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Pour t’en revenir à l’auberge, c’est un bâtiment cacateux (par sa couleur et son architecture) ; rien n’est très folichon dans ce pays, malgré sa latinité. Il a subi trop d’épreuves, trop de tyrannie. Il en a résulté une sorte d’apathie chez ses habitants, un désenchantement endémique qui se répercute sur la vie courante.

Les branleurs qui se risquent dans ce coin viennent principalement des autres pays de l’Est. Les Occidentaux y sont rares et ont été amenés par le mythe de Dracula. Ils consacrent deux ou trois jours à la visite de la région, espérant apercevoir un vampire dans les sombres clairières ou parmi les ruines d’anciens châteaux ; puis, comprenant qu’ils l’ont dans le cul question folklore, ils rengainent leur Nikon et jouent cassos.

L’établissement où nous créchons se divise en deux parties : l’une réservée aux autochtones, la seconde aux « voyageurs ». Cette dernière se subdivise en chambres pour pensionnaires et en constructions annexes louées par les estivants « longue durée ». C’est l’un de ces logements (que je n’ose qualifier de bungalow) que nous occupons, mes deux sbires et moi ; ce qui explique que je n’eusse pas encore croisé la famille Béru depuis mon arrivée. Le confort y est chichois. Deux chambres, avec un lavabo dans chacune d’elles où l’eau chaude est tiédasse et l’eau froide marronnasse. Des gogues communs à tous les cabanons (aux heures de boyasses en détresse, beaucoup de pensionnaires vont se libérer en forêt) constituent l’édifice le plus coquet du complexe, avec sa porte peinte en bleu et percée d’un cœur romantique. Afin, je pense, d’en exalter les mérites, on a planté autour de ce chalet de nécessité de superbes hortensias, si bien que ce lieu consacré à la défécation collective est le seul qu’on souhaiterait habiter.

Allongé sur mon méchant lit de fer qui grince comme quatre étages d’hôtel de passes lorsque je remue, je dresse un bilan désenchanté de la situation.

Pourquoi diantre ai-je accepté cette mission unique en son genre ? Parce que c’est le Premier ministre en personne qui me l’a demandé ? Oui, hein ? Je me suis fait baiser à la gloriole, une fois de plus ! La cocarde, toujours, l’Antonio. Je te répéterai jamais assez : mon modèle ? Le député Machin[11]. « Messieurs, voilà comment on se fait tuer pour quarante sous ! » Ça procède de la folie douce. Ta peau pour un instant d’épate ! Mais j’aime. Ta mother t’a élevé au lait Guigoz, tu t’es fait chier pour passer ton bac, t’as été reçu premier à ceci cela, with les congratulations du jury et tu vas te faire éclater la tronche pour épater trois pelous de mes fesses ! Plus nœud volant personne ne peut ; c’est trop tout. Mais mourir d’amour ou pour la France, mourir d’un chouf ou d’orgueil, où est la différence, Hortense ? Ta garcerie de peau est à ta disposition ; c’est ton unique bien en ce monde. Alors si ça te chante de la transformer en ballon rouge dont tu lâches la ficelle, c’est TON problo, mon mec. Ce qu’en pensent les autres est conchiable, nul et non avenu, tu comprends ? Là est ta seule véritable liberté.

Et que donc, pour t’en revenir, le Pommier sinistre en personne me mande. Discours. Style : « Mon cher, tout bien examiné, il n’y a que vous qui puissiez réussir cette telle mission ! » Déjà, j’humecte la poche kangourou de mon slip, d’un tel langage, tu penses bien ! Y a que vous ! On t’a déjà virgulé une déclarance comme en pleine poire, tégus ? C’est plus fort que quand la princesse Anne te lèche les couilles en te filant un doigt dans le fion (après avoir retiré ses bagues bourrées de carats, pas t’écorcher, œuf corse). Illico, ça te trémulse les glandes orgueillales.

