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– Jean-François! Jean-François! pourquoi te réjouis-tu du malheur de l’homme qui a eu pitié de toi?… De l’homme qui t’a tendu une main secourable, qui t’a nourri quand tu mourais de faim, qui t’a parlé doucement et t’a réconforté!… Pourquoi te réjouis-tu, Ravaillac?… C’est parce que tu sais que celui-là est aimé… et toi, tu ne le seras jamais!… Tu te disais, tu te criais bien haut: «Tu ne peux être aimé, Jean-François, tu sais bien que tes jours sont comptés… le bourreau a déjà la main sur toi.» Hypocrisie! Ravaillac, hypocrisie!… Au fond, tu espérais que ce miracle s’accomplirait: que tu serais aimé d’elle, toi, le damné, le maudit!… Tu disais: «Lui seul est digne d’être aimé, parce qu’il est bon, brave et généreux. Devant lui, je puis, je dois m’effacer… puisque je suis condamné, moi!» Hypocrisie!… Ravaillac, tu es un hypocrite, un fourbe, un menteur comme l’autre, l’hérétique, le loup couronné!… Tu es jaloux, Jean-François, jaloux de ton bienfaiteur, ton cœur déborde de fiel… Et tu oses t’ériger en justicier!…

Il se meurtrit le front sur la pierre et implora:

– Seigneur! Seigneur! ayez pitié de moi!… Inspirez-moi! Secourez-moi!… Chassez le démon qui me tourmente.

Il demeura longtemps prosterné, priant de toute son âme, sanglotant, hurlant sa peine et sa folie. Peu à peu, le calme descendit en lui, il se redressa, partit d’un pas chancelant, se perdit dans les ténèbres, ombre tragique que la fatalité conduisait par la main.

XXXI

En sortant de la petite maison de Concini, Saêtta se demanda ce qu’il allait faire.

– Voilà, se disait-il en marchant, Jehan, par suite de circonstances heureuses que j’ignore, a-t-il réussi à s’échapper? Ou bien, suis-je arrivé trop tard: Concini l’ayant frappé et s’étant débarrassé du cadavre? Toute la question est là. Libre, Jehan rentrera chez lui. Donc, je dois aller l’attendre là. Et si Concini m’a ravi ma vengeance… (il grinça des dents), je crois que la signora pourra préparer ses vêtements de veuve.

Sa résolution prise, il quitta son allure indécise et s’achemina vers le logis de Jehan, chez lequel il monta délibérément.

Escargasse ne l’avait pas perdu de vue. Quand il le vit s’engouffrer dans l’allée, il jugea sa mission terminée. Il prit ses jambes à son cou et fila vivement vers l’hôtellerie du Grand-Passe-Partout.

Jehan avait négligé de fermer sa porte à clé. Saêtta entra après avoir frappé deux coups rudes, restés sans réponse.

Le mobilier, qu’il connaissait, était des plus rudimentaires. Il se composait d’une table, de deux chaises, d’un coffre qui servait en même temps de buffet, d’une étroite couchette et – la pièce la plus somptueuse – d’un grand fauteuil en assez bon état.

Dans la cheminée, relativement petite, quelques ustensiles de cuisine: une poêle, un gril, un coquemar [16], attestaient que le maître de céans ne dédaignait pas, le cas échéant, de préparer lui-même ses repas. Ce qu’il faisait, en effet, les jours où sa bourse trop plate lui interdisait d’aller au cabaret.

Il se vantait même, non sans orgueil, de n’avoir pas son pareil pour faire sauter une omelette. Ce qui, malgré son apparente simplicité, n’est pas une opération aussi facile à réussir que bien des gens se l’imaginent.

Saêtta avait faim. Il fouilla le coffre-buffet. Il n’y trouva pas le moindre croûton à se mettre sous la dent. Mais il y avait quelques flacons qui lui parurent d’apparence assez vénérable. Il en prit un, s’installa dans le fauteuil et attendit patiemment en vidant son gobelet à petits coups.

