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— C’est l’effet de la gravité. Tu n’as qu’à regarder Peter et les autres nisei. Ils sont nés dans des conditions naturelles et pour la plupart ils sont grands. Mais le fait que les enfants soient gauchers ne peut avoir qu’une explication génétique.

— Elle m’a dit une fois qu’une simple insertion transgénique augmenterait la taille du corps calleux[7]. Elle a peut-être bidouillé là-dedans et la tendance gaucher pourrait en être un effet secondaire.

— Je croyais que le fait d’être gaucher était dû à des lésions cérébrales.

— On ne l’a jamais su. Je pense que même Hiroko n’a pas de réponse.

— Je n’arrive pas à croire qu’elle pourrait bricoler les chromosomes pour accélérer le développement du cerveau.

— Ce sont des ectogènes, ne l’oublions pas – d’où accès plus facile.

— Ils ont une tendance à la porosité osseuse marquée, j’ai entendu dire.

— Exact. Sur Terre, ce serait un handicap. Mais ici, ça peut aider.

— Encore la gravité. Pour nous, c’est un inconvénient.

— Ça, tu peux m’en parler : je me suis cassé l’avant-bras au tennis rien qu’en levant ma raquette.

— Des oiseaux humains géants et gauchers, voilà ce qu’on élève ici. Si vous me posez la question, je vous dirai que c’est bizarre. Quand on les voit courir dans les dunes, on s’attend toujours à ce qu’ils décollent pour se mettre à voler.

Cette nuit-là, Nirgal eut encore beaucoup de mal à s’endormir. Ectogènes, transgénique… tout ça était tellement étrange. Le blanc et le vert avec leur double hélice… Durant des heures, il se retourna dans son lit en se demandant quelle était la raison du malaise qui s’insinuait en lui, et pourquoi il se sentait ainsi.

Finalement, épuisé, il sombra dans le sommeil. Et il eut un rêve. Auparavant, il avait toujours rêvé de Zygote, mais, cette fois, il rêva qu’il volait dans les airs, au-dessus de la surface de Mars. De vastes canyons rouges sillonnaient le sol et des volcans se dressaient à proximité, à la hauteur inimaginable où il évoluait. Mais quelque chose était lancé à sa poursuite, une chose plus grande et plus rapide que lui, qui s’élevait depuis le soleil dans un énorme froissement d’ailes, les serres tendues vers lui. Il tendit les mains et des éclairs jaillirent de ses doigts. La chose bascula. Elle montait pour attaquer une seconde fois, quand il se réveilla soudain, les doigts tremblants et le cœur battant comme une machine à vagues : Cla-poum ! Cla-poum ! Cla-poum !

Le lendemain après-midi, ils s’aperçurent que la machine faisait trop de vagues, comme le dit Jackie. Ils jouaient sur la plage, heureux des déferlantes, à l’instant où une vague plus grosse encore brisa le filigrane de la glace, renversa Nirgal sur les genoux et l’aspira en se retirant avec une force irrésistible. Il se débattit en cherchant à retrouver son souffle dans l’eau terriblement glacée, mais il n’y parvint pas, tomba vers le fond avant d’être brutalement roulé jusqu’à la grève par une autre lame.

Jackie l’attrapa par un bras et par les cheveux et le traîna derrière elle. Dao les aida à se relever en criant :

— Ça va ? Ça va ?

S’ils se mouillaient, la règle voulait qu’ils courent à toute allure jusqu’au village à travers les dunes. Aussi Nirgal et Jackie s’élancèrent-ils en même temps, suivis à quelque distance par tous les autres. Le vent les mordait jusqu’aux os. Ils se précipitèrent jusqu’aux bains, passèrent les portes en trombe et se déshabillèrent, les mains tremblantes, aidés par Nadia, Sax, Michel et Rya, qui se trouvaient là.

Tandis qu’on les poussait dans le bassin, Nirgal se rappela son rêve et dit :

— Attendez ! Attendez !

Les autres s’arrêtèrent, déconcertés. Il ferma les yeux et retint son souffle. Il saisit le bras tout froid de Jackie et se revit comme dans le rêve, nageant dans l’étendue du ciel. La chaleur au bout de ses doigts. Le monde blanc dans le vert.