« — L’homme a la réputation d’être un dangereux névropathe, a enchaîné le destinateur national. Le bruit court qu’un homicide ne lui fait pas peur et il traîne avec lui une légende soufrée. Pour l’appâter sérieusement, il n’est qu’un seul moyen : cultiver sa marotte relative aux diamants du shah d’Iran. Si vous étudiez bien son problème et parvenez à l’approcher en lui parlant le bon langage, il est probable que vous arriverez à forcer sa confiance. Alors, sans doute, pourrez-vous remonter jusqu’à l’affaire qui nous intéresse. Les joyaux d’Iran, est-il besoin de vous le préciser, nous laissent froids : nous ne sommes pas des pilleurs d’épaves. »

Ces phrases résonnent encore sous ma coiffe.

J’ai relevé le gant, ou le défi, ou le pan arrière de ma limouille, comme tu voudras, et me suis laissé mettre profond.

Et à présent…

A présent, merde !

Le maréchal Montgomery avait plus beau chpil pour piquer Rommel à El Alamein.

Ma chambre pue l’humidité ; une odeur qui m’a toujours fait penser à la mort.

Voilà que ma lourde ouverte à la volée va écailler le plâtre du mur. Blint surgit, son visage de fouine est assombri par une expression mauvaise.

— Où est Howard ? aboie-t-il kif un chacal enrhumé.

Tiens, il lui est venu deux vilains boutons rouges sur la gueule, pareils qu’à un qui a mangé des conserves périmées.

Je le mate d’un air peu amène, ainsi qu’on exprime dans les books briqués au polish.

— Qu’est-ce qui vous arrive, vieux ? lui fais-je d’un ton d’ennui. Vous ne me l’avez pas donné à garder !

— Il devait aller en forêt, lui aussi ! éclate la fouinasse survoltée.

Ici, le Maure me monte au nez, comme on dit puis dans Othello.

Je saute de mon plumard et marche sur Blint avec le visage d’un gusman qui en a marre d’être emmerdé par un roquet sans pedigree et qui décide de passer un drop-goal en lui savatant le trouduc.

— Vous commencez à me bassiner le dessous des testicules, lui dis-je. Je n’admets pas qu’on me parle sur ce ton, et si vous continuez, je vais lancer un coup de fil à Monseigneur pour lui demander de rappeler ses toutous ; je ne tolère pas d’être emmerdé quand je travaille. On a sur les bras une mission qui n’est pas une partie de plaisir. Je veux bien risquer ma peau et ma liberté, mais à condition qu’on me laisse agir sans miner mon parcours ; compris ?

Ça lui fait ce que j’escomptais et même un peu plus. Le voilà qui rengracie instantanément et devient gentil comme la serveuse d’un salon de thé suisse.

— J’avais rendez-vous avec lui, et il n’est pas venu, bredouille ce zigus brusquement démonté.

— Que voulez-vous que j’y fasse, Ducon ?

— Eh bien, je ne trouve pas ça normal.

— Moi non plus, mais qu’y puis-je ?

— Je… je crains qu’il ne lui soit arrivé quelque chose.

— C’est probable, en effet.

— Mais quoi ? bafouillasse le petit crevard aux boutons.

— Comment le saurais-je ; il s’y rendait dans quelle intention ?

Non-réponse du zig. Et pour cause ! Il lui est difficile de m’annoncer que son acolyte me surveillait.

— Vous ne l’avez pas aperçu ? se risque-t-il, déjà moins belle queue (comme dit Béru pour « belliqueux »).

— Non. J’aurais dû ?

Il hoche la tête.

— Allons dîner, conseillé-je ; il arrivera probablement pendant ce temps-là et nous expliquera la raison de son retard. Après tout, peut-être s’est-il perdu ? Vous connaissez l’histoire du Petit Poucet ?

C’est pas qu’il aime la jaffe, le jockey, mais la picole, il déteste pas, surtout quand il est loin du prince. Pour lui, c’est un peu la récré, de se trouver à quelques milliers de kilbus du palais, aussi en profite-t-il pour se maquiller l’intérieur au whisky (fabrication nationale). Il l’écluse comme moi de la bière, dans un grand verre plein à ras bord. Une nature !

