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N’écoutant que sa colère, l’amant de Berthe oublie le couteau qui vient de l’entamer et chope ce qui lui tombe sous la main, à savoir le long tisonnier accroché à la clé de ventilation du tuyau de poêle.

— Hou, sacré bon gu de vermine ! hurle-t-il.

Et floc ! Et rrran ! Et tzoum ! Et bing ! Et chplok ! Et V’zang !

Il frappe son antagoniste surpris par sa prompte réaction. Quel magistral cogneur ! Quel bretteur ! Quel matraqueur ! En long, en large, il cogne et larde ! On ne voit plus le tisonnier, tellement il le manipule vite. Ça fait comme une hélice d’avion lorsqu’elle tourne. On devine sa présence à un certain frémissement de l’air, mais on ne la distingue plus.

Le méchant balafré porte la main à sa tête pour se protéger. Il renonce à user de son ya, voire à tirer son feu, si, comme tout me le laisse accroire, il en a un. Le bougnat mailloche en cadence. L’autre titube, la frite en compote.

Pour le coup, Naidisse dégaine une rapière longue comme mon bras. J‘sais pas où il a trouvé ce revolver, mais je doute que ce soit au rayon fillette du Printemps.

A toi de jouer, San-A., avant le grand massacre. Je me rue dans l’établissement.

— Lâche ça, Charly, ou je t’abrège ! crié-je dans son dos.

Il a des réflexes, le sacripant. Une volte-face fulgurante. Il me plaque la crosse de son joujou dans les badigouinsses. J’ai l’impression de déguster mes ratiches. Je vois une nuée de chandelles toutes plus romaines l’une que l’autre. Le bistrot tangue un peu. Naidisse cavale dans la rue, coudes au corps. Belle pointe de vitesse ! Cherchez pas le successeur de Jazy, mes poules, il est là, devant moi. Seulement il ne sera pas longtemps.

Comprenant que je ne le rattraperai pas, je lève mon feu. La mire se balade dans le dos du gamin.

A cet instant précis, Antoine se fout à bieurler dans ma pompe. On dirait qu’il proteste, le petit bougre. Mon index se paralyse sur la détente. Impossible de défourailler.

L’œil exorbité, je regarde, au-delà de la mire, la silhouette maigrichonne qui s’amenuise. Je pense au couple de Saint-Franc-la-Père… Le bijoutier, la bijoutière et leur petit délinquant. Ça ressemble à un titre d’Anouilh. Mon arme devient pour ainsi dire toute molle au bout de mon bras.

Et mon bras retombe.

Le môme a disparu.

Bondir à la bagnole pour le courser ?

Inutile. Ce serait du temps perdu. De la manière dératée dont il cabriole d’une ruelle à l’autre dans ce vieux quartier riche en petites voies confidentielles, en terrains vagues et en passages obscurs, je ne saurais lui donner la chasse avec une auto.

Je rentre donc dans le troquet du marchand de charbon. Il a fait de la belle ouvrage, Big-Moustache. Trêve de tisonnier. Il y va à la galoche depuis que son agresseur est à terre.

Des coups de semelle sonnent contre le crâne informe du vilain auquel manquent déjà des plages de cheveux. Son nez n’existe plus et y a un trou rouge à la place de ses dents.

— Arrêtez le massacre, pépère ! exclamé-je devant ce gâchis !

L’Auverpiot cesse de tirer ses méchants penaltys. La lueur qui homicide son regard s’éteint.

Assouvi, repu de vengeance, il revient à ses déboires physiques. Derrière son rade, cloué au mur, un miroir sans cadre, sans tain, et sans utilité précise lui renvoie tant bien que mal sa bouille cisaillée.

— Regardez-moi un peu ce que cette charogne vient de me commettre sur la personne ! éructe le produit du Cantal. Des saloperies pareilles, on devrait les guillotiner.

Je viens de palper la poitrine du gorille et de constater son changement de résidence définitif.

— Mon bon monsieur, soupiré-je, il est arrivé qu’on fusille des morts, mais on n’en a encore jamais guillotiné.

Le mot « mort » le fait se cabrer.

— Comment ça, mort ? il demande.

— Comme ceci ! dis-je en lui désignant son agresseur (devenu sa victime).

Et je songe qu’à partir d’à présent, pour compter les cadavres, je vais devoir changer de main.

