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Je suppose que Catherine mit son projet à exécution, car dans la phrase suivante elle abordait un autre sujet; elle prenait le ton plaintif.

«Comme je me doutais peu que Hindley me ferait jamais tant pleurer! écrivait-elle. J’ai mal à la tête, au point de ne pouvoir la garder sur l’oreiller, et pourtant je ne peux pas céder. Pauvre Heathcliff! Hindley le traite de vagabond et ne veut plus qu’il reste ni qu’il mange avec nous; il prétend que lui et moi ne devons plus jouer ensemble et menace de le chasser de la maison si nous enfreignons ses ordres. Il a blâmé notre père (comment a-t-il osé?) pour avoir traité H. avec trop de bienveillance, et il jure qu’il le remettra à sa vraie place.»

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Je commençais à somnoler et à laisser tomber le nez sur la page à moitié effacée. Mon œil passa du manuscrit à l’imprimé. Je vis un titre rouge ornementé «Septante fois sept [5] et le Premier de la septante et unième [6]. Pieux discours prononcé par le Révérend Jabes Branderham, dans la chapelle de Gimmerton Sough» Pendant que, dans une demi-inconscience, je me creusais la cervelle pour deviner ce que Jabes Branderham avait pu tirer de son sujet, je retombai allongé dans mon lit et m’endormis. Hélas! tristes effets du mauvais thé et de la mauvaise humeur! Quelles autres causes auraient pu me faire passer une si terrible nuit? Je n’ai souvenir d’aucune qui lui soit comparable depuis que j’ai le sentiment de la souffrance.

Je commençai à rêver presque avant d’avoir cessé de me rendre compte de l’endroit où je me trouvais. Il me semblait que c’était le matin; je m’étais mis en route pour rentrer chez moi, avec Joseph comme guide. Une épaisseur de plusieurs mètres de neige couvrait notre chemin. Comme nous avancions péniblement, mon compagnon m’accablait d’incessants reproches parce que je n’avais pas pris un bâton de pèlerin; il m’assurait que je ne pourrais jamais pénétrer dans la maison sans en avoir un, et brandissait fièrement un gourdin à lourde poignée, auquel je compris qu’il donnait ce nom. Pendant un instant, je considérai qu’il était absurde que j’eusse besoin d’une pareille arme pour obtenir accès à ma propre demeure. Puis une autre idée me traversa l’esprit. Ce n’est pas là que j’allais: nous étions partis pour aller entendre le célèbre Jabes Branderham prêcher sur le texte Septante fois sept; l’un de nous – Joseph, le prédicateur ou moi – avait commis le Premier de la septante et unième, et devait être publiquement dénoncé et excommunié. Nous arrivâmes à la chapelle. J’ai passé devant en réalité, dans mes promenades, deux ou trois fois; elle est située dans un pli de terrain, entre deux collines, à une assez grande altitude, près d’un marais dont la boue tourbeuse convient très bien, paraît-il, pour embaumer les quelques cadavres déposés là. Le toit est resté entier jusqu’ici; mais comme le traitement du pasteur n’est que de vingt livres par an, avec la jouissance d’une maison composée de deux pièces qui menacent de se réduire rapidement à une seule, aucun pasteur ne veut accepter les devoirs de cette charge, d’autant plus qu’on dit couramment que ses ouailles le laisseraient mourir de faim plutôt que d’augmenter son revenu d’un penny de leurs poches. Quoi qu’il en soit, dans mon rêve Jabes avait un auditoire nombreux et attentif; et il prêchait… grand Dieu! quel sermon! divisé en quatre cent quatre-vingt dix parties, chacune de la longueur d’un sermon ordinaire, et chacune traitant d’un péché particulier! Où il allait les chercher, je n’en sais rien. Il avait sa manière à lui d’interpréter le texte, et il paraissait nécessaire que le fidèle commît à chaque occasion des péchés différents. Ceux-ci étaient des plus curieux: de bizarres infractions que je n’avais encore jamais imaginées.

Oh! que j’étais fatigué! Comme je me tortillais, bâillais, m’assoupissais, et me réveillais! Comme je me pinçais, me piquais, me frottais les yeux, me levais, me rasseyais, et poussais du coude Joseph afin qu’il me dît si le prédicateur aurait jamais fini! J’étais condamné à tout entendre jusqu’au bout. Enfin, il aborda le Premier de la septante et unième. À cet instant critique, j’eus une inspiration soudaine, sous l’empire de laquelle je me levai pour dénoncer Jabes Branderham comme l’auteur du péché qu’un chrétien n’est pas tenu de pardonner.

– Monsieur, m’écriai-je, assis entre ces quatre murs j’ai enduré et toléré sans interruption les quatre cent quatre-vingt-dix parties de votre sermon. Septante fois sept fois j’ai pris mon chapeau et j’ai été sur le point de m’en aller… septante fois sept fois vous m’avez déraisonnablement obligé de reprendre mon siège. La quatre cent quatre-vingt-onzième fois dépasse les bornes. Compagnons de martyre, sus à lui! Faites-le dégringoler, et réduisez-le en atomes, pour que les lieux qui l’ont connu ne puissent plus le connaître!

