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Quigley restait figé. On voyait ses veines palpiter à son front et sur ses tempes. Le pistolet de sport.22 — à peine plus qu’un jouet — tressautait violemment dans ses mains.

« Respire, sinon tu vas t’évanouir. »

L’air jaillit de la bouche de Quigley en un long soupir. Il reprit son souffle, et à nouveau exhala un gémissement douloureux.

En haut, la voix de McGinty ordonna : « Tue-le, Quigley ! »

Ellen cria.

« Tu n’as aucune raison de mourir, déclara Fegan.

— Tue-le !

— Tu n’es pas obligé de mourir », dit encore Fegan.

Quigley était incapable de viser, tellement ses mains tremblaient.

McGinty hurla d’une voix qui se brisait dans les aigus : « Putain, tue-le !

— À toi de choisir, dit Fegan. Tu peux décider de vivre. »

Malgré la raideur qui s’installait dans son bras gauche, il tendit la main. Quigley le dévisageait, cherchant à deviner ses intentions.

« Tu resteras en vie, si tu le souhaites. Malloy et le Bull sont gravement blessés. Les autres sont morts. McGinty va bientôt y passer. Mais tu n’es pas obligé de mourir avec lui. Choisis. »

Quigley baissa les yeux. Il relâcha les épaules.

« Quigley ? » Ce n’était plus de la colère dans la voix de McGinty. « Quigley ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Quigley déposa le pistolet dans la main que lui tendait Fegan en évitant de le regarder.

« Va-t’en, dit Fegan en glissant l’arme dans la poche de sa veste.

— Merci. » Les yeux au plancher, Quigley se précipita vers la cuisine.

Dans le couloir sombre dont il était sorti, Fegan distingua une porte entrebâillée, et au fond, le mur arrière de la maison qu’éclairait vaguement la lumière du jour. Il devait y avoir une fenêtre quelque part.

« Au-dessus de l’escalier », dit-il.

La femme s’engagea dans le passage. De son bras qui ne portait pas le bébé, elle désigna l’étage. Fegan franchit la porte à son tour.

« Quigley ?

— Il est parti, répondit Fegan.

— Le salaud ! Merde ! »

La voix n’était pas loin. Juste en haut de l’escalier… Fegan évalua la distance qui le séparait de l’autre porte, en face des premières marches.

« Ne monte pas, Gerry. Je te préviens. »

Fegan inspira à fond avant de s’élancer vers la porte, collé au mur. Il eut le temps d’entrevoir McGinty devant la fenêtre de l’étage, serrant Ellen contre lui, un revolver dans l’autre main. La détonation roula dans l’étroit couloir juste au moment où il enfonçait le battant avec son épaule blessée. La balle siffla au-dessus de sa tête. Il poussa un cri de douleur en tombant à l’intérieur sur un tas de chaises en bois qu’il renversa dans sa chute.

« N’approche pas, Gerry. Ne m’oblige pas à leur faire du mal. »

Ellen hurlait et pleurait.

Fegan se releva. Un revolver, six coups… Il calcula à toute vitesse.

« Il en a tiré trois », dit-il.

La femme se tourna vers lui et acquiesça. Fegan la dévisagea fixement.

« Il lui en reste trois. »

Tandis que le bébé s’agitait au creux de son bras, la femme recula et visa le plafond. Le boucher la rejoignit et mit à son tour McGinty en joue.

Ensemble, ils tirèrent des coups répétés, découvrant leurs dents en de sauvages rictus.

« Oui, je sais », dit Fegan. Une tiédeur coulait le long de son bras gauche. Il avait encore l’esprit clair, mais se sentait rattrapé par une immense lassitude qui menaçait de le faire vaciller. « Je sais. »

57

Fegan écouta le souffle haletant de McGinty. Ellen pleurait doucement. Encore trois coups. En tablant sur le fait qu’il n’avait pas d’autres munitions. C’était un pari dangereux, mais le seul possible. Fegan devait obliger McGinty à gâcher ses balles.

