Выбрать главу

Il retrouva Mahmoud et lui demanda de le conduire au Saint-Georges.

— Mais il n’y a plus rien ! protesta le chauffeur. Juste un poste militaire.

— Ça me rappelle des souvenirs, dit Malko.

Nouvelle plongée dans la circulation. Les gens faisaient la queue devant les cinémas. La dernière séance était à cinq heures, à cause du couvre-feu. Ils rejoignirent le bord de mer. Devant la carcasse calcinée de ce qui avait été le plus bel hôtel du Moyen-Orient, Malko eut le cœur serré. Des chicanes interdisaient la circulation des véhicules, bien qu’on puisse se demander ce qu’il restait à détruire. Ici, on s’était battu férocement, pendant des mois. Il descendit et partit à pied, puis remonta la rue de Phoenicie, naguère le centre le plus animé de Beyrouth. Les Caves du Roy, l’ancienne discothèque à la mode, étaient fermées depuis des années et les boutiques éventrées, vides. Il prit à gauche dans la rue Ibn Sina, qui courait parallèlement à la mer. Un poste de l’armée libanaise surveillait mollement le carrefour Phoenicie-Ibn Sina. L’immeuble Shamandi se dressait un peu plus loin, entre deux terrains vagues. Du linge pendait aux balcons.

Malko pénétra dans l’immeuble qui sentait le moisi et l’huile rance. Des gosses jouaient partout. Il monta au troisième étage, trouva la porte numéro 4 et frappa.

Un jeune barbu en polo, jeans et baskets entrouvrit la porte, scrutant Malko d’un œil méfiant.

— J’ai un message pour « Johnny », dit ce dernier. Qu’il appelle ce numéro.

Il avait préparé un papier qu’il glissa dans la main de son interlocuteur. Le barbu le prit, referma, sans que Malko sache même s’il l’avait compris.

Mahmoud dévorait unchawarma[11] dégoulinant de graisse, arrosé de Pepsi, acheté à un marchand ambulant, lorsqu’il le retrouva.

— Nous allons rue El Salam, annonça Malko.

C’était en plein Achrafieh. Il avait décidé de commencer son enquête tout seul. Ils redescendirent vers le sud, traversant ce qui avait été jadis le centre ville, le quartier le plus vivant avec, les souks, et la place des Martyrs.

Tranches de mouton rôti, enveloppées dans des galettes.

L’herbe poussait dans les immeubles détruits, envahissant les façades aveugles dans un enchevêtrement de débris, avec parfois, une baignoire en équilibre, à la façon d’un tableau surréaliste.

Ils se retrouvèrent sur le Ring reliant l’est et l’ouest de Beyrouth. À côté de cette désolation, Achrafieh, malgré quelques immeubles écroulés, semblait presque pimpant. Pas de chars, pas de soldats, ni de sacs de sable. La rue El Salam était bordée de résidences modernes avec de grandes terrasses et de vieux hôtels particuliers un peu décrépis. Malko vérifia l’adresse : Mme Masboungi, 40 rue El Salam. Le nom était sur la boîte aux lettres. Quatrième étage. Bien entendu, pas d’électricité … Donc pas de sonnette. Il dut frapper à coups redoublés avant que la porte ne s’ouvre.

— Désolée, j’étais au téléphone. Qui êtes-vous ?

C’était une femme de grande taille, au port altier, un corps superbe, mais avec un curieux visage d’oiseau de proie grêlé de trous comme si elle avait reçu une charge de plombs. Les yeux étaient rapprochés, enfoncés, vifs. Ses talons la grandissaient encore.

— Madame Masboungi ?

— Oui. Pourquoi ?

— Je suis journaliste, dit Malko. J’enquête sur le dernier attentat à l’ambassade américaine. Je crois que vous en avez été témoin …La femme lui jeta un regard intrigué, sembla hésiter, puis ouvrit la porte.

— Entrez, dit-elle simplement.

L’appartement avait dû être luxueux, mais il ne restait presque plus de meubles sur le sol de marbre blanc. Ils s’assirent chacun au bout d’un grand canapé blanc, Mme Masboungi alluma une cigarette, croisant de longues jambes superbement galbées. Vraiment dommage qu’elle ait cette tête.