– Tu es l’Homme! s’écria Jabes, après une pause solennelle, en se penchant par-dessus son coussin. Septante fois sept fois tu as tordu ton visage en bâillant… septante fois sept fois j’ai tenu conseil en moi-même… Bah! ai-je pensé, c’est de la faiblesse humaine, cela encore peut être absous. Mais voici le Premier de la septante et unième. Frères, exécutez sur lui le jugement qui est écrit. C’est un honneur qui revient à tous les bons chrétiens!

Sur cette parole finale, tous les membres de l’assemblée, levant leurs bâtons de pèlerins, m’assaillirent en cercle d’un même mouvement. N’ayant pas d’arme à leur opposer pour ma défense, je commençai à me colleter avec Joseph, mon assaillant le plus proche et le plus féroce, pour lui enlever le sien. Dans la confusion de la mêlée, plusieurs gourdins se rencontrèrent; des coups qui m’étaient destinés tombèrent sur d’autres crânes. Bientôt la chapelle entière retentit du bruit des attaques et des ripostes. Chacun se mit à cogner sur son voisin; et Branderham, ne voulant pas rester oisif, épancha son zèle en une pluie de tapes bruyantes sur le rebord de la chaire, qui résonnait si fort qu’à la fin, à mon indicible soulagement, je me réveillai. Et qu’était-ce qui m’avait fait croire à ce terrible vacarme? Qui avait joué le rôle de Jabes dans cette bagarre? Simplement la branche de sapin qui touchait ma fenêtre quand des rafales de vent soufflaient de ce côté-là, et qui frottait ses pommes desséchées contre les vitres! J’écoutai un instant, encore dans le doute; je découvris la cause du bruit, puis me retournai, sommeillai, et rêvai de nouveau, d’une manière encore plus désagréable qu’avant, s’il est possible.

Cette fois, je me souvenais que j’étais couché dans le cabinet de chêne et j’entendais distinctement les rafales de vent et la neige qui fouettait. J’entendais aussi le bruit agaçant et persistant de la branche de sapin, et je l’attribuais à sa véritable cause. Mais ce bruit m’exaspérait tellement que je résolus de le faire cesser, s’il y avait moyen; et je m’imaginai que je me levais et que j’essayais d’ouvrir la croisée. La poignée était soudée dans la gâche: particularité que j’avais observée étant éveillé, mais que j’avais oubliée. «Il faut pourtant que je l’arrête!» murmurai-je. J’enfonçai le poing à travers la vitre et allongeai le bras en dehors pour saisir la branche importune; mais, au lieu de la trouver, mes doigts se refermèrent sur les doigts d’une petite main froide comme la glace! L’intense horreur du cauchemar m’envahit, j’essayai de retirer mon bras, mais la main s’y accrochait et une voix d’une mélancolie infinie sanglotait: «Laissez-moi entrer! laissez-moi entrer! – Qui êtes-vous?» demandai-je tout en continuant de lutter pour me dégager. «Catherine Linton», répondit la voix en tremblant (pourquoi pensais-je à Linton? J’avais lu Earnshaw vingt fois pour Linton une fois). «Me voilà revenue à la maison: je m’étais perdue dans la lande!» La voix parlait encore, quand je distinguai vaguement une figure d’enfant qui regardait à travers la fenêtre. La terreur me rendit cruel. Voyant qu’il était inutile d’essayer de me dégager de son étreinte, j’attirai son poignet sur la vitre brisée et le frottai dessus jusqu’à ce que le sang coulât et inondât les draps du lit. La voix gémissait toujours: «Laissez-moi entrer!» et l’étreinte obstinée ne se relâchait pas, me rendant presque fou de terreur. «Comment le puis-je?» dis-je enfin; «lâchez-moi, si vous voulez que je vous fasse entrer!» Les doigts se desserrèrent, je retirai vivement les miens hors du trou, j’entassai en hâte les livres en pyramide pour me défendre, et je me bouchai les oreilles pour ne plus entendre la lamentable prière. Il me sembla que je restais ainsi pendant plus d’un quart d’heure. Mais, dès que je recommençai d’écouter, j’entendis le douloureux gémissement qui continuait! «Allez-vous-en!» criai-je, «je ne vous laisserai jamais entrer, dussiez-vous supplier pendant vingt ans. – Il y a vingt ans», gémit la voix, «vingt ans, il y a vingt ans que je suis errante.» Puis j’entendis un léger grattement au dehors et la pile de livres bougea comme si elle était poussée en avant. J’essayai de me lever, mais je ne pus remuer un seul membre, et je me mis à hurler tout haut, en proie à une terreur folle. À ma grande confusion, je me suis aperçu que mes hurlements étaient bien réels. Des pas rapides approchaient de la porte de la chambre; quelqu’un l’a poussée d’une main énergique et une lumière a brillé à travers les ouvertures carrées en haut du lit. J’étais assis encore tout tremblant, essuyant la sueur qui coulait sur mon front; l’intrus semblait hésiter et se parler à voix basse à soi-même. Enfin il a murmuré, évidemment sans attendre de réponse: «Y a-t-il quelqu’un ici?» J’ai jugé qu’il valait mieux confesser ma présence, car j’avais reconnu la voix de Heathcliff et je craignais qu’il ne poussât sa recherche plus avant, si je demeurais coi. En conséquence, je me suis tourné et j’ai ouvert les panneaux. Je n’oublierai pas de sitôt l’effet que j’ai produit ainsi.