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Paris compte sur les Algériens et… les Libyens

Les attentats du 11 septembre 2001 renforcent l’aura d’Al-Qaïda auprès des combattants salafistes. Certains leaders du GSPC, comme Abdelmalek Droukdel, Abderazak El Para et Mokhtar Belmokhtar, veulent se mettre dans le sillage « internationaliste » d’Oussama Ben Laden, tandis que d’autres, comme Hassan Hattab, préfèrent se concentrer sur le combat en Algérie. En 2002, les Américains lancent leur Pan Sahel Initiative (PSI), dont l’objectif est de renforcer la sécurité des frontières et de combattre le terrorisme dans la région. Cependant, les moyens dévolus à ce plan demeurent limités. La CIA et le Pentagone aident secrètement les forces armées mauritaniennes et nouent des relations étroites avec les Algériens. Des avions de reconnaissance des forces spéciales américaines sont notamment basés à Tamanrasset.

De leur côté, les services français surveillent aussi les filières djihadistes du Sahara, sans pouvoir intervenir très directement. Mi-2002, avant de quitter ses fonctions en juillet, le directeur de la DGSE, Jean-Claude Cousseran, effectue une tournée dans les pays africains concernés par la menace grandissante du GSPC et de ses affidés, du Niger à la Mauritanie, afin de proposer un plan d’actions coordonnées. Après des années de méfiance réciproque, la DGSE a même renoué des contacts opérationnels avec les services algériens, leur fournissant des renseignements précis sur des filières islamistes qui permettent aux Algériens de les traquer, y compris sur leur territoire. Mais ce « plan Sahel » français s’enlise dans les sables.

En vérité, Paris compte d’abord sur Alger pour mettre de l’ordre dans sa zone d’influence. Les ministres de la Défense qui se succèdent en 2002, Alain Richard et Michèle Alliot-Marie, donnent, par exemple, leur accord pour vendre aux Algériens des appareils de vision nocturne afin d’aider les forces armées à traquer les « terroristes » dans le désert. Pour plus de discrétion, les livraisons doivent être « fractionnées ». En mai 2003, juste avant d’entreprendre un voyage à Alger avec un responsable de la lutte antiterroriste de la DST, le général Philippe Rondot, conseiller de la ministre de la Défense, recommande de procéder à ces envois de manière « progressive et discrète[502] », via la DGSE.

Pour lutter contre le terrorisme dans le Sahel, Paris espère également, de façon plus surprenante, pouvoir collaborer avec le colonel Kadhafi et ses services de renseignement, dirigés par l’un de ses proches, Moussa Koussa. Peu de temps auparavant, le régime libyen était encore considéré comme pestiféré. Il était soupçonné d’avoir orchestré des actes terroristes, notamment les attentats contre le vol de la Pan Am près de Lockerbie, en décembre 1988, et contre l’avion d’UTA au-dessus du Ténéré, en septembre 1989. De patientes négociations, en marge des procédures judiciaires, ont amené Kadhafi à reconnaître sa responsabilité dans ces deux attentats. Fin 2003, le régime libyen versera près de 3 milliards de dollars aux familles des victimes de l’accident de Lockerbie et 170 millions aux cent soixante-dix familles touchées par l’attentat du Ténéré. Ces paiements conduiront l’ONU à lever les sanctions économiques contre la Libye.

Parallèlement, Kadhafi négocie avec les services occidentaux l’arrêt de son programme d’armes de destruction massive, en échange d’un retour progressif de son pays dans le concert des nations. Confiant dans cette évolution, le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, donne son aval, dès octobre 2002, à l’intégration de Moussa Koussa au sein de ce que la DGSE appelle le « Club Med », une alliance secrète de services de renseignement des pays du pourtour méditerranéen, de l’Italie au Maghreb[503]. « Les Libyens étaient d’accord pour surveiller leur zone et nous donner un coup de main pour infiltrer des filières djihadistes, et ils ont commencé à s’en occuper sérieusement[504] », se souvient un dirigeant de la DGSE.

AQMI prospère grâce au business des otages

Malgré ces initiatives, le GSPC commence à se manifester de manière spectaculaire au Sahel. En février 2003, au nord du Mali, un commando du groupe d’Abderazak El Para enlève trente-deux touristes européens, dont une majorité d’Allemands. Un assaut des forces spéciales algériennes permet d’en libérer dix-sept. Des tractations s’engagent sur le sort des autres. Anticipant son programme de livraisons, la France envoie en urgence dix lunettes de vision nocturne et deux radars pour aider les Algériens à localiser les derniers otages dans le Sud saharien. Finalement, ils sont libérés en août 2003, moyennant le paiement de rançons estimées à 5 millions de dollars.