Il faisait sombre dans le couloir, à peine éclairé par la fenêtre de l’étage derrière laquelle se levait un jour maussade. McGinty savait que Fegan était un piètre tireur et qu’il ne prendrait pas le risque de blesser Ellen. Mais il savait aussi Fegan assez fou pour essayer.

Parcourant la pièce du regard, Fegan avisa un tas de vieux rideaux abandonnés dans un coin. Il redressa l’une des chaises et l’enveloppa dans un épais drap de velours foncé. De son bras valide, il réussit à l’élever à hauteur de ses épaules et gagna la porte sans bruit. La femme et le boucher s’écartèrent sur son passage.

Il présenta la chaise à bout de bras et l’avança lentement dans le couloir, un centimètre après l’autre. Trompé par la semi-obscurité, McGinty penserait peut-être…

Une détonation lui arracha la chaise et l’envoya à terre, révélant le piège entre les pans du tissu déchiré.

Le silence retomba après le hurlement d’Ellen. Plusieurs secondes passèrent. Puis McGinty jura. Encore un coup tiré pour rien.

« Tu n’as plus que deux balles, Paul, dit Fegan.

— Une pour chacune. Ne m’oblige pas à faire ça, Gerry. Ne monte pas.

— Il le faut.

— Non ! Si tu montes, je… je…

— Tu quoi ?

— Oh, bon sang, dit McGinty.

— Ce n’est pas facile de tuer, Paul. Quand on doit appuyer soi-même sur la détente.

— Je n’hésiterai pas. Tu peux me croire. »

Fegan recula dans l’embrasure de la porte. Avec la clarté grandissante qui entrait par la fenêtre, il voyait l’ombre de McGinty reflétée contre le mur. « Tu n’as jamais eu le courage, Paul. Tu t’es toujours déchargé sur des gens comme moi. À qui tu instillais la haine. Toi, tu ne t’es pas mis de sang sur les mains. »

L’ombre de McGinty faisait les cent pas, traînant Ellen. « Ne me provoque pas, Gerry.

— Tu t’es servi de nous. Tu nous racontais qu’on n’avait aucun avenir, qu’on devait se battre pour gagner une vie meilleure. Tu nous fourrais les armes entre les mains et tu nous envoyais tuer à ta place.

— Tu étais volontaire, Gerry. Comme nous tous. Personne ne t’a obligé.

— Tu nous mentais.

— C’est toi qui appuyais sur la détente, Gerry. Personne ne t’a forcé à poser la charge qui…

— Tu m’as menti. » Fegan appuya le front contre le mur froid et humide. « Tu m’as dit qu’il y avait une réunion de loyalistes au-dessus de la boucherie, avec des membres de l’UVF et de l’UDA[18]. Tu m’as dit que le retard à l’allumage était de cinq minutes. Le temps de faire sortir les gens.

— Dans une guerre, il y a parfois des innocents qui meurent. »

Fegan rit. « Parfois… Mais jamais les coupables, hein ? Sauf que tout le monde paye. Quel jour sommes-nous aujourd’hui ?

— Quoi ?

— Dimanche, c’est ça ? Déjà une semaine, jour pour jour… Dimanche dernier, une vieille femme m’a dit que tout le monde payait, tôt ou tard. C’est ton tour maintenant. Trois d’entre eux sont morts. Un boucher. Et un bébé, bon sang ! Une mère avec son bébé. »

Fegan releva le front et jeta un coup d’œil dans le couloir. L’ombre de McGinty ne bougeait plus.

« Va-t’en, Gerry. Si tu pars, il n’y aura pas d’autres victimes.

— Elle est là, Paul.

— Qui ?

— La femme. Avec son bébé. Je ne connais même pas son nom… Elle est là, et elle réclame ta mort. Le boucher aussi. Tu te rappelles comment ça s’est passé ? Les infos ont donné les détails, à l’époque. Il a ramassé le paquet en croyant que quelqu’un avait oublié ses courses. C’est lui et la femme qui se trouvaient le plus près.

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18

Ulster Volunteer Force, Ulster Defence Association : groupes paramilitaires protestants unionistes créés pour lutter contre l’IRA.