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Complètement réveillés, les agents du « Secret Service » avaient posé leurs mitraillettes sur les genoux… À travers une trouée de nuages, Malko aperçut brièvement des navires illuminés. La baie de Tokyo. Ils avaient décollé le matin à dix heures trente de Los Angeles. Le samedi. Mais en franchissant la « date-line » au milieu du Pacifique, ils avaient « perdu » un jour. À Tokyo, c’était déjà le dimanche soir.

Les nuages firent place à une masse cotonneuse et blanchâtre : le brouillard. Volets baissés, train sorti, le « 747 » n’était plus qu’à quelques centaines de pieds d’altitude. Brusquement, Furuki éclata en sanglots, secoué de spasmes nerveux. Puis, les roues du jet touchèrent la piste, et le hurlement des réacteurs inversés couvrit tous les autres bruits. Malko se dit que tout allait se jouer dans les deux heures qui suivaient.

Il essaya de distinguer quelque chose à travers le hublot. L’aéroport de Haneda était noyé dans le brouillard, percé de quelques lueurs. Le « 747 » s’engagea sur une bretelle, se dirigeant vers l’aérogare. Les passagers « normaux » préparaient déjà leurs affaires. Malko aperçut les phares de plusieurs véhicules, un feu clignotant au-dessus d’un toit. La police. Furuki s’était tassé dans son fauteuil. Nancy Younglove s’approcha de Malko :

— Vous allez descendre avant l’aérogare.

Le « 747 » stoppa. La police japonaise ne prenait aucun risque… Malko aperçut des hommes en uniforme courir autour de l’avion. Ils étaient encore loin des bâtiments. Un tracteur apparut, tirant une échelle de coupée. Le chef de cabine annonça aux passagers qu’on débarquait un malade et qu’ils devaient patienter encore quelques minutes…

La porte avant du « 747 » fut ouverte, laissant entrer une vague d’air glacial. Malko se leva et dit à Furuki.

— Venez.

Le Japonais se recroquevilla dans son fauteuil.

— Non, fit-il d’un ton farouche, je ne veux pas sortir.

Chris Jones s’approcha :

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Il ne veut pas descendre, dit Malko.

— Son of a bitch[9], grommela le gorille.

Se penchant, il attrapa le Japonais et l’arracha de son siège sans même défaire sa ceinture de sécurité… Furuki se mit à hurler comme une sirène. En japonais et en anglais, ameutant les passagers, s’accrochant au fauteuil. Malko ne savait plus où se mettre… Les autres passagers des « First » regardaient avec horreur le groupe en train de lutter. Ce n’était pas fameux pour le renom de la compagnie… La porte ouverte laissa passer un groupe de civils, Blancs et Japonais, qui se précipitèrent vers Furuki et son escorte. Un Blanc chauve à la moustache noire agrippa Malko.

— Je suis William Loward, Second conseiller de l’ambassade. Qu’est-ce qui se passe, bon sang ?

— Il ne veut pas quitter l’avion, expliqua Malko. Il prétend que ses amis vont le tuer.

L’Américain haussa les épaules, furieux.

— Nonsense ! Il nous reste une heure pour arriver à l’ambassade. Emmenons-le de force !

Porté, tiré, à moitié assommé, Furuki traversa la cabine, fut traîné jusqu’à la porte ouverte. Malko croisa le regard horrifié de Nancy Younglove. D’autres passagers détournèrent la tête, gênés… Il se faisait vraiment l’effet d’être un agent de la Gestapo, pendant la guerre. Furuki criait toujours.

