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Gérard de Villiers

Les otages de Tokyo

Chapitre I

Le policier qui grelottait sous la bise glaciale contempla avec stupéfaction la jeune Japonaise qui venait de franchir le porche de l’ambassade américaine. En dépit du froid pénétrant, elle n’était vêtue que d’un ensemble de toile – pantalon et blouson – et d’un T-shirt blanc. Malgré sa tenue légère, elle ne semblait pas le moins du monde incommodée par la température. Intrigué, le policier la détailla. Les longs cheveux noirs tombaient sur les épaules jusqu’à la poitrine, séparés par une raie au milieu. Le visage était ovale, un peu large du bas, le nez très peu épaté. Les jambes étaient étonnamment longues pour une Japonaise. Et droites, ce qui était encore plus rare. À cause de l’habitude japonaise de porter les enfants dans le dos, leurs jambes épousant le torse de leur mère, 95% des adultes conservaient des jambes arquées…

L’inconnue passa devant le policier et pénétra dans le hall. Elle aurait été très jolie, à un détail près : les yeux très noirs semblaient prêts à jaillir de leurs orbites, en relief comme ceux d’un crapaud. Il détourna la tête, gêné par cette malformation.

L’inconnue aux yeux saillants s’assit dans le hall sur une des banquettes en face du service des visas, et posa par terre le sac de toile qu’elle portait à l’épaule, comme beaucoup d’étudiants. Le policier reprit sa faction, surveillant de nouveau le porche. L’ambassade U.S. était protégée à l’extérieur par deux guérites de ciment. Régulièrement, des manifestants gauchistes venaient hurler des slogans antiaméricains devant l’entrée et descendaient ensuite sagement la rue étroite en pente raide qui plongeait entre un énorme chantier de construction et le bâtiment nord de l’hôtel Okura.

L’ambassade U.S. ne méritait pourtant pas tant d’honneurs : minuscule bâtiment blanc de deux étages, entouré d’un parking, elle était écrasée par l’énorme building sud de l’hôtel Okura qui la dominait de ses douze étages de l’autre côté de la rue. Elle datait de l’arrivée des Américains en 1945, et personne n’avait jamais songé à en construire une plus belle. Les services américains étaient dispersés un peu partout dans Tokyo et son énorme banlieue, au grand dam des fonctionnaires.

Le policier en uniforme bleu bâilla : ce n’était pas un temps à manifestations. Comme toujours, novembre était glacial à Tokyo.

* * *

Deux jeunes gens qui feuilletaient des magazines sur une banquette depuis une demi-heure se déplacèrent pour venir s’asseoir près de la fille aux yeux saillants. Ils échangèrent quelques mots, observant les rares visiteurs qui attendaient dans le petit hall. À quatre heures moins le quart, un vendredi, il n’y avait plus grande animation.

Un large escalier s’ouvrait au milieu du hall, gardé par deux Marines en uniforme, assis sur des tabourets derrière deux petits comptoirs où étaient posés des téléphones. Il menait au premier étage interdit au public, où se trouvaient les bureaux de l’ambassadeur et des principaux conseillers.

Seuls, les visiteurs ayant rendez-vous pouvaient emprunter l’escalier après avoir été annoncés par téléphone.

Au service des visas, les employés commençaient à plier leurs affaires. La fille aux yeux saillants se leva, ramassa sa besace et se dirigea vers le Marine qui se trouvait à gauche de l’escalier, souriante, très détendue. L’Américain lui rendit son sourire et dit gentiment :

— You cannot go up there, Miss.[1]

Comme si elle n’avait pas compris, elle s’engagea tranquillement dans l’escalier. Le Marine quitta son tabouret et s’élança derrière elle. Pensant qu’elle n’avait pas compris, il la héla, cette fois en japonais :

— Soumimassen ! Snigai-nasu ![2]

Au lieu de s’arrêter, la fille monta encore plus vite. Outré, le Marine bondit derrière elle et l’attrapa par le bras. Elle se dégagea, sans même se retourner. Il lui plongea dans les jambes, l’enserrant au-dessous des genoux. Elle tomba en avant, se reçut sur les mains et se retourna, comme un chat, plongeant la main droite dans sa musette. Le Marine n’eut même pas le temps de voir le Beretta, calibre 38, qui lui cracha une balle en plein front à bout portant. Le choc fit sauter sa casquette blanche et le rejeta en arrière. Il essaya de se relever, tituba et retomba, foudroyé.

