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Voilà. Finito ! La famille Cassepaut-Landemec s’offre un beau service funèbre. Messe chantée, cercueil plombé en palissandre, caveau de marbre avec stèle de bronze ! Le top !

Parce que tu penses peut-être qu’un quincaillier de banlieue n’a pas les moyens d’enterrer dignement la maman de son épouse ! Femme édifiante, s’il en fût, qui passait des documents au nez et barbe de la Gestapo pendant la guerre ; dénonçait des juifs à la même Gestapo pour se mettre bien avec elle, endormir ses soupçons. Les messages codés des résistants sentaient la chatte vu qu’elle les trimbalait dans son slip, ce qui leur conférait un must.

Maintenant, le gendre, attendri par sa propre largesse, pleure la morte qui lui revient si cher. De tout son cœur quincaillesque ! En vérité, il ne regrette pas de montrer qu’ils ont pognon sur rue. Pas toujours les nantis qui s’offrent des funérailles grande pompe !

Ils finissent par se barrer, ces deux dégueulasses, congratulés à mort par le père Lelardon qui vasouille peut-être du calbute, mais reste un grand pro de la viande froide !

Jusque-là, j ai attendu mon tour dans un recoin meublé de deux chaises en raphia, d’une table basse et d’une élégante plante verte artificielle qui représente un caoutchouc en matière plastique (que je situe, pour ma part, juste après la matière fécale).

Le papa Croque-mort m’aborde avec ce visage plein d’amabilité et disposé à la fausse compassion qu’ont les gens de sa profession.

— Que puis-je pour vous ? demande le pleureur sur cul d’une voix mansuète.

En guise de réponse, je lui produis ma carte gravée qui annonce, en anglaise aristocratique, que je suis le directeur de la Police parisienne.

Elle impressionne toujours les honnêtes gens qui se jugent responsables par inadvertance de crimes punissables par la loi.

Son doux sourire commercial laisse place à une expression soucieuse d’astronaute dont les instruments de bord se mettent à foirer.

— Que puis-je pour vous, monsieur le directeur ? redemande-t-il.

Il a une bonne bouille, Pépère. Pas loin de la soixantaine, le front dégarni, le reste de la chevelure plus sel que poivre, le teint pâlichon, un nez terminé en cerise, le menton fendu en petit cul de bébé, l’œil doux et madré, bleu avec des reflets mauves.

Je lui souris de sympathie, il répond par une expression de reconnaissance.

J’aimerais un simple renseignement, monsieur Lelardon.

Il lève un sourcil de chien d’arrêt, la patte à l’équerre pour marquer, non son territoire, mais son intérêt.

— A votre disposition.

— Hier, en fin d’après-midi, vous avez rendu visite à l’excellente Mme Mina, tenancière de maison dite close, à proximité du théâtre Hébertot ?

Le pauvret en reste complètement coi, le dentier béant sur une langue impropre à la consommation courante. Ses pommettes vermillonnent comme à la suite de deux calvas dégustation et je lis, dans son œil clair, une panique désespérée qui émouvrait un tortionnaire chinois de l’époque Ming.

Son second réflexe est de regarder autour de lui. Dans un bureau vitré qui communique avec la pièce d’accueil par un guichet (présentement fermé), une dame secrétaire photocopie le formulaire des nouveaux forfaits avec extension jusqu’au Club Med pour les ayants droit des « chers défunts ».

Personne ne m’a entendu. Rasséréné un chouïa, le gars me tend une œillée suppliante.

Il chuchote, désignant la secrétaire du burlingue :

— C’est Mme Lelardon.

— Elle me paraît tout à fait charmante, complimenté-je en embrassant d’un air rugueux ladite personne, femme chevaline, d’un blond de mayonnaise tournée, affublée d’un long nez emmanché d’un long cou.

Je perçois la respiration obstruée de Pépère : il a de l’asthme. J’attends la suite dans le mutisme qu’il subit comme un cilice.

Un seul mot lui sort, pareil à une bulle née d’un cloaque :

— Pourquoi ?

Cette brève question résume son désarroi.

— Cher monsieur, bonhommé-je, vous êtes tout à fait libre de fréquenter tel bordel qu’il vous plairait. Si je mentionne celui-ci, c’est parce que vous y avez fait une rencontre qui n’avait rien à voir avec l’objet de votre visite.

Sa physionomie s’hermétise.

— Je ne vois pas, fait-il d’un ton tellement sincère qu’il filerait la chiasse à un marchand de bagnoles d’occasion.

— Dans l’entrée, le pressé-je, il y avait un homme jeune, d’un blond tirant fort sur le roux. La sous-maîtresse est persuadée que vous le connaissiez.

La luce se fait dans la mémoire clapoteuse du marchand de bières.

— Oui, je comprends ce qu’elle veut dire.

— Vous pouvez me parler de ce type, cher monsieur ?

Pépère a une mimique évasive.

Le connaître est un bien grand mot, assure le gérant d’asticots. En réalité, je ne l’avais rencontré qu’une fois.

— Puis-je savoir où et dans quelles circonstances ?

— Ici même. Il était venu demander des renseignements concernant une exhumation éventuelle.

— Intéressant. Baillez-moi la chose par le menu, je vous prie. D’abord, cela remonte à quand ?

— Il doit y avoir une quinzaine de jours à peine. D’après ce qu’il m’a dit, un sien parent décédé en France (cet homme avait un fort accent étranger) est inhumé au cimetière du Mont-Charognarre qui est celui de notre localité suburbaine. Sa famille de l’étranger songeait à rapatrier le corps. Mon visiteur voulait préalablement se documenter sur les formalités à entreprendre. Je les lui ai communiquées. Il a pris des notes, m’a remercié et s’est retiré en me promettant de renouer le contact très prochainement. J’ai voulu m’informer de son nom, mais il a répondu à ma question par une autre et a pris rapidement congé. Un garçon plutôt étrange, au regard pas commode.

— Et vous n’avez pas eu d’autres rapports avec cet individu ?

— Je l’ai aperçu hier, où vous savez, voilà c’est tout.

J’attends un instant, en réfléchissant. Puis :

— Vous pourriez rendre un service à la Police, cher monsieur.

— Je ne souhaite que cela, fait ce vaillant, ce pur, avec tout de suite les yeux braqués sur la ligne bleue des Vosges.

— Vous avez, je suppose, vos entrées au cimetière. Demandez donc au concierge si quelqu’un d’étranger y a été inhumé récemment.

Il prend une mine apitoyée.

— Oh ! monsieur le directeur, fait-il, mais des étrangers, il n’y a que ça !

SCHMOLL

Dring !

Et même « Dreling ! Dreling ! » car la sonnette a un faux contact et fonctionne presque à contretemps, comme dans les Laurel et Hardy.

Une musique douce me parvient, dite de chambre. Un violon est en grande converse avec un hautbois, tandis qu’un piano mêle son grain de sel.

« La porte s’ouvre, elle apparaît », comme il est dit dans la chanson. N’a plus ses bigoudoches à la con. L’est coiffée un peu poupée Barbie. Bien peinte comme il faut : sourcils, lèvres, pommettes. Débarrassée de sa robe de chambre de reine mage, tu apprécies mieux sa taille de guêpe. Elle est saboulée gironde bas noirs, short noir, chemisier rouge. De la fille agréable.

Elle haut-le-corpse en me reconnaissant. Me visionne à longs traits, assoiffée de ma personne, écrirait Jean d’Ormesson qui a bien failli être de la Cadémie française[7].

Je sens qu’elle va proférer quelque chose de définitif, et en effet ça ne rate pas :

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7

Il s’en est fallu de deux voix.