La nuit était venue et il avait négligé d’allumer la lampe. Il se trouvait mieux dans l’obscurité pour rêver à son aise. Neuf heures venaient de sonner à Saint-Germain-l’Auxerrois, proche, lorsqu’il entendit résonner dans l’escalier un pas qu’il reconnut aussitôt. Un sourire éclaira sa rude physionomie, et, tout joyeux, il s’écria:

– C’est lui!

Impatient, il courut sur le palier, et penché dans le noir, il demanda:

– C’est toi, mon fils?

– Oui, fit une voix brève. C’était Jehan, en effet.

Le coup qu’il avait reçu en apprenant la disparition de Bertille, qu’il croyait si bien en sûreté, l’avait tout d’abord atterré. Mais il était de ces natures énergiques que le malheur semble stimuler au lieu de les abattre. D’ailleurs, c’était un combatif, la lutte était son élément. Et dans la lutte, il ne perdait jamais le sang-froid.

Pardaillan, qui l’observait à la dérobée, le vit soudain très maître de soi. Seulement, la teinte livide qui s’était répandue sur son visage persistait. Ses magnifiques yeux noirs brillaient d’un éclat fiévreux. Les narines demeuraient pincées.

De l’interrogatoire serré que Pardaillan et Jehan firent subir au majordome, ils ne purent tirer rien de plus que ceci: Bertille était partie avec une vieille paysanne avec laquelle elle avait eu un entretien secret.

Qui était cette vieille? Qu’avait-elle dit à la jeune fille? Où l’avait-elle conduite? Autant de questions qui demeuraient encore à l’état de mystère.

Pardaillan, qui avait entendu la Galigaï se vanter d’avoir fait enlever la jeune fille, se disait que cette vieille paysanne devait être une émissaire de la femme de Concini. Il n’en savait pas plus long et, comme Jehan, il cherchait.

Il ignorait que Léonora avait menti en prenant à son compte une action que l’évêque de Luçon prétendait, de son côté, avoir fait accomplir. Mais Richelieu, dans cette affaire, n’avait fait que suivre les indications du père Joseph. Il avait donc menti, lui aussi.

Enfin, si on se rappelle que frère Parfait Goulard, comme par hasard, s’était, dès leurs premiers pas dans la rue, trouvé sur le chemin de Bertille et de Marie-Ange, on n’aura pas de peine à comprendre d’où venait le coup.

Tout ceci était un peu trop compliqué pour que Pardaillan pût le démêler en quelques minutes. Nous devons dire qu’il se demanda un moment s’il ne ferait pas bien de répéter ce qu’il avait entendu concernant Bertille. Mais il réfléchit que cela pouvait l’entraîner plus loin qu’il ne voulait et il y renonça.

D’ailleurs, il était bien résolu à éclaircir l’affaire. Par sympathie pour les deux jeunes gens, d’abord. Ensuite, parce qu’il n’oubliait pas que la jeune fille était persécutée uniquement à cause des papiers qu’on savait en sa possession. Or, comme ces papiers lui étaient destinés et l’intéressaient tout particulièrement, avec sa logique spéciale, il en concluait qu’il était la cause indirecte de cette persécution. Par conséquent, il se devait à lui-même de réparer le mal, en dehors de toute considération de sympathie.

Parce que Bertille avait déclaré qu’elle serait de retour avant la nuit, Jehan ne voulait pas quitter l’hôtel du duc d’Andilly tant que la nuit ne fût pas tombée. Pardaillan pensait bien qu’elle ne rentrerait pas. Mais il ne dit rien et attendit patiemment avec lui.

Jehan dut se rendre à l’évidence. Ils partirent. Dans la rue, il marcha silencieusement, les dents serrées, à côté de Pardaillan, préoccupé lui-même. En sorte que lorsqu’ils arrivèrent à l’hôtellerie du Grand-Passe-Partout, ils n’avaient pas échangé quatre paroles.

À l’auberge, ils retrouvèrent Escargasse, Gringaille et Carcagne qui les attendaient sans impatience, attendu qu’ils pouvaient tuer le temps en vidant force flacons et en jouant aux dés. Ce qu’ils faisaient très consciencieusement.

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[16] Le coquemar est un pot de métal, sorte de bouilloire à couvercle, bec et anse.