation suicidaire : en finir violemment. Périr d’une rafale ou d’une balle dans la nuque. Mais il était allé trop loin. Il lisait sur les visages de Boris et de Stevena que « cela » allait être difficile, horrible, même.

— Vous devinez ce qu’on vient chercher ? demanda Boris avec son drôle d’accent.

Parmentier déglutit plus ou moins bien et balbutia :

— Oui, mais dites toujours…

— La valise, naturellement !

— Naturellement, admit Parmentier.

— Vite ! coupa Stevena.

— Vous pensez bien qu’elle n’est plus ici ! risqua le receleur.

— Vous pensez bien que si ! riposta paisiblement Stevena.

Son regard noir, intense, ressemblait à deux vrilles qui s’enfonçaient dans les yeux terrorisés du bonhomme.

— Ecoutez…

— Levez-vous ! l’interrompit Boris.

Parmentier se dressa, un peu en « Z » à cause de son fauteuil et du bureau. Boris retira le siège ; puis il glissa la main sur le ventre de son interlocuteur et se mit à dégrafer sa ceinture.

— Mais qu’est-ce que vous faites ? s’insurgea le bonhomme.

Sans répondre, Boris s’attaqua au pantalon ; il le lui défit complètement jusqu’à ce qu’il chût sur les chaussures de Parmentier ; après quoi, il tira sur son slip, dénudant un gros derrière pâle et velu, cloqué de cellulite.

— Penchez-vous un peu en avant sur votre bureau.

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6

Pardonne-moi, ô mon lecteur adoré, d’avoir déposé deux « Achille » dans cette histoire, mais le premier existe depuis des décades, et le second est venu y faire un calembour.

San-A.