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– Je disais bien, madame, balbutia Guise devenu livide, que vous raisonnez à coups de hache!… Seulement cette fois, c’est à la hache du bourreau que vous en appelez, et elle est à double tranchant, prenez-y garde!

Fausta secoua la tête d’un air de suprême dédain.

– Je reprends point par point, dit-elle de cette voix inflexible et métallique qui justifiait si bien la comparaison de Guise. Nous disons qu’il nous faut d’abord la mort du roi régnant… Eh bien, si je veux, Henri de Valois ne mourra pas. En effet, si je ne leur donne pas contre-ordre, deux cavaliers vont partir à la pointe du jour, l’un pour Blois, l’autre pour Nantes. Je vous le répète, ces deux cavaliers, si je ne les vois pas moi-même cette nuit, si je ne leur retire par leurs missions, seront en route dans quelques heures. Le premier porte au roi de France la preuve que vous le voulez assassiner…

Guise grinça des dents; et si son regard eût pu foudroyer Fausta, elle fût tombée à l’instant.

– Le deuxième, poursuivit Fausta imperturbable, est à destination de Nantes où se trouve le roi de Navarre avec douze mille fantassins, six mille cavaliers et trente canons. Ma dépêche le prévient de vos intentions et lui prouve qu’il n’y a qu’un moyen pour lui conserver la couronne à la mort d’Henri III, c’est de s’unir au roi de France et de marcher avec lui sur Paris. M. le duc, combien avez-vous d’hommes et d’argent pour résister aux deux armées combinées?…

– Forte! très forte! grommela Pardaillan qui ne perdait ni un mot, ni un geste, ni un battement de paupières.

Quant au duc, un abîme soudain ouvert sous ses pieds ne lui eût pas donné le vertige d’épouvante et de rage qu’il éprouvait à ce moment. Il souffla et, péniblement, murmura:

– Mais, madame, en vérité, je crois que vous me menacez…

– Pas du tout. Je vous donne mes preuves. Supposons maintenant Valois supprimé par un de ces accidents que la Providence met parfois sur la route des rois… et des prétendants. Supposons ainsi qu’Henri de Navarre ne bouge pas. Bref, vous n’avez qu’à vous laisser couronner… si toutefois vos droits sont établis…

– Ils le sont! dit vivement Guise en se raccrochant. Ils le sont par les preuves qu’a accumulées François de Rosières dans son livre…

– Livre dont j’ai payé l’impression sur deux cent mille exemplaires, livre qui a été répandu dans tout le royaume par mes agents…

– C’est vrai, madame, balbutia le duc.

– Donc vos droits ont été répandus par deux cent mille exemplaires du livre de l’archidiacre Rosières.

– Que nul ne peut contester!…

– Nul en effet… excepté l’archidiacre lui-même, dit tranquillement Fausta.

Guise pâle comme la mort regarda fixement Fausta. Cette fois le coup était si rude qu’il en chancelait et qu’il n’osait même pas demander l’explication de ces paroles… Fausta, sans se lever, allongea le bras vers une table placée près d’elle et y prit un mince volume qu’elle tendit à Guise en disant:

– Voici, monsieur le duc, un livre nouveau de messire François de Rosières, archidiacre de Toul. Comme vous pouvez vous en rendre compte, le digne ecclésiastique y fait renonciation complète à ses erreurs, demande pardon à Dieu de s’être laissé suborner par vous, et reprenant l’un après l’autre les arguments qu’il a entassés en votre faveur, les détruit… plus facilement, il faut l’avouer, qu’il ne les a échafaudés… Ah! monsieur le duc, il est toujours plus commode de défaire que de créer!…

Guise, plongé dans une stupeur qui tenait de l’épouvante, feuilletait le volume d’une main tremblante.

– Il y a, continua Fausta, trente mille exemplaires de ce livre à Paris, quinze mille à Lyon, autant à Toulouse, cinq mille à Orléans, Tours, Angers, Rennes… partout, monsieur, il y en a partout!… Au total, quatre cent mille exemplaires dans le royaume… Que je dise un mot, et tous ces volumes sortiront des caves où ils attendent le jour… et la lecture.

