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Je n’avais rien à offrir à cette créature de Dieu. Nous nous quittâmes, mon hôtesse me dit beaucoup de chose que je ne compris point; c’étaient sans doute des souhaits de prospérité; s’ils n’ont pas été entendus du ciel, ce n’est pas la faute de celle qui priait, mais l’infirmité de celui pour qui la prière était offerte. Toutes les âmes n’ont pas une égale aptitude au bonheur, comme toutes les terres ne portent pas également des moissons.

Je retournai à mon ajoupa, où m’attendait une collation de pommes de terre et de maïs. La soirée fut magnifique: le lac, uni comme une glace sans tain, n’avait pas une ride; la rivière baignait en murmurant notre presqu’île, que les calycanthes parfumaient de l’odeur de la pomme. Le weep-poor-will répétait son chant: nous l’entendions, tantôt plus près, tantôt plus loin, suivant que l’oiseau changeait le lieu de ses appels amoureux. Personne ne m’appelait. Pleure, pauvre William! weep, poor Will!

* * *

Le lendemain, j’allai rendre visite au sachem des Onondagas; j’arrivai à son village à dix heures du matin. Aussitôt je fus environné de jeunes sauvages qui me parlaient dans leur langue, mêlée de phrases anglaises et de quelques mots français; ils faisaient grand bruit, et avaient l’air joyeux, comme les premiers Turcs que je vis depuis à Coron, en débarquant sur le sol de la Grèce. Ces tribus indiennes, enclavées dans les défrichements des blancs, ont des chevaux et des troupeaux; leurs cabanes sont remplies d’ustensiles achetés, d’un côté, à Québec, à Montréal, à Niagara, à Détroit, et, de l’autre, aux marchés des États-Unis.

Quand on parcourut l’intérieur de l’Amérique septentrionale, on trouva dans l’état de nature, parmi les diverses nations sauvages, les différentes formes de gouvernement connues des peuples civilisés. L’Iroquois appartenait à une race qui semblait destinée à conquérir les races indiennes, si des étrangers n’étaient venus épuiser ses veines et arrêter son génie. Cet homme intrépide ne fut point étonné des armes à feu, lorsque pour la première fois on en usa contre lui; il tint ferme au sifflement des balles et au bruit du canon, comme s’il les eût entendus toute sa vie; il n’eut pas l’air d’y faire plus d’attention qu’à un orage. Aussitôt qu’il se put procurer un mousquet, il s’en servit mieux qu’un Européen. Il n’abandonna pas pour cela le casse-tête, le couteau de scalpe, l’arc et la flèche; mais il y ajouta la carabine, le pistolet, le poignard et la hache: il semblait n’avoir jamais assez d’armes pour sa valeur. Doublement paré des instruments meurtriers de l’Europe et de l’Amérique, la tête ornée de panaches, les oreilles découpées, le visage bariolé de diverses couleurs, les bras tatoués et pleins de sang, ce champion du Nouveau Monde devint aussi redoutable à voir qu’à combattre, sur le rivage qu’il défendit pied à pied contre les envahisseurs.

Le sachem des Onondagas était un vieil Iroquois dans toute la rigueur du mot; sa personne gardait la tradition des anciens temps du désert.

Les relations anglaises ne manquent jamais d’appeler le sachem indien the old gentleman. Or, le vieux gentilhomme est tout nu; il a une plume ou une arête de poisson passée dans ses narines, et couvre quelquefois sa tête, rase et ronde comme un fromage, d’un chapeau bordé à trois cornes, en signe d’honneur européen. Velly ne peint pas l’histoire avec la même vérité? Le cheftain franc Khilpérick se frottait les cheveux avec du beurre aigre, infundens acido comam butyro, se barbouillait les joues de vert, et portait une jaquette bigarrée ou un sayon de peau de bête; il est représenté par Velly comme un prince magnifique jusqu’à l’ostentation dans ses meubles et dans ses équipages, voluptueux jusqu’à la débauche, croyant à peine en Dieu, dont les ministres étaient le sujet de ses railleries.