Deux Américains empoignèrent le Japonais chacun par un bras et le forcèrent à descendre l’échelle de coupée. Le ciment grouillait de policiers, de voitures, s’agitant dans un halo de brouillard irréel. Malko boutonna son manteau de cachemire et se dirigea vers une longue Cadillac noire arborant le drapeau américain. Il faisait un froid pénétrant, l’air sentait le kérosène. Des lumières clignotaient dans le lointain ; l’aérogare. Les policiers étaient nerveux, tendus, cherchant à percer le brouillard. Au moment où on allait pousser Furuki dans la Cadillac, le Japonais effectua tout à coup un véritable saut périlleux, échappant à ses deux gardiens. Plusieurs policiers se précipitèrent, croyant qu’il cherchait à fuir. Mais, au lieu de s’éloigner, Furuki se précipita, la tête la première, contre la pare-chocs d’un car de police !

Comme un bélier.

Le bruit du choc de son crâne contre l’acier fut étouffé par le hurlement des policiers.

Furuki fit quelques gestes désordonnés et glissa à terre. Ses anges gardiens affolés se précipitèrent et le relévèrent, le front inondé de sang !

Le Second conseiller de l’ambassade U.S. se rua vers le Japonais blessé, commençant à éponger le sang avec son propre mouchoir, tremblant d’énervement.

— Soignez-le, bon Dieu ! glapit-il.

Il fallut cinq minutes de cris et de confusion pour panser la tête du Japonais, qui recommençait à se débattre. Cette fois, les deux gorilles qui le tenaient l’enchaînèrent à eux par des menottes. Enfin, on parvint à l’enfourner à l’arrière de la Cadillac. Chris Jones et Milton Brabeck s’assirent sur les strapontins, face aux sièges arrière. Malko et le Second conseiller prirent place à l’avant, à côté du chauffeur. La Cadillac démarra aussitôt, précédée et suivie de plusieurs voitures de police, encadrées de motards. Évitant l’aérogare. Le convoi coupa à travers l’aéroport, rejoignant l’Expressway n° 1, qui filait vers le centre de Tokyo le long du port. Ils passèrent en trombe un poste de péage. Malko aperçut des taxis minuscules, des signes lumineux et incompréhensibles.

William Loward, le Second conseiller, regardait défiler les entrepôts et les usines d’un air absent. Il avait des valises sous les yeux et un tic à la paupière droite. Furuki, subitement résigné, ne bougeait plus. D’ailleurs, au premier battement de cils, ses anges gardiens étaient fermement décidés à l’assommer.

— Bon Dieu, quelle histoire, soupira le Second conseiller. Je n’ai pas dormi depuis deux jours…

La Cadillac roulait maintenant sur une autoroute urbaine en surélévation comme un métro aérien, filant vers le nord. S’il n’y avait pas eu des publicités en caractères japonais, de temps à autre, perçant le brouillard, Malko aurait pu se croire à Kansas City. Tokyo ressemblait au cauchemar d’un urbaniste : un enchevêtrement de ciment, d’autoroutes urbaines, de vieilles maisons de bois et de gratte-ciel grisâtres. Le convoi roulait à plus de 80, doublant des taxis multicolores.

— Nous arriverons dans cinq minutes à l’ambassade, annonça William Loward en regardant sa Seiko.

Il était 8 h 15. La nuit était tombée à quatre heures. La pollution et le brouillard.

— Comment comptent-ils partir ? demanda Malko.

L’Américain secoua la tête.

— On ne sait pas. Ils n’ont rien voulu dire.

Furuki grogna. Malko se retourna. Le jeune terroriste avait le visage crispé de terreur, maculé de traînées de sang séché. Ses prunelles bougeaient sans arrêt, comme s’il cherchait une issue. Le frottement des pneus de la grosse limousine contre le ciment du freeway causait un ronflement sourd, abrutissant.

Le diplomate jeta un regard en coin à Malko et dit :

— Le « Department » nous a averti que vous aviez la responsabilité de l’échange des otages. Je vais vous présenter à Tom Otaku, le responsable de la lutte antiterroriste. C’est avec lui que vous organiserez la suite des opérations. (Il eut un rire nerveux.) Il ne doit plus y avoir un seul flic dans Tokyo. Ils sont tous autour de l’ambassade…

Il se pencha soudain vers la droite du freeway.

— Tenez, les voilà là-bas.

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9

Fils de pute.