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En même temps qu’il faisait paraître les Natchez, Chateaubriand réunissait, sous le titre de Mélanges littéraires, les principaux articles de critique insérés par lui, de 1800 à 1826, dans le Mercure de France, le Conservateur et le Journal des Débats. Quelques-uns de ces articles avaient été des événements. Tel, par exemple, celui du 4 juillet 1807, qui s’ouvre par la phrase fameuse: «C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’empire; il croît inconnu auprès des cendres de Germanicus, et déjà l’intègre Providence a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde…» et qui se termine par ces lignes: «Il y a des autels, comme celui de l’honneur, qui, bien qu’abandonnés, réclament encore des sacrifices… Après tout, qu’importent les revers, si notre nom prononcé dans la postérité va faire battre un cœur généreux deux mille ans après notre vie[72]

Sur les Mémoires de Louis XIV, sur la Législation primitive de M. de Bonald, sur la Vie de M. de Malesherbes, l’auteur des Mélanges a des pages de la plus haute éloquence. C’est un inoubliable tableau que celui des derniers moments du défenseur de Louis XVI, que rendit si douloureux et si amer l’affreux spectacle de sa famille, dans laquelle il comptait un frère de Chateaubriand, immolée le même jour que lui, avec lui, et sous ses yeux! Chateaubriand excelle à peindre ces grandes scènes de douleur et de désolation: Crescit cum amplitudine rerum vis ingenii.

En d’autres rencontres, s’il traite des sujets d’un intérêt secondaire, quelques-uns même qui pourraient sembler insignifiants, il sait leur donner l’importance qui leur manque. Il oublie, à la vérité, un peu le livre, il n’y revient que de loin en loin, pour l’acquit de sa conscience; et je ne connais point de critique qui en ait plus que lui. Mais, enfin, nous n’y perdons rien, car ces pages à côté valent mieux que tout le livre: Materiam superabat opus. Même quand il écrit de simples articles de journaux, Chateaubriand sait leur imprimer un caractère de durée.

* * *

Les Mélanges littéraires furent bientôt suivis d’un volume entièrement inédit. Dans les dernières années de la Restauration, il était beaucoup question des Stuarts. Leur nom retentissait sans cesse à la tribune et dans la presse. En 1827, Armand Carrel composait l’Histoire de la Contre-Révolution en Angleterre sous Charles II et Jacques II. Chateaubriand voulut en parler à son tour, et, en 1828, il publia les Quatre Stuart.

Il s’était occupé autrefois, dans l’Essai sur les Révolutions, du règne de Charles Ier; il en avait même écrit l’histoire complète. Avec la conscience qu’il apportait dans tous ses travaux, il relut attentivement, outre les historiens qui l’avaient précédé, les mémoires latins et anglais des contemporains, sur la matière; il déterra quelques pièces peu connues. De tout cela il est résulté, non une histoire des Stuart qu’il ne voulait pas faire, mais une sorte de traité où les faits n’ont été placés que pour en tirer des conséquences. Tantôt la narration est courte lorsqu’aucun sujet de réflexions ne se présente ou qu’on n’est pas attaché par l’intérêt des événements; tantôt elle est longue quand les réflexions en sortent avec abondance, ou quand les événements sont pathétiques.

Carrel se plaisait à voir dans le renversement des Stuarts, la préface et l’annonce du renversement des Bourbons. Chateaubriand, au contraire, tâche de faire sentir les principales différences des deux révolutions, celle de 1640 et celle de 1789, et des deux restaurations, celle de 1660 et celle de 1814. Il signale les écueils, afin d’en rendre l’évitée plus facile, mais l’homme pervertit souvent les choses à son usage, et quand on lui croit offrir des leçons, on ne lui fournit que des exemples.

Les conseils de Chateaubriand ne furent pas entendus: le vieux château des Stuarts s’ouvrit bientôt pour recevoir les Bourbons exilés. Et voilà pourquoi on ne lit plus les Quatre Stuart. On y reviendra un jour, car de bons juges, et parmi eux M. Nisard, n’hésitent pas à y voir un chef-d’œuvre de pensée et de style. Un autre critique qui, lui non plus, n’était pas de la paroisse de Chateaubriand, dit de son côté: «Les Quatre Stuart, où la manière de Voltaire se marie à celle qui ne peut être désignée que par le nom de Chateaubriand, sont un morceau brillant et impartial, où l’imagination ne paraît guère que pour embellir un incorruptible bon sens.»[73]

VII

Pendant les quinze années de la Restauration, Chateaubriand avait maintenu son rang. Sa primauté littéraire était incontestable et incontestée. Son talent avait révélé des qualités nouvelles, des dons nouveaux. Sans cesser d’être un grand poète, il était devenu le premier de nos publicistes. Rien, semblait-il, ne pouvait plus ajouter à sa gloire, et puisque la vieillesse était venue, puisque le gouvernement qu’il avait servi était tombé, il allait sans doute se retirer de la lice, se renfermer dans le silence et se consacrer tout entier à l’achèvement des Mémoires de sa vie. Il l’eût fait, s’il eût été libre, mais il ne l’était pas. L’édition de ses Œuvres complètes n’était pas achevée, et il avait contracté vis-à-vis de ses souscripteurs des engagements qu’il lui fallait remplir.

Le 4 avril 1831, parurent les quatre volumes des Études historiques.

Chateaubriand avait eu de bonne heure la vocation de l’historien. C’est elle qui lui inspira son premier ouvrage, l’Essai sur les Révolutions. Le sixième livre des Martyrs, la lutte des Romains et des Franks, est une reconstitution historique pleine de relief et de vie. Le récit de la mort de saint Louis dans l’Itinéraire, l’esquisse des guerres de la Vendée dans le Conservateur, avaient achevé de montrer ce que l’auteur était capable de faire en ce genre. Cependant ce n’étaient là que des préludes, des essais, des cartons de maître; ce n’était pas encore la grande toile, le tableau définitif et complet.

Ce tableau, nous l’avons dans les Études ou Discours historiques sur la chute de l’Empire romain, la naissance et les progrès du Christianisme et l’invasion des Barbares.

Chateaubriand, dans ces Études, est remonté aux sources; son érudition est de première main. C’est de l’histoire documentaire. Mais, en même temps, comme il sait ranimer ces documents éteints, éclairer ces vieux textes, les mettre dans la plus belle, dans la plus éclatante lumière! Comme il laisse loin derrière lui le philosophe Gibbon, qui semblait pourtant avoir dit le dernier mot sur la Décadence et la chute de l’Empire romain et sur les invasions! Nul n’a mieux compris – et c’est un témoignage que lui rend un savant médiéviste que j’ai déjà eu l’occasion de citer, M. Léon Gautier, nul n’a mieux compris que Chateaubriand les derniers Romains et les Barbares vengeurs. Nul n’a mieux saisi et rendu ce formidable contraste entre ces deux races, dont l’une était dangereuse pour avoir trop vécu, et l’autre pour n’avoir pas encore vécu assez; dont l’une était aussi éloignée de la civilisation par sa corruption que l’autre par sa grossièreté[74].

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[72]

Article Sur le «Voyage pittoresque et artistique de l’Espagne», par M. Alexandre de Laborde. – Cet article fit supprimer le Mercure.

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[73]

Études sur la littérature française au XIXe siècle, par A. Vinet, t. I, p. 321.

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[74]

Portraits littéraires, par Léon Gautier, p. 13.