Le sachem Onondagas me reçut bien et me fit asseoir sur une natte. Il parlait anglais et entendait le français; mon guide savait l’iroquois: la conversation fut facile. Entre autres choses, le vieillard me dit que, quoique sa nation eût toujours été en guerre avec la mienne, il l’avait toujours estimée. Il se plaignit des Américains; il les trouvait injustes et avides, et regrettait que dans le partage des terres indiennes sa tribu n’eût pas augmenté le lot des Anglais.

Les femmes nous servirent un repas. L’hospitalité est la dernière vertu restée aux sauvages au milieu de la civilisation européenne; on sait quelle était autrefois cette hospitalité; le foyer avait la puissance de l’autel.

Lorsqu’une tribu était chassée de ses bois, ou lorsqu’un homme venait demander l’hospitalité, l’étranger commençait ce qu’on appelait la danse du suppliant; l’enfant touchait le seuil de la porte et disait: «Voici l’étranger!» Et le chef répondait: «Enfant, introduis l’homme dans la hutte.» L’étranger, entrant sous la protection de l’enfant, s’allait asseoir sur la cendre du foyer. Les femmes disaient le chant de la consolation: «L’étranger a retrouvé une mère et une femme; le soleil se lèvera et se couchera pour lui comme auparavant.»

Ces usages semblent empruntés des Grecs: Thémistocle, chez Admète, embrasse les pénates et le jeune fils de son hôte (j’ai peut-être foulé à Mégare l’âtre de la pauvre femme sous lequel fut cachée l’urne cinéraire de Phocion[473]); et Ulysse, chez Alcinoüs, implore Arété: «Noble Arété, fille de Rhexénor, après avoir souffert des maux cruels, je me jette à vos pieds…[474]» En achevant ces mots, le héros s’éloigne et va s’asseoir sur la cendre du foyer.

Je pris congé du vieux sachem. Il s’était trouvé à la prise de Québec. Dans les honteuses années du règne de Louis XV, l’épisode de la guerre du Canada vient nous consoler comme une page de notre ancienne histoire retrouvée à la Tour de Londres.

Montcalm, chargé sans secours de défendre le Canada contre des forces souvent rafraîchies et le quadruple des siennes, lutte avec succès pendant deux années; il bat lord Loudon et le général Abercromby. Enfin la fortune l’abandonne; blessé sous les murs de Québec, il tombe, et deux jours après il rend le dernier soupir: ses grenadiers l’enterrent dans le trou creusé par une bombe, fosse digne de l’honneur de nos armes! Son noble ennemi Wolfe meurt en face de lui; il paye de sa vie celle de Montcalm et la gloire d’expirer sur quelques drapeaux français.

* * *

Nous voilà, mon guide et moi, remontés à cheval. Notre route, devenue plus pénible, était à peine tracée par des abatis d’arbres. Les troncs de ces arbres servaient de ponts sur les ruisseaux ou de fascines dans les fondrières. La population américaine se portait alors vers les concessions de Genesee. Ces concessions se vendaient plus ou moins cher selon la bonté du sol, la qualité des arbres, le cours et la foison des eaux.

On a remarqué que les colons sont souvent précédés dans les bois par les abeilles: avant-garde des laboureurs, elles sont le symbole de l’industrie et de la civilisation qu’elles annoncent. Étrangères à l’Amérique, arrivées à la suite des voiles de Colomb, ces conquérants pacifiques n’ont ravi à un nouveau monde de fleurs que des trésors dont les indigènes ignoraient l’usage; elles ne se sont servies de ces trésors que pour enrichir le sol dont elles les avaient tirés.

Les défrichements sur les deux bords de la route que je parcourais offraient un curieux mélange de l’état de nature et de l’état civilisé. Dans le coin d’un bois qui n’avait jamais retenti que des cris du sauvage et des bramements de la bête fauve, on rencontrait une terre labourée; on apercevait du même point de vue le wigwuam d’un Indien et l’habitation d’un planteur. Quelques-unes de ces habitations, déjà achevées, rappelaient la propreté des fermes hollandaises; d’autres n’étaient qu’à demi terminées et n’avaient pour toit que le ciel.

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[473]

Vie de Phocion, par Plutarque.

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[474]

L’Odyssée, chant VII. – Arété était la femme d’Alcinoüs.]