Contacté par les responsables des services secrets allemands (BND), le général Rondot leur conseille de procéder au « versement de la rançon à travers une aide au Mali[505] ». Le « business » des prises d’otages renforce mécaniquement le leadership des groupes djihadistes qui les organisent, accentuant aussi les rivalités entre leurs chefs. De 1998 à 2012, selon les services de renseignement français, l’« industrie » de l’enlèvement leur rapportera environ 100 millions de dollars[506].

La montée des périls provoque aussi des accrochages. Des commandos américains appuient les soldats nigériens et tchadiens lors de combats violents avec des membres du GSPC en mars 2004. Abderazak El Para est capturé par l’armée tchadienne, puis remis aux Libyens, qui l’extradent vers l’Algérie en octobre 2004. Cependant, lorsque le Pentagone localise Mokhtar Belmokhtar et se prépare à frapper avec des missiles tirés depuis des drones, l’ambassadrice américaine au Mali, Vicki Huddleston, bloque l’opération, la jugeant trop risquée. L’année suivante, les Américains transforment leur plan d’aide de 2002 en Trans-Saharan Counterterrorism Initiative (TSCTI), avec un volet militaire doté d’une centaine de millions de dollars par an, répartis entre une dizaine de pays, dont l’Algérie. Mais le TSCTI se révèle inefficace et s’embourbe à son tour.

Quant au GSPC, il multiplie les attaques, comme celle d’une caserne de l’armée mauritanienne en juin 2005, qui provoque la mort de dix-huit soldats. Le groupe est désormais dirigé par l’émir Abdelmalek Droukdel, qui, basé en Algérie, recrute des combattants venus de Mauritanie, de Libye, de Tunisie, du Maroc, du Mali et du Niger. Ils sont formés dans des camps d’entraînement. « Les stagiaires sont insérés dans des katibas et initiés aux kalachnikovs et aux explosifs artisanaux[507] », notent, fin 2006, les services de renseignement français, qui jugent la situation dans le nord du Mali « potentiellement explosive ». L’émir Droukdel est secondé par des chefs de katiba, principalement le Touareg malien Abdelkrim al-Targui, le vétéran Mokhtar Belmokhtar et son nouveau rival Abou Zeid, un ancien bras droit d’El Para à la réputation d’idéologue et de chef de guerre brutal.

Fort de ses succès, le GSPC fait allégeance à Ben Laden. En janvier 2007, il change de nom et devient Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Les attentats suicides se multiplient, y compris à Alger, tandis que l’armée algérienne mène des combats en Kabylie. AQMI veut surtout frapper de plus en plus fort au Sahel. Son ennemi désigné : la France.

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502

Note à la suite d’un entretien entre Philippe Marland et le général Philippe Rondot, à 8 h 15, le 27 mai 2003, carnets du général Rondot.

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503

Note à la suite d’un entretien entre Dominique de Villepin et le général Philippe Rondot, à 18 heures, le 3 octobre 2002, carnets du général Rondot. Le Club Med, ou Med Club, a été créé au printemps 1982 à l’initiative des patrons des services de renseignement italiens. Réunissant les Italiens, les Français et les Espagnols, ce club de directeurs s’est ouvert aux discussions avec leurs homologues du bassin méditerranéen, principalement les Marocains, les Tunisiens, les Égyptiens et parfois les Algériens.

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504

Entretien avec l’auteur, septembre 2013.

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505

Note à la suite d’un entretien entre Philippe Marland et le général Philippe Rondot, à 12 heures, le 21 août 2003, carnets du général Rondot.

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506

Rapporté dans Mériadec Raffray, « Les rébellions touarègues au Sahel », Les Cahiers du Retex, Centre de doctrine d’emploi des forces, janvier 2013.

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507

Gérard Davet et Piotr Smolar, « Les maquis algériens inquiètent la France », Le Monde, 14 novembre 2006. Sur la genèse d’AQMI, voir notamment Groupe Orion, « AQMI : un problème régional », Fondation Jean-Jaurès, janvier 2011.