Aujourd’hui, c’est fête. De quoi ? De qui ? Je l’ignore. En tout cas ça festoie dans le landerneau. A l’auberge, l’alcool coule abondamment et deux musicos travaillent de l’accordéon et du saxo en virtuoses.

A distance, je regarde Berthy dans ses œuvres. Elle boute-en-traîne avec les militaires de la forteresse, réservant sa séduction au gradé déjà mentionné. Un type qui a le gabarit de la cathédrale de Chartres, avec une forte moustache du genre celle des poilus de la Quatorze au départ.

L’homme en question (en anglais : in question) mesure cinq pieds six pouces et tu lis sa force sur sa gueule, aussi clairement que sa connerie.

Mon compagnon, murgé comme toute la Pologne, ne pense plus à son coéquipier. Je l’emmène au dodo sans difficulté, pousse la magnanimité jusqu’à lui retirer ses tartines ainsi que son bénoche. Ensuite de quoi j’éteins la lumière et retourne au musette afin de capter la situasse sous tous ses angles.

La mère Berthy est la reine de la fête. Juchée sur un bout d’estrade, elle exécute un french-cancan qui ferait dégobiller de jalousie les jolies demoiselles du Casino de Paris.

Sa jupe paysanne virevolte autour de sa taille. Comme la dame ne porte pas de culotte afin que sa babasse puisse « respirer à l’aise », elle est le centre d’intérêt de la soirée et les hommes se bousculent pour se placer au premier rang.

Béru qui m’a retapissé, me rejoint, l’œil allumé, la pommette d’api, les lèvres dégoulinantes.

— On dira c’qu’ tu voudras, dit-il, plus épanoui qu’un dahlia en train de se flétrir, mais ma Berthe est tunique. La manière qu’elle te fout une ambiance, tu croives une vraie professionnelle !

Je ne lui demande pas de quelle profession il veut parler.

— Où en es-tu de tes renseignements, Gros ?

— Ça carbure. L’un des gus de la garnison jacte le français aussi bien que moi. D’après s’lon c’qu’y m’a causé, y crèchent à la prison : au reste-chaussé. Les prisonniers occupent l’premier laitage. Les gardiens sont tous célibataires. Y sont par quatre dans les logements ; j’peux m’gourer, mais c’est un’ planque d’père d’famille que matoner dans c’t’ pension. Y aurait qu’une dizaine de taulards, des politiques, uniqu’ment. Si bien qu’ pour c’qu’est du boulot, ça baigne.

Là-bas, sur le petit praticable, la Baleine se livre à mort. N’hésite pas à rester troussée pour exhiber sa babasse babineuse à ces messieurs congestionnés. Tu croirais un film porno teuton. Elle ferait carrière chez les tronches carrées, la grosse vachasse !

— Alexandre-Benoît, dis-je, de ce ton pénétré qui galvanise les individus primaires, ce sera cette noye ou jamais !

— Quoice ?

Poursuivant ma poussée irrésistible, je continue :

— Qu’on va tenter le coup. A cause de la fête, la plupart des gardes seront gelés. Berthy doit absolument se laisser emporter dans la citadelle. Je vais lui remettre ce qu’il faut pour neutraliser ces bonshommes. Quand elle aura épongé son moustachu, elle agira. En ton âme et conscience, la crois-tu capable de suivre à la lettre mes instructions ?

— T’es injurieur d’m’poser la question, grand ! C’t’un êt’ d’élitre, ma femme. Ell’ est d’la race à Jeanne d’Arc, Maâme Curie, Simone Vieille !

— Alors, quand elle aura terminé ses conneries scéniques, dis-lui de me rejoindre aux gogues pour y recevoir mes instructions.

Le Mastard bandonéone du frontal.

— Aux chiottes ! grommelle-t-il. Tu s’ras corréque, j’espère !

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11

Baudouin, Baudin, j’ai un trou.