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Nicolas Sarkozy, alors en voyage officiel aux Antilles, joint son ministre de la Défense, Alain Juppé. La décision est prise de frapper. « Une décision grave, mais il fallait la prendre[487] », commentera le président de la République en Conseil des ministres après le raid. Le risque est grand que les deux otages français soient blessés, voire tués, durant l’assaut. Il semble être assumé. L’Élysée veut surtout donner un coup d’arrêt aux prises d’otages dans le Sahel, après celles de Michel Germaneau en avril 2010 et de quatre Français sur le site sensible des mines d’uranium d’Arlit, au Niger, en septembre de la même année.

L’opération commando porte un nom de code : Archange foudroyant. Son but est d’attaquer par surprise la voiture d’AQMI. Un rapport secret rédigé après la mission rappelle qu’il s’agissait « d’intercepter le convoi des preneurs d’otages, avant qu’ils ne reçoivent d’éventuels renforcements ou ne gagnent une zone refuge, et de libérer nos deux ressortissants[488] ». Deux objectifs qui peuvent se révéler difficilement compatibles.

Le « vert action », qui donne le signal du début de l’opération, est transmis le 8 janvier à 8 h 9, après une ultime consultation de l’Élysée. La consigne est de stopper les véhicules à tout prix, mais « aussi, bien évidemment, [de] neutraliser et détruire tout élément AQMI hostile[489] », comme le résumera l’un des tireurs d’élite interrogés par la justice française. Selon des documents déclassifiés détaillant le déroulement des faits, des interceptions de communications laissent penser aux Français qu’un groupe « lourdement armé » du chef Mokhtar Belmokhtar pourrait venir rapidement protéger le convoi, qui subit un affrontement sanglant avec des gendarmes nigériens, dont certains finissent par rallier la cause des ravisseurs.

À 10 h 20, les trois hélicoptères Cougar transportant les commandos français s’approchent du 4 × 4 blanc, qui a été rejoint par deux autres pick-up, à cinq kilomètres de la ville malienne d’Akabar. L’effet de surprise est nul : le ciel est bleu et ils sont visibles à l’œil nu. Les neuf ravisseurs armés ont le temps de mettre deux voitures à couvert sous les arbres près d’un oued et de faire feu sur les appareils qui fondent sur eux. Le pilote d’un des Cougar est blessé à la jambe. Dans les deux autres hélicoptères, des tireurs d’élite ripostent, ciblant notamment les preneurs d’otages et les véhicules pour les immobiliser, sans savoir où se trouvent les deux Français. Un sniper tire une dizaine de balles sur le bloc moteur du 4 × 4 blanc. Un autre témoignera : « J’ai vu le véhicule blanc, je l’ai traité. Aussitôt après, un individu est apparu, je l’ai traité. Puis il y a eu un individu à la tunique bleue, que j’ai traité[490]. » Les militaires français n’ont pas été informés de la présence dans le convoi de gendarmes nigériens, qui leur tirent également dessus.

Les otages de Niamey ont-ils été sacrifiés ?

Les vingt parachutistes déposés dans les environs par deux des Cougar doivent ensuite « sécuriser » la zone. Les échanges de tirs se poursuivent. Mais il est déjà trop tard. Deux véhicules s’enflamment pour des raisons indéterminées. Antoine de Léocour et Vincent Delory sont déjà morts, ainsi que trois gendarmes nigériens et deux preneurs d’otages. « Les opérateurs et les membres d’équipage ont dû conduire un assaut à partir d’une zone découverte, sous un feu nourri. Dans de telles conditions, même si nos hélicoptères ont déposé les opérateurs au plus près de l’objectif, il n’a malheureusement pas été possible de sauver nos deux compatriotes, malgré les précautions prises pour préserver leur vie[491] », écrira le colonel B., commandant des forces spéciales de la région, dans son rapport à ses supérieurs.

