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Mais je ne parviens pas à me décider.

L’orgueil, toujours ! Cette soif de la mission accomplie sans participation extérieure. Il a mis le nez dans un vilain pot de chambre, San-A. Il n’aura besoin de personne pour le nettoyer !

Je continue de sonder le grand jardin. Pourquoi me fait-il penser à un cimetière bizarre ? Il est tout en pelouse bien ratissée. Mais une flopée de statues confère à ces lieux une austérité peu compatible avec le style pusillanime de la maison. Imaginez un coin du parc de Versailles où l’on aurait bâti la villa Sam’ Suffit.

Le dénommé Huncoudanlproz doit avoir la marotte de la sculpture, surtout des bustes royaux, à perruques niagaresques car ils pullulent ici. De loin, de haut, je reconnais Quatorze, avec son pif gros comme un flask de bourbon. Quinze, le bien-aimé. Seize, le pauvre chéri dont le buste ressemble toujours à la pièce d’un puzzle. D’autres encore. Des écrivains célèbres : Boileau, La Fontaine (œuvre de Wallace), Corneille (en train de bayer), Molière (déguisé en Robert Manuel), Racine (carré). Un collectionneur, je vous affirme. Faut aimer vivre parmi cette peuplade de marbre. Moi, ça me ficherait le bourdiche de mater ces illustres messieurs blêmes et pétrifiés. Leurs vraies statues c’est leurs œuvres dans ma bibliothèque. Mais des bustes ! Fi donc ! Hou les vilains à tignasse !

Je redégringole aux pieds d’une Berthe grincheuse.

— Vous preniez des jetons, ou quoi t’est-ce ?

— Des jetons d’absence, ricané-je pour ma seule satisfaction