Il chercha ce point, au milieu de lui, qui était toujours tiède, même en cet instant où tout son corps était froid. Aussi longtemps qu’il serait en vie, le point serait là. Il le trouva et, souffle après souffle, il le fit remonter dans sa chair. C’était dur, mais ça marchait, il le sentait : la chaleur se répandait dans ses côtes comme du feu, descendait le long de ses bras, de ses jambes, gagnait ses mains et ses pieds. Sa main gauche serrait le bras de Jackie, dont il observa le corps nu – elle avait la chair de poule –, et il se concentra afin de lui envoyer sa chaleur. À présent, il frissonnait, mais plus à cause du froid.

— Tu es tout chaud ! s’exclama Jackie.

— Je le sens, lui dit-il.

Quelques instants encore, elle s’abandonna à lui. Puis, avec une expression effrayée, elle recula et entra dans le bain. Nirgal, lui, resta au bord jusqu’à ce que les frissons disparaissent.

— Waouh ! fit Nadia. Une espèce de combustion métabolique. J’en ai entendu parler, mais je ne l’avais jamais vu de mes yeux.

— Tu sais comment tu fais ça ? demanda Sax à Nirgal.

Ils le fixaient tous avec une expression curieuse, mais il ne voulait pas affronter leurs regards.

Il secoua la tête. Soudain épuisé, il restait là, immobile au bord du bassin, les pieds plongés dans l’eau qui lui semblait en flammes. Poisson dans l’eau, qui se libère, qui saute dans les airs, ce feu à l’intérieur, le blanc dans le vert, l’alchimie, le vol avec les aigles… et les éclairs qui jaillissaient de ses doigts !

4

Les gens le regardaient. Même les Zygotes lui lançaient des coups d’œil en biais, quand il riait ou disait quelque chose d’inhabituel, quand ils croyaient qu’il ne les voyait pas. Il était plus facile de les ignorer. Mais ça devenait plus difficile avec les visiteurs occasionnels, qui se montraient plus directs.

— Oh, c’est toi, Nirgal, lui dit une femme aux cheveux roux coupés court. J’ai entendu dire que tu étais très brillant.

Nirgal, qui ne cessait de se heurter aux limites de sa compréhension, se sentit rougir et secoua la tête tandis que la femme l’observait calmement. Elle parut confortée dans son jugement et lui tendit la main :

— Je suis très heureuse de te rencontrer, Nirgal.

Un matin, alors que Maya était leur professeur et qu’ils n’étaient que cinq, Jackie apporta un vieux lutrin. Sans se soucier du regard noir de Maya, elle le montra aux autres.

— C’est l’intelligence artificielle de mon grand-père. C’est Kasei qui me l’a donnée. Elle contient beaucoup de choses que mon grand-père disait.

Kasei allait quitter Zygote pour un autre refuge. Mais pas celui où Esther vivait.

Jackie activa le lutrin.

— Pauline, repasse-moi une de ces choses que mon grand-père disait.

— On y va, dit une voix d’homme.

— Non, quelque chose d’autre. Ce qu’il disait à propos de la colonie cachée.

La voix d’homme dit alors :

— La colonie cachée doit encore avoir des contacts avec les établissements de surface. Il y a trop de choses qu’on ne peut pas fabriquer dans la clandestinité. Les barres nucléaires, par exemple, à mon avis. On les contrôle parfaitement bien, et les dossiers devraient révéler les points précis où elles ont disparu.

La voix se tut. Maya ordonna à Jackie d’éteindre son lutrin, de le mettre de côté, et se lança dans un autre cours d’histoire sur le XIXe siècle. Ses phrases en russe étaient tellement brèves et sèches que sa voix en vibrait. Puis elle passa à l’algèbre.

— Vous recevez une éducation affreuse, déclara-t-elle en secouant la tête d’un air sombre. Mais si vous suivez bien en maths, vous pourrez sans doute vous rattraper plus tard.

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7

Lame épaisse de substance blanche qui réunit les hémisphères cérébraux. (N.d.T.)