Ici, c’est more beautiful qu’autrefois. Le parc est somptueux, les pelouses soignées à l’anglaise, l’odeur subtile, le chuchotement des jets si soyeux…
Arrête, Sana ! Trop de poésie va faire chier ton lecteur. C’est pas des roses Baccara qu’il vient chercher dans ta musette, et il regrette que tes états d’âme ne soient pas imprimés sur papier de soie, tant tellement qu’il s’en torcherait volontiers le joufflu !
Je regarde alentour, trouve facilement mes repères. C’était inscrit dans ma caberle : la statue de Zeus, le buis sculpté au sécateur en forme de boutanche, le massif de flowers. N’alors je scrute la façade du palais à l’arrière-plan et, sans nul mal retapisse le conduit ménagé dans le mur. Son tracé se lit grâce à d’imperceptibles craquelures dues à la chaleur. Il va depuis le rez-de-chaussée au toit, en une légère diagonale.
M’approche mine de rien et détecte le point où il s’enfonce dans le sous-sol. Les grands policiers comme moi… Qui vient de crier « Tu te mouches pas du coude » ? Merci ! Trop aimable ! Où en étais-je-t-il ? Ah ! oui : les honnêtes policiers jouissent généralement d’un sens suraigu de l’orientation. Ainsi, je conçois aisément à quel point du hall correspond, au-dessous, l’arrivée de cette gaine.
Désormais, la partie que j’entends jouer est simple comme la raie de tes fesses : il s’agit de me rendre au sous-sol et d’explorer.
Mais impossible de procéder de jour à ces investigances. Je serais renouché dans les plus brefs des laids. Attendre la noye. Et même la seconde partie de ladite, les couilles de trois ou quatre plombes, quand tout le monde en écrase.
Au cours de la journée, je me contente de repérer l’escadrin ; il se trouve à promiscuité des cuisines. Me faudra réitérer le gag du détourneur d’images en ce qui concerne la vidéo de surveillance. J’en compte trois sur le parcours qui va de ma chambre à l’escalier des caves.
A midi, je ne suis pas convié au déjeuner princier, biscotte Sa Majesté reçoit. Effectivement, vers 13 heures je vois se radiner trois bagnoles sur le terre-plein d’accueil : Mercedes, Bentley, BMW, dans les fortes cylindrées. Du beau monde en descend : des Espingos de la haute, plus un couple de blondassous rougeoyants que je te parie germains ou, à la rigueur, scandinaves (c’est le même cierge qui coule !).
Les invités sont priés à prendre l’apéro sur la terrasse et les détonations du Dom Pérignon retentissent bientôt.
Rumeur de bon ton. Rires parcimonieux et discrets. La classe !
La petite Espingo qui parle français m’apporte un plateau-repas indénué d’intérêt : bouillabaisse froide, melon au porto. Pas triste. Que n’en plus, j’ai droit à une boutanche de Meursault (peut-être un peu trop fruité mais, en tout état de cause, racé).
Je vais claper sur la terrasse, vêtu d’un short blanc moulant, qui met en évidence mon solide paquet de burnes, et d’un polo également blanc. Je me dis que jusque-là, si j’excepte l’intempestivité du docteur Ti-Pol, tout baigne. J’ai l’impression de passer une convalescence grand luxe dans une maison de cure sur-huppée.
La tortore dégustée, je vais me déposer sur le lit. L’appareil à air conditionné plonge la pièce dans une fraîcheur propice à la dorme. J’ignore si tu l’as remarqué, mais, en période de désœuvrance, plus t’en concasses, plus t’as sommeil ; à croire que ton corps démobilisé capitalise le repos.
Rêve bleu. De quoi est-il question ? C’est imprécis. Je bande languissamment. Entre chien et chatte. L’antichambre de la volupté, tu connais ? Ta carcasse devient aussi légère que ton âme.
C’est la petite soubrette qui me désolympe en venant quérir le plateau dévasté. Elle s’arrête un instant pour s’assurer que je dors. Les yeux clos, je lui souris.
Alors elle murmure :
— Pardon de vous réveiller.