CHAPITRE VII

CRAC !

Un pêcheur extra-matinal est déjà en train de traquer le goujon-au-mazout lorsqu’on déboule quai du général Foudroyet, à Nogent. La nuit s’éclaircit quelque peu à l’est, ce qui est son droit le plus strict. Un vent léger fait chialer les saules lacrymaux de la berge.

— C’est ici ? questionne Berthy-la-Charbonneuse.

Elle me désigne un grand jardin de quelque quatre mille mètres carrés, au mitan duquel s’élève une villa de meulière pour rentier aisé. Y a de la mosaïque de faïence autour des fenêtres, un paratonnerre (de Brest) sur le toit et des volets de fer bien clos sur toutes les faces de la construction.

Je remise la guindé dans un petit chemin creux qui descend à la Marne. Nulle lumière dans les environs. Tout est calme, paisible infiniment.

— Vous chargez à la baïonnette ? rigole la Truitesse.

— Que non point, ma belle, soupiré-je, car j’ai le sentiment, voire le pressentiment, que cette tranquillité ambiante n’est qu’apparente. Les occupants de cette demeure sont prévenus. Vous pensez bien que cette petite gouape de Naidisse a déjà téléphoné.

— Possible, consent la Bérurière, mais si vous voudriez mon avis, sitôt prévenus, ils ont mis les voiles.

Son avis, à la dévoreuse de bonshommes, je m’assois dessus.

— Restez là et attendez ! enjoins-je. Je vais « en repérage », comme disent les chevaliers de la pellicule.

Mais il suffit d’ordonner pour être désobéi avec Berthy.

— Pas du tout, proteste la Véhémente en jaillissant de la chignole, son moutard toujours dans les bras, je sais que je vous ai indispensable, San-Antonio. Rien ne vaut la jugeote d’une femme équilibrée.

Nous v’là donc à rôdailler autour de la demeure.

— Primo, fais-je, il y a un contacteur électrique tout le long du mur et sur le portail. Vous voyez ce petit fil de cuivre qui serpente au faite de l’enceinte ! Il suffit qu’on s’y appuie pour que le signal d’alarme fonctionne.

J’escalade un arbre opportun[34] et, perché en ses plus hautes ramures, je peux m’offrir une vue générale du jardin. Mine de rien, cette modeste propriété est un fortin, mes gamines. Quand le crémier apporte le lait, chaque matin, il ne se gaffe pas qu’il pénètre dans une espèce de ligne Maginot miniature. De faibles lueurs disséminées dans les pelouses me révèlent la présence de cellules photo-électriques. Si bien que le mec ayant pu sauter le mur sans toucher au fil est assuré de se révéler en coupant un rayon, quelque part.

Quant à la crèche elle-même, je suis persuadé qu’elle possède un bon équipement antivol. Décidément, ça se présente mal.

— Eh ben, là-haut, vous faites nid ? grenuleuse la Saucisse.

Quelle chiasse, cette bonne femme ! La voracité personnifiée. Elle n’est que bouche, ventre, bas-ventre, happage ! Elle dévore les nourritures, les hommes, les instants. Se bourre ! Se fait bourrer ! Déglutit ! Assimile ! La vie la dilate comme le gaz enfle une baudruche.

Je lui laisse tomber une œillade meurtrière qui, très vite, s’humanise à la vue du bébé Antoine dormant dans le duvet de sa combinaison. Pauvre bout de chou, inconscient. Porté par la stupide tempête des hommes. Bercé d’une vague à l’autre, il ignore les naufrages.

Moi, juché dans mon feuillage, je me tiens le raisonnement ci-joint. Je me dis, ipso facto et en catimini : « A priori, bambino, ton projet de forcer cette masure doit être renvoyé sine die. Préviens les troupes policières, fais crever la maison et que fiât lux ! In fine, l’ordre prévaudra. Car tu es trop démuni pour donner l’assaut stans pede in uno.

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34

C’est l’espèce la plus fréquente. L’arboribus opportinus pousse sous toutes les latitudes et, qui plus est, sous toutes les longitudes. Il se présente sous des aspects multiples. Ainsi est-il tour à tour platane, conifère, palmier-dattier ou pommier selon les circonstances. Celui que j’escalade ressemble à un salicacée (de luxe).