La détonation arracha le second Marine à son tabouret. Il bondit, luttant avec l’étui de cuir glacé blanc de son colt 45 réglementaire. Au moment où il dégainait, il entendit des hurlements dans le hall, derrière lui. Il se retourna à temps pour voir un des deux compagnons de la Japonaise le viser avec une mitraillette UZI. La rafale fit trembler les vitres, et les balles s’enfoncèrent dans sa poitrine, le repoussant sur les marches de l’escalier. Il tomba en arrière, le drap de son uniforme déjà taché de sang, sans avoir eu le temps de dégainer. Déjà les deux jeunes Japonais bondissaient par-dessus lui, rejoignant la fille qui s’était relevée.

Les trois se ruèrent vers le palier du premier étage, tandis que les visiteurs et les employés du hall se couchaient par terre ou fuyaient par la porte du jardin. Stupéfait, le policier japonais n’avait pas encore réagi. Il ne s’était pas écoulé plus d’une minute depuis que la Japonaise s’était avancée vers l’escalier.

Roy Henderson, ambassadeur des États-Unis au Japon, sursauta au bruit des coups de feu. Il était en manches de chemise, en train de signer des chèques de fin de mois. Il se leva précipitamment, fonçant vers la porte de son bureau, pour la verrouiller.

Celle-ci s’ouvrit brutalement alors qu’il s’en trouvait encore à un mètre, sur une Japonaise, les yeux hors de la tête, qui brandissait un pistolet automatique. D’un bond, elle fut sur lui, hurlant :

— Lay down ! Lay down ![3]

Comme il n’obéissait pas assez vite, elle lui donna un coup de genou dans le bas-ventre et acheva de le jeter sur la moquette d’un coup de crosse sur la tempe. Lorsqu’il fut à plat ventre, elle s’agenouilla près de lui et lui enfonça le canon de son arme dans le cou. À demi inconscient, l’ambassadeur entendit d’autres coups de feu venant du couloir, des cris, des appels, puis un groupe fit irruption dans son bureau : le Premier secrétaire, blême, en train de reboutonner son pantalon, le Second secrétaire, un homme qu’il ne connaissait pas, l’attaché commercial et l’attaché militaire, Albert Borzoï, chef de station de la C.I.A. Enfin, la secrétaire de ce dernier, Michiko, enceinte de cinq mois.

Deux jeunes Japonais, dont l’un moustachu et boutonneux, chacun armé d’une mitraillette Uzi, les houspillaient. Avant de refermer la porte du bureau, le moustachu se retourna et lâcha une rafale en direction de l’escalier. Alors, seulement, la fille laissa se relever le diplomate. Celui-ci, qui avait l’impression que ses testicules lui étaient rentrés dans le corps, essaya de rassembler ce qui lui restait de dignité. En japonais, il demanda :

— Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?

La fille lui répondit en anglais :

— Nous sommes des combattants du Sekigun ! Faites ce que l’on vous dit.

Le Sekigun, c’était l’« Armée Rouge Unifiée », un groupe de terroristes d’extrême gauche qui avait éclaté en de multiples fractions.

Le moustachu balaya tous les objets du bureau de l’ambassadeur et y déversa le contenu de sa besace : des grenades rondes et vertes, des chargeurs d’Uzi, des pains de plastic, des détonateurs, plusieurs poignards commando… La fille aux yeux de crapaud s’avança vers la secrétaire japonaise, une fille au visage rond et gracieux, les cheveux bouclés, dont le ventre rond tendait la robe bleue. Elle l’interrogea brutalement en japonais. La secrétaire bredouilla, éclata en sanglots. À toute volée, la terroriste la gifla.

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1

Vous ne pouvez pas monter là, Mademoiselle.

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2

S’il vous plaît, vous n’avez pas le droit.

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3

Couchez-vous ! couchez-vous !