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– Que de bien on peut faire… murmura ce dernier avec componction.

– Aux oiseaux! acheva Comayrol. Voilà! pour le coup, j’ai fini, Monsieur Cœur. L’assassiné de la rue Notre-Dame-des-Champs sortait du couvent de Bon-Secours, d’où il s’était évadé sous les habits de sa propre garde. L’assassin le laissa revêtu tant bien que mal d’un costume de Buridan. Toutes ces choses sont constatées dans l’instruction criminelle, interrompue de guerre lasse, mais que le parquet reprendrait avec plaisir, pour peu qu’on lui fournît un fil de la grosseur d’un cheveu. Nous avons le fil, et il est gros comme un câble: la Davot, c’est le nom de la garde, vit encore. Vous aviez conservé précieusement, comme une relique, les habits de femme sous lesquels on vous trouva évanoui à la porte de l’atelier Cœur d’Acier. C’était crâne et ça déroutait les soupçons; mais c’était dangereux aussi. Dites-moi: y a-t-il longtemps que vous n’avez contemplé vos reliques?

Roland ne répondit point. Il avait rougi visiblement, et son regard exprimait une profonde surprise.

– Si vous voulez bien prendre la peine d’ouvrir l’armoire, ici, à gauche, continua Comayrol avec triomphe, vous verrez que les-dits habits de femme ne sont plus en votre pouvoir… et peut-être apprendrez-vous avec quelque intérêt que la Davot les a parfaitement reconnus. Dans ces circonstances exceptionnelles, cher Monsieur, nous avons espéré que vous inclineriez de votre mieux pour nous être agréable.

Le bon Jaffret soupira et ajouta:

– Quand on peut s’entendre à l’amiable, pourquoi s’occasionner mutuellement des peines et des chagrins, mon cher Monsieur Cœur. Ça n’est pas raisonnable!

X Un duc à faire

Il y avait de quoi triompher, et nos deux anciens clercs de l’étude Deban durent croire qu’ils avaient atteint leur but. Roland avait été frappé tout d’un coup et au dernier moment. Jusqu’au dernier moment il avait gardé son air de froide indifférence, à tel point que Comayrol lui-même avait un instant désespéré.

Mais le nom de la Davot avait amené du sang à sa joue pâle.

Et à ce fait, péremptoirement annoncé, que les habits de la Davot ne se trouvaient plus dans son armoire, il avait tressailli et pâli de nouveau.

Son étonnement était désormais si profond et si violent, qu’il ne prenait même point la peine de le cacher.

Il se leva après un court silence, et mit une clef dans la serrure d’une armoire d’attache qui était à gauche en entrant.

Comayrol et Jaffret échangèrent une œillade victorieuse, dès qu’il eut le dos tourné.

– Touché! dit Comayrol.

– En plein bois! ajouta Jaffret qui se frotta les mains sans bruit. L’idée d’avoir pincé les nippes était assez mignonne.

– Très forte! Veux-tu que je lui dise: «C’est mon copain Jaffret qui en est l’aimable auteur?»

– La paix? fit l’ami des oiseaux; je n’aimerais pas plaisanter avec ce garçon-là! Il a du talent.

– Il est superbe! Et encore nous ne savons pas tout! Le gaillard doit cacher sous roche une anguille d’une terrible longueur!

– Un boa! Mais chut! Il a fait sa revue.

Roland refermait l’armoire d’un geste courroucé, après l’avoir inspectée. Il ne se retournait point cependant; il semblait songer.

– Et il était temps d’arriver! poursuivit Comayrol. La comtesse avait pris les devants avec son Annibal!

– Tant que celle-là travaillera, murmura le bon Jaffret en soupirant, on aura bien de la peine à gagner sa vie!