— Excusez-moi, dit-elle, je déménage. Que voulez-vous savoir ?

— Vous avez vu la voiture des terroristes, je crois ?

Elle tira une longue bouffée de sa cigarette.

— Qui vous a dit cela ?

— Des enquêteurs. C’est vrai ?

— C’est exact.

Elle parlait d’un ton calme, avec une voix agréable. Tout à coup, le son d’un orgue s’éleva dans la pièce voisine. Mme Masboungi dit aussitôt :

— C’est mon mari. Il joue souvent, cela lui détend les nerfs. Il était chirurgien, mais il n’exerce plus : sa clinique a sauté …

— Madame Masboungi, demanda Malko, avez-vous vu le numéro d’immatriculation de cette Volvo ?

Elle sourit, découvrant des dents éblouissantes.

— Les policiers doivent l’avoir découvert, non ?

— Non.

— Ah …

— L’avez-vous vu ?

Elle tira encore une bouffée de sa cigarette. L’orgue invisible jouait La vie en rose.

— Bien sûr, dit-elle, je l’ai vu et je m’en souviendrai toute ma vie.

— Pouvez-vous me le dire ?

Silence, troublé par l’orgue. Les yeux d’oiseau se posèrent sur Malko.

— Je ne sais pas qui vous êtes, dit-elle, et cela m’est égal. Ce qui est amusant, c’est que vous êtes le premier à me poser cette question.

— La police …

— Non. Et je ne leur aurais pas répondu. Je ne suis pas sûre d’eux. Seulement, je m’en vais dans trois jours et je ne reviendrai jamais à Beyrouth. Alors, je vais vous le donner. J’espère que cela servira à quelque chose. (Elle ferma les yeux et dit lentement :) 57396 Liban.

Malko nota le numéro sous l’œil curieux de son interlocutrice. L’orgue s’arrêta. Elle se leva et le raccompagna.

— Bonne chance.

— Merci.

Ainsi les Libanais n’avaient même pas cherché à remonter la piste de la Volvo grise. Il y avait quelque chose de pourri à Beyrouth … Au moment où il mettait le pied sur le trottoir, une explosion sourde le fit sursauter. Mahmoud lui adressa un grand sourire.

— C’est sur le port. Tous les soirs vers cette heure-ci. On ne va pas par là-bas ?

— Non, dit Malko, direction l’avenue de l’Indépendance.

Le chauffeur lui jeta un regard intrigué.

— Chez les phalangistes ?

— Oui.

Il fallait exploiter l’information qu’il venait de recueillir. Et, du même coup, faire connaissance avec l’alliée de Robert Carver, Jocelyn Sabet. La « pasionaria » chrétienne. Même « polluée », elle pouvait lui rendre le service qu’il attendait d’elle.

* * *

L’immeuble abritant le quartier général des phalanges était moderne, propre, sans garde apparente. Malko montra le mot remis par Robert Carver et un jeune homme le fit pénétrer dans une petite pièce où on lui amena aussitôt du café à la cardamome. Un sourd grondement fit trembler les vitres. Une fusée Grad qui n’était pas tombée très loin. Il commençait à s’endormir lorsque la porte s’ouvrit sur un homme jeune en cravate qui lui fit signe de le suivre. Il s’effaça devant Malko et murmura à son oreille :

— La responsable de la Sécurité va vous recevoir …

La pièce était encombrée de dossiers, assez petite. Une jeune femme brune, les cheveux retenus par un bandeau, des dents éblouissantes, un visage mobile, des yeux brillants s’avança la main tendue :

— Bonjour, je suis Jocelyn Sabet.

Elle avait une poignée de main chaude, énergique comme celle d’un homme.

— Enchanté, fit Malko. Je suis Malko Linge.

— Asseyez-vous. Robert m’a annoncé votre visite.

Devant le regard de Malko qui la détaillait, une lueur furieuse passa dans ses prunelles sombres, tout de suite transformée en sourire ironique.

вернуться

11

Tranches de mouton rôti, enveloppées dans des galettes.