D’après les premiers éléments de l’enquête menée par le juge d’instruction parisien Yves Jannier à la suite des plaintes déposées par les familles des deux otages décédés, Antoine de Léocour aurait bien été assassiné par l’un de ses gardes à trois cents mètres des véhicules. Vincent Delory, lui, coincé dans le 4 × 4 blanc en feu, a pu être victime des échanges de tirs. Une hypothèse plausible, puisque, selon les propos informels tenus par le pilote blessé au Premier ministre, François Fillon, la visibilité n’était pas bonne lors de l’assaut à cause des hélicoptères : « À la fin de la poursuite, lorsqu’ils ont atterri, il y a eu un nuage de poussière effrayant. Et, quand le nuage est retombé, ils se sont retrouvés nez à nez avec les ravisseurs[492] », rapportera Fillon. Un bilan terrible pour une opération qui devait officiellement servir à libérer les otages.

Se défendant de les avoir sacrifiés, le général Frédéric Beth, patron du COS au moment des faits, invoquera l’urgence, la complexité de l’opération et les risques élevés qu’ont pris les membres du commando. Dans son rapport au chef d’état-major des armées, il note : « C’est bien le caractère interarmées permanent et l’entraînement très poussé des forces spéciales, disposant de moyens dédiés, qui ont permis la réalisation de cette opération. En dépit de sa conclusion malheureuse pour nos deux compatriotes et pour certains de nos camarades nigériens, elle est la meilleure démonstration du bien-fondé des efforts consentis jusqu’à présent par les armées pour la préparation opérationnelle des unités relevant de mon commandement[493]. »

Le colonel Jacques Hogard, un ancien de la Légion étrangère et des forces spéciales, reconverti en expert en sécurité et fin connaisseur du Sahel, ajoute : « Ce raid a montré que la France ne se laissait plus faire. Malgré l’échec, c’est-à-dire la mort de nos deux jeunes otages, le message de fermeté a été reçu cinq sur cinq par AQMI et les pays voisins[494]. »

Le bilan est pourtant mitigé. D’autant plus qu’AQMI ne va cesser, au cours des mois suivants, de se renforcer au Sahel, jusqu’au déclenchement de l’opération Serval par François Hollande en janvier 2013. Arme secrète des présidents, les forces spéciales n’ont pas fini d’être en première ligne.

16.

AQMI : les ratés d’une guerre

« On va casser le plus possible de ces connards[495] ! » Début 2013, dans l’entourage du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, les commentaires sur le début de l’opération Serval ne laissent guère de place au doute : l’heure est bien à l’« éradication » des « groupes terroristes » qui ont eu l’affront de vouloir foncer sur Bamako, la capitale du Mali. Pour la première fois depuis des décennies, les militaires reçoivent des instructions radicales visant un ennemi : pas de quartier. C’est la version française des consignes données aux troupes américaines sur les théâtres de guerre depuis 2001 : search and destroy, « rechercher et détruire ». L’urgence semble commander.

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487

Rapporté dans Bruno Le Maire, Jours de pouvoir, Gallimard, coll. « Folio », 2013, p. 125.

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488

Rapport du colonel B., commandant le groupement des forces spéciales Sabre Carlit, au général de division Frédéric Beth, commandant les opérations spéciales, 14 janvier 2011, déclassifié par le ministère de la Défense.

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489

Audition du tireur d’élite F., témoin no 95, par le juge Yves Jannier, 14 septembre 2011.

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491

Rapport du colonel B., op. cit.

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492

Rapporté à Bruno Le Maire par François Fillon : Bruno Le Maire, Jours de pouvoir, op. cit., p. 124.

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493

Compte rendu de l’opération Archange foudroyant par le général de division Frédéric Beth, commandant des opérations spéciales, à l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées, 4 février 2011, déclassifié par le ministère de la Défense.

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494

Entretien avec l’auteur, juillet 2014.

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495

Rapporté notamment par Jean-Dominique Merchet, « Mali : la guerre secrète contre AQMI », blog « Secret Défense », 25 janvier 2013.