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Il arrivait à la terrasse quand une énorme explosion se répercuta sur les collines de Baabda. La colonne de fumée monta tout droit vers le ciel gris, près de la voie de chemin de fer, dans la plaine près de l’aéroport. Puis l’onde de choc secoua les arbres et l’air trembla, malgré la distance. Une des plus grosses explosions que Beyrouth ait connu. Malko avait peut-être réussi. Mais où se trouvait-il ? Personne ne pouvait avoir survécu dans un rayon de cent mètres. Robert Carver était encore en train de se poser toutes ces questions quand une des radios grésilla.

— Ici, Fox One, lui dit une voix, nous venons d’apercevoir un objet héli-volant, près de l’explosion. Vitesse lente et très basse altitude. Il se dirige vers l’est. Over.

La communication venait du poste de Marines installé sur le toit d’une station-service, à la limite de Bordj El Brajneh. Le sang de Robert Carver se glaça : Malko n’avait pas réussi. Il empoigna l’autre radio et appela :

— Ici, Fox Leader. Que les sixgun ships[23] décollent immédiatement et se portent sur Baabda. Repérez un ULM qui vole à basse altitude. Abattez-le sans sommations.

Il y eut un léger silence, puis une voix demanda :

— Ici, Fox One pour Fox Leader. Répétez « sans sommations ».

— Ici, Fox Leader, répéta Robert Carver. Affirmatif, affirmatif, affirmatif : « sans sommations ».

Il prit ses jumelles et les braqua sur le champ des Marines. Quelques secondes plus tard, le premier des gun ships s’éleva au-dessus du camp, suivi des cinq autres et les appareils en formation, prirent la direction de Baabda.

L’Américain balaya la rue de ses jumelles, cherchant l’ULM signalé. Le nuage de fumée le gênait : de plus, si l’engin volait à une vingtaine de mètres du sol, les collines et les rideaux d’arbres le cacheraient jusqu’à la dernière seconde. Il se retourna vers les servants américains des mitrailleuses.

— Tenez-vous prêts ! Un appareil suicide est en train de se diriger vers nous, chargé d’explosifs. Tirez dès que vous le verrez.

Les doigts crispés sur la détente, les servants guettaient le rideau d’arbres. Mais la résidence étant en contrebas, ils risquaient de voir l’appareil trop tard, au moment ou l’ULM se laisserait tomber dans le jardin ou sur le toit de la maison de l’ambassadeur. Robert Carver composa sur son téléphone le numéro du diplomate. Dès qu’il l’eut en ligne, il avertit :

— Sir, descendez dans votre abri, un appareil suicide iranien se dirige vers nous. Je vous préviendrai dès la fin de l’alerte.

— My God ! fit le diplomate, bouleversé. Et le Président ?

— Je le préviens.

Il raccrocha et appela, sur ondes courtes, le Palais présidentiel. Il dut s’y reprendre à plusieurs fois avant d’obtenir le colonel en charge. Robert Carver se fit connaître et demanda :

— Où est le Président ?

— Il vient de partir, annonça l’officier libanais.

Robert Carver eut l’impression qu’on lui donnait un coup de pied dans le ventre.

— Oh, no ! murmura-t-il.

Il raccrocha sans explication et appela aussitôt le convoi présidentiel. Ça ne passait pas. Il essaya à plusieurs reprises, sans plus de succès. Pendant ce temps, le Président se rapprochait de la zone dangereuse. Même sa voiture blindée et ses gardes du corps ne pourraient le protéger de l’ULM suicide. Et soudain, il se souvint : la fréquence radio présidentielle changeait tous les matins. Il l’avait oublié dans la panique des dernières heures. Il lui était impossible de joindre le convoi en route vers le lieu de l’attentat. Frénétiquement, il tenta de nouveau de joindre le Palais.

