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Pour réaliser 400 francs, il lui faudrait ne pas vivre, elle et sa famille, pendant plus de deux mois.

Un officier judiciaire nous a objecté qu’un magistrat pouvait, préventivement et en vertu de son pouvoir discrétionnaire, ordonner d’expulser un mari violent et débauché du domicile conjugal.

Soit: ceci est une mesure transitoire; mais la SÉPARATION LÉGALE, efficace, définitive, ne peut s’obtenir que par un jugement ressortissant d’un tribunal civil, et, nous le répétons, nous le prouvons, il est impossible aux pauvres de subvenir aux frais de ce jugement.

Nous convenons de notre peu d’autorité comme légiste; c’est le seul bon sens qui nous a toujours guidé dans nos nombreuses observations critiques: laissons parler un magistrat, auteur d’un noble et beau livre où respire la plus touchante, la plus intelligente philanthropie, unie à un sentiment religieux d’une haute élévation [37].

«Les pauvres ont le droit de plaider; mais devant les tribunaux civils il ne s’agit pas d’avancer 15 francs. Pour lancer une assignation, les frais sont énormes; peu de procès coûtent moins de 50 francs; il s’agit donc, pour le journalier, du prix de vingt-cinq journées de travail, c’est-à-dire que PENDANT VINGT-CINQ JOURS IL NE DONNERA PAS DE PAIN À SA FAMILLE, ou grèvera son avenir d’un passif qu’il payera Dieu sait quand. Que fera-t-il? Il ira chez le juge de paix, qui citera les parties par lettres; le défendeur ne se rendra pas devant le magistrat, l’ouvrier sera obligé de le faire assigner, c’est-à-dire qu’il faudra qu’il fasse l’avance des fonds nécessaires: indigence trouve peu de crédit. Si le journalier ne peut faire valoir ses droits, le débiteur abusera de cette misérable position; il ne le payera pas, ou le réduira à subir des transactions désastreuses.»

Et plus loin (page 274):

«Si l’ouvrier maltraite sa femme, s’il passe sa vie dans les cabarets et dans les maisons de débauche, s’il force sa compagne à travailler seule pour les faire vivre tous deux, s’il la CONTRAINT DE SE PROSTITUER AU PROFIT DE LA COMMUNAUTÉ, qui défendra cette malheureuse contre son infortune? Elle gagne 73 centimes à 1 franc par jour.»

Nous le répétons; si modérés que soient les frais de justice civile, ils sont matériellement inabordables aux classes pauvres.

Dans le même chapitre, nous tâchions de peindre les douleurs et l’effroi d’une malheureuse mère qui craint de voir son mari chercher un lucre infâme dans la prostitution de sa propre fille.

On nous écrit à ce sujet:

«Quant au projet de prostitution ou d’excitation à la débauche du père envers sa fille, il convient aussi de se pénétrer des dispositions de l’article 334 du Code, et vous serez convaincu, monsieur, que la société n’est pas désarmée en présence de si monstrueux attentats, et la prévoyance du législateur ne pouvait aller plus loin.»

À ceci, je me permettrai de répondre qu’ainsi que je l’ai prouvé:

Le père est admis à faire inscrire sa fille AU BUREAU DES MŒURS, sur le registre de la prostitution; le mari a le même pouvoir sur sa femme.

Enfin, je citerai les passages suivants du livre de M. Prosper Tarbé:

«… Aujourd’hui, si une jeune fille de ONZE ANS ET DEMI (et Dieu sait quelle raison, quelle expérience on peut avoir à cet âge!) est victime d’une séduction, si sa mère éplorée vient demander justice aux magistrats, on lui demande s’il y a eu publicité ou violence; et, si cette malheureuse répond négativement, on ne peut rien pour son cœur de mère profondément outragé, rien pour sa pauvre fille corrompue, déshonorée avant d’être femme, rien pour la société, qui voit avec indignation toutes les lois de la morale indignement méconnues. (Page 114).