– Messieurs, dit Roland qui revenait à eux le visage pensif, mais nullement déconcerté, je suppose que vous êtes des gens singulièrement habiles, quoiqu’il ne soit pas très malaisé de soustraire quelques vêtements oubliés dans une maison isolée, chez un homme sans défiance, à qui ces pauvres dépouilles n’importaient point, sinon comme souvenirs; mais fussiez-vous cent fois plus habiles, eussiez-vous, réunies, toutes les qualités qui font les grands diplomates et les dangereux criminels, qui font aussi les limiers fins, les juges clairvoyants, les tacticiens vainqueurs, vous resteriez encore aux antipodes de la vérité pour ce qui me regarde. Vous êtes ici en face d’un problème inouï; vous m’entendez bien: inouï! Cet homme qu’on accusait d’avoir visé son ennemi à soixante-quinze pas et qui était aveugle; cet autre à qui l’on imputait d’avoir crié vive l’empereur prisonnier ou vive le roi en exil et qui était muet; et cet autre encore à qui l’on disait: «Vous avez frappé avec le poignard», et qui montrait ses deux épaules sans bras, toutes ces curiosités familières aux personnes de votre sorte, ces fleurs du jardin botanique du crime où croissent les alibis grossiers et ces autres impossibilités plus subtiles qu’on pourrait appeler des alibis métaphysiques, tous les anas [4] de cour d’assises, toutes les beautés de l’histoire correctionnelle vous paraîtraient de purs enfantillages en comparaison de mon cas. Un cas prodigieux! Vous n’y comprenez rien, c’est moi qui vous le dis, vous n’y pouvez rien comprendre. Je vous donnerais vingt-cinq ans pour deviner le mot de l’énigme que vous jetteriez votre langue aux chiens!

– Vayadioux! dit Comayrol, vous étiez pressé tout à l’heure, Monsieur le duc, et maintenant voilà que vous bavardez comme un avocat!

– Chacun se défend comme il peut, plaça Jaffret. Laissons causer M. Cœur.

– Je ne me défends pas, répliqua Roland qui s’assit, plus calme et plus froid que jamais. J’expose un fait. Je n’ai nulle envie de dissimuler que la bizarrerie des circonstances m’a donné une minute de réelle émotion. Je pense que, depuis la création du monde, ce qui m’advient n’est arrivé à personne. Le nouveau est rare sous le soleil; j’ai salué malgré moi l’excentricité de ma situation. J’ajoute que, protégé comme je le suis par l’absurde poussé à la dixième puissance, par l’alibi le plus net et par l’impossibilité la plus absolue qui se puisse imaginer, j’aurai encore répugnance à braver, non pas les hasards, mais les publicités d’une exhibition judiciaire. En conséquence, Messieurs, j’attends vos offres, prêt à les admettre ou à les refuser, selon mon intérêt, qui se mettra d’accord avec ma conscience.

– Comprends pas! s’écria Comayrol en riant. Mais vive la conscience!

Jaffret n’y alla pas par quatre chemins:

– Monsieur et cher voisin, dit-il, vous vous exprimez avec beaucoup de facilité. Avez-vous fini? On est poli, on ne voudrait pas vous couper la parole.

Roland, désormais, avait une pose attentive. Il s’inclina gravement.

– Chacun de nous, reprit aussitôt Comayrol en changeant de ton, sait parfaitement qu’il s’agit ici d’une énorme affaire. En acquérant du jour au lendemain le titre de duc et un magnifique revenu, vous ne pouvez avoir l’idée de vous refuser à un léger sacrifice, qui ne vous coûtera rien, puisque vous n’avez rien. Avec nous, cher Monsieur, et j’entendis ici par nous la réunion de quelques hommes expérimentés à laquelle Jaffret et moi nous avons l’honneur d’appartenir, les plaidoyers ne servent pas à grand-chose, attendu que nous en savons plus long que l’orateur. Dans l’espèce, par exemple, peut-être sommes-nous suffisamment convaincus que le blessé du boulevard Montparnasse et le mort de la rue Notre-Dame-des-Champs ne sont pas une seule et même personne; peut-être même connaissons-nous très bien l’assassin; peut-être avons-nous un intérêt à mettre l’assassin à couvert, en laissant la justice sur une fausse piste. Je dis laisser et non point mettre, car l’instruction criminelle est précisément au point que je vous ai indiqué. Soit qu’on eût égaré le parquet déjà, dans le temps, soit qu’il se fût égaré lui-même, il suffirait de lui représenter l’homme qui portait les habits de Mme Davot, garde-malade, pour donner un essor nouveau à ce procès endormi. Et ne croyez pas qu’on se soit arrêté sans regret, là-bas, au palais: il y avait des gens puissants qui poussaient à la roue: entre autres, feu votre respectable oncle, le général duc de Clare, et votre grand-tante, sœur Françoise d’Assise qui, du fond de sa cellule, avait le bras long; je dis long, comme un mât de cocagne!

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[4] Anas: recueil d’anecdotes (Note du correcteur – ELG.)