* * *

C’est un léger ronronnement qui l’alerta. Robert Carver se dressa sur la pointe des pieds, essayant de voir par dessus la cime des arbres et crut que son cœur allait s’arrêter. Un petit ULM d’une dizaine de mètres d’envergure, avec un seul homme dans le cockpit, grimpait le long d’une colline pelée comme un malfaiteur escalade un mur. Arrivé à la crête, il se laisserait retomber de l’autre côté, chez l’ambassadeur !

Derrière lui il aperçut six silhouettes se rapprochant, beaucoup plus grosses : les gun ships. Ils l’avaient découvert trop tard. Comme s’ils avaient pu l’entendre, il cria :

— Jesus-Christ ! Tirez, mais tirez donc !

Des traits rouges partirent de l’hélicoptère de tête. Une fraction de seconde plus tard, une colossale boule de feu remplaça l’ULM. La terre trembla, une déflagration effroyable assourdit tout dans un rayon d’un kilomètre et le souffle balaya les mitrailleuses et les servants. L’hélicoptère des Marines qui avait tiré, pris par la vague d’air brûlant, explosa à son tour, ainsi que le second et le troisième. Les arbres se courbèrent, des débris volèrent dans toutes les directions, tuant ou blessant ceux qui n’étaient pas à l’abri. Balayé, Robert Carver fut arrêté douloureusement par la rambarde de pierre et tomba, le bassin fracturé.

La boule de feu se dissipa et il ne resta de l’ULM suicide qu’une épave se consumant au flanc de la colline. Le vent amena l’odeur âcre de l’hexogène, dissipant peu à peu la famée blanchâtre. Les trois hélicoptères survivants restèrent à tourner au-dessus de la colline réclamant un secours inutile. Personne n’avait pu survivre au brasier.

— Alerte rouge ! Alerte rouge ! Alerte rouge ! cria dans sa radio le chef de patrouille.

Sur les ponts des porte-avions, les équipages se ruèrent vers les appareils et les hélicoptères. Partout dans Beyrouth, les gens se téléphonaient, se demandant ce qui avait bien pu exploser chez les chiites … Robert Carver se demanda où était le président Gemayel. Et ce qui était arrivé à Malko.

Malko glissa et tomba, se releva, couvert de boue. Il avait l’impression d’avoir été pris dans une essoreuse, mais surtout, il avait perdu le sens de la direction et il était sourd ! Il se retourna ; plusieurs miliciens couraient dans sa direction, tirant au hasard des rafales de Kalachnikov. Son cœur cognait contre ses côtes et une pointe aiguë lui perçait le flanc droit. Il n’en pouvait plus. Soudain, il vit ses poursuivants s’arrêter, lever leurs armes vers le ciel. L’un d’eux tomba. Il tourna la tête et aperçut une grosse « banane Sikorski », un hélicoptère aux grandes portes latérales rectangulaires occupées par des mitrailleurs.

Les Marines.

L’appareil s’immobilisa au-dessus de lui et lança une échelle de corde. Il essaya de la saisir, mais il était trop faible. D’après le recul du canon et les flammes, il vit qu’une des mitrailleuses tirait, mais il ne l’entendait pas.

Le Sikorski s’abaissa encore, touchant pratiquement le sol. Des Marines sautèrent à terre, l’aidèrent à se hisser dans la carlingue et l’appareil repartit, en crabe, tirant de toutes ses mitrailleuses, pour se poser cinq cents mètres plus loin, à l’abri des sacs de sable du PC, sur le toit de la station-service. Un officier s’approcha et cria à Malko :

— Sir, nous avons l’ordre de vous transporter chez notre ambassadeur !

Malko comprit le mot « ambassadeur » et hocha la tête.

Il se sentait dans du coton. On l’entraîna et de nouveau, il se retrouva en l’air.

La première chose qu’il aperçut dans le jardin de l’ambassadeur fut une civière avec Robert Carver qu’on venait de descendre de sa terrasse. En dépit de sa douleur, l’Américain lui adressa un signe joyeux. Malko s’approcha de lui, vit un homme se précipiter et lui secouer vigoureusement la main. Il réalisa enfin qu’il n’entendait pas.

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23

Hélicoptères de combat.