«Longtemps j’ai refusé de croire à l’inceste; ce me semblait une fiction faite pour la tragédie… mais la vie judiciaire tue une à une toutes les illusions du cœur… Que de pauvres mères sont venues conter en pleurant qu’elles avaient pour rivales leurs propres filles!… D’autres se disent victimes des brutales amours de leurs fils… Faut-il dire que quelquefois j’ai vu le père et la fille maltraiter la mère et la chasser honteusement de sa propre maison pour y goûter en paix, si Dieu le permettait, leurs coupables amours!… Et lorsque ces misères sont connues d’un procureur du roi, LA LOI LE CONDAMNE À L’INACTION… Oh! c’est alors qu’on sent combien est vicieuse une législation qui laisse à la justice de Dieu le soin de punir des actes qui font tant de mal sur la terre!

«À la société qui demande vengeance, aux bonnes mœurs, à la religion, à la nature qui s’indignent, au malheureux qui pleure et vient demander justice et secours, l’homme de la loi doit répondre: JE NE PEUX RIEN… JE NE FERAI RIEN.

«Qu’on ne me dise pas que le ministère public peut faire des remontrances. Nul n’est censé ignorer la loi, cet adage est une vérité, et l’on sait bien maintenant répondre aux reproches du parquet: – La loi ne le défend pas, de quoi vous mêlez-vous?» (Pages 120 et 121.)

La loi étant impuissante à réprimer l’inceste, comment, je le demande, atteindra-t-elle le père qui, usant de son droit de chef de la communauté, poussera sa fille au déshonneur, afin de profiter du prix de la honte de cette malheureuse?

Veut-on un autre exemple de l’impossibilité où sont les classes pauvres de jouir du bénéfice de certaines lois civiles?

Voici un fait qui s’est passé le 8 de ce mois:

Une rixe s’engage entre deux hommes; l’un reçoit un coup dangereux, dont il meurt.

Je lis dans le journal qui rend compte des assises [38]:

«… On introduit la veuve de la victime, jeune femme de vingt-cinq ans, vêtue en grand deuil, et d’une pâleur mortelle.

«Demande. – Avant de s’aliter, votre mari n’était-il pas venu au parquet de M. le procureur du roi pour porter plainte et pour déclarer qu’il se portait partie civile?

«Réponse. – Oui, monsieur le président; il voulait s’assurer, pour éviter d’aller à l’hospice, qu’il serait en état de payer son médecin en demandant des dommages et intérêts, car il ne doutait pas qu’il allait faire une maladie (en suite du coup qu’il avait reçu); mais, comme on lui demanda de DÉPOSER D’ABORD UNE SOMME QUE NOUS N’AVIONS PAS, NOUS AUTRES PAUVRES GENS, IL FALLUT RENONCER AU BÉNÉFICE DE LA LOI; et je vous le dis, messieurs, quelque temps après mon mari mourut à l’hôpital.

«La pauvre veuve se met à pleurer.

«M. LE PRÉSIDENT, avec bonté. – Venez, madame, venez vous asseoir au pied de la cour, à côté de votre avocat…»

Je le répète, ceci s’est passé hier…

J’avais dit, dans le même chapitre des Mystères de Paris, qu’au moins l’exécution capitale était infligée GRATIS…

On m’écrit à ce sujet:

«Voici, monsieur, ce qui est arrivé dans une ville du département de l’Oise, où j’ai une maison de campagne: un homme fut condamné à mort par la cour d’assises; il fut exécuté. Eh bien! monsieur, LES FRAIS D’EXÉCUTION FURENT TELS QUE SA MALHEUREUSE VEUVE FUT OBLIGÉE DE VENDRE SA VACHE ET SA PETITE MAISON POUR Y SUBVENIR…

«Ce fut grâce à une souscription ouverte par moi dans le pays, et généreusement remplie par nos braves paysans, que la pauvre femme dut de ne pas mourir de faim.»