Guise jeta violemment sur le parquet le livre qu’il tenait à la main, et se levant se mit à marcher à grands pas dans la direction de la baie derrière les rideaux de laquelle se trouvait Pardaillan. Le Balafré était sombre. La cicatrice paraissait sanguinolente dans son visage livide. Et de ses yeux jaillissait une telle flamme qu’il était évident qu’une pensée de meurtre hantait cette tête violente.

– Oh! oh! murmura Pardaillan, je ne donnerais pas un denier de la vie de la belle Fausta… si je n’étais là!… Mais je suis là, et je ne veux pas qu’on me la tue…

À tout hasard, il se prépara et, la dague au poing, attendit le moment d’intervenir.

Pendant cette seconde terrible où Fausta comprit parfaitement que sa vie ne tenait qu’à un fil, elle ne fit pas un mouvement… Elle jouait à cette minute son va-tout. Dompter le duc… ou mourir, il n’y avait pas d’autre alternative pour elle dans la situation désespérée où la plaçait sa défaite du matin. Dans le palais désert, abandonné, quelques femmes… quelques laquais… personne dont elle pût ou voulût attendre un secours.

Guise parvint jusqu’aux grands rideaux de velours, et Pardaillan sentit sur son visage le souffle rauque de cet homme qui débattait en lui-même la mort de Fausta. Mais sans doute le Balafré comprit qu’en tuant Fausta, il se tuait lui-même; car, ayant fait demi-tour, et étant revenu à elle, il s’assit à la place qu’il occupait et gronda:

– Vous me traitez un peu durement, madame, et les précautions que vous avez prises contre moi m’enlèvent tout le plaisir que j’aurais eu à m’acquitter de bon cœur envers vous. Mais venons au fait… que voulez-vous? que demandez-vous?…

– Mes preuves vous semblent-elles suffisantes? dit Fausta. Vous ai-je bien convaincu que si je retire cette main qui vous a guidé, qui seule vous soutient, vous n’êtes pas roi… vous n’êtes plus rien… qu’un rebelle?…

– Oui! frémit le Balafré avec une sorte d’abattement et d’humiliation.

– Bien, duc. Et maintenant que je vous ai montré l’abîme où vous roulerez si vous cessez de vous appuyer sur la main que je vous offre, je vais vous montrer la gloire éblouissante qui vous attend si nous unissions à jamais nos forces… Dès le lendemain de la mort de Valois, Alexandre Farnèse entre en France.

– Farnèse! fit le duc en tressaillant.

– C’est-à-dire l’armée qui devait débarquer en Angleterre et qui, l’Invincible Armada [10] étant détruite, attend des ordres du roi d’Espagne… à moins que je n’envoie, moi, les miens à Farnèse!…

L’œil de Guise étincela.

– Je crois que nous commençons à nous entendre, dit Fausta. Donc, Valois mort, Farnèse vous apporte son épée appuyée de cinq mille lances, douze mille mousquets, dix mille estramaçons de cavalerie, et soixante-dix canons… ce qui, joint aux troupes royales dont vous devenez seul chef, vous constitue l’armée qui vous permet de vous emparer du roi de Navarre. Henri de Béarn pris et… exécuté comme fauteur d’hérésie, vous gagnez les chefs huguenots en leur promettant quelques privilèges… Alors vous êtes à la tête de la plus formidable armée de l’Europe!… Alors vous allez à Reims vous faire couronner dans la vieille basilique!… Alors, par une simple marche triomphale, vous pacifiez le royaume!… Alors enfin vous franchissez les monts. Mantoue, Vérone, Venise, Bologne, Milan, Turin, et enfin Rome tombent en votre pouvoir! Ce que n’ont pu faire ni Louis XII ni François Ier, vous l’accomplissez; un vaste empire devient votre domaine… Puis, par un retour foudroyant, nous traversons la France, nous marchons sur les Flandres et les Pays-Bas… vous êtes un potentat plus formidable que Charles Quint, vous reconstituez l’empire de Charlemagne, et d’un froncement de sourcils vous faites trembler le monde moderne.

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[10] L’Armada, flotte envoyée par Philippe II d’Espagne en 1588 contre l’Angleterre, et détruite en grande partie par la tempête.