— Viens çà, que je voie ? lui fais-je, comme disait Molière à la petite Béjard.
Elle est choucarde, cette crevette ; ce qui me contriste un pneu c’est qu’elle se laisse tringler par les Dalton Blint et Howard.
Je demande, suivant ma pensée préoccupante :
— Ils te font pas l’amour à cru, ces deux lascars de merde ; j’espère qu’ils mettent un passe-montagne ?
Elle sourcille au départ, puis décrypte ma question et se marre.
— Plutôt douze qu’un ! fait-elle. Ils ont une trouille terrible du Sida.
Je lui tends la main. Elle se laisse haler jusqu’à ma couche en murmurant :
— Je n’ai pas beaucoup de temps…
— Si peu qu’il y en a, ça fait tout de même plaisir, réponds-je, parodiant une vieille chanson de mémé.
Dix secondes plus tard, j’écrase ses lèvres sous les miennes, comme on écrit dans les beaux livres bien chiés et qui valent des prix fous. Sa petite culotte ne devient plus qu’une patte à poussière dans ma main soudarde. La gosse se laisse courtiser le frifri avec élan et détermination. Mouillette détourée avec fingers de reconnaissance en rang par deux, ensuite par trois et pour finir par quatre afin de préparer l’entrée solennelle de mon chibraque dans son temple d’amour.
Elle m’ingurgite du bas et halète comme une vieille locomotive dans la cordillère des Andes. Elle a droit à une fringante troussée cavalière, rapide, nerveuse, sans équivoque, qui la pâme en deux coups les gros. Simple coït au pied levé, qui ne cherche pas à l’éblouir mais lui apporte une saine et intense satisfaction, nonobstant sa relative brièveté.
Je la libère de mon occupation et, en Ibérique élevée en France, elle me demande la permission d’aller se refaire une virginité dans la salle de bains.
Peu après, elle repart avec le plateau, oubliant sa petite culotte dont je décide de me faire une pochette. Non que j’aie le goût du trophée, mais il est des souvenirs dont le parfum nous enchante.
Le corps en paix, je décide de piquer une tronche dans la piscaille.
Je tritonne délicieusement quand une sonnerie se met à vibrionner dans ma turne. Ne recevant pas lerchouille de communications, je mets un bout à comprendre que c’est chez moi que ça tinte.
— J’écoute ?
Une voix d’homme demande :
— Tout va bien, commissaire ?
Puis on raccroche et le grand garçon de Félicie reste comme un con dans sa chambre fraîche, avec un combiné téléphonique plaqué contre sa joue.
12
TU T’ÉCARQUILLES, CAMILLE
Le mec qui inventa par inadvertance la machine à cambrer les bananes n’a pas dû éprouver une plus forte émotion que ma pomme en m’entendant appeler par mon titre[8]. Et moi qui croyais être peinard, une fois le Chinois retiré du circuit ! La vie est charognarde, tu sais. Un danger succède à un danger. Tu ne t’es pas plus tôt guéri d’une vérole qu’une autre se déclare !
Je tente de trouver le propriétaire de cette voix. En vain, en vin, en vingt ! L’homme parlait un français sans anicroches. Je me demande même s’il n’avait pas l’accent de Ménilmuche ?
En tout cas, ma sécurité est compromise. Ne devrais-je pas me casser prompto pendant qu’il en est temps encore ? La perspective d’être immergé dans le détroit me file des frissons sous-testiculaires mahousses comme de la tôle ondulée.
Si mon identité est le secret de polichinelle, je risque de voir tourner court ma vie d’élite. Le docteur Ti-Pol aurait-il fait des confidences à quelqu’un du palais ? Pas impossible. Va falloir que je vigile dur pour conserver ma position verticale, à nulle autre pareille.
Au cours de l’aprème, les invités repartent, raccompagnés jusqu’à leurs tires par le prince et la mère Shéhérazade.
8
La carrière de San-A. est allée beaucoup plus loin que « commissaire », mais il a illustré ce titre de si belle manière que tout le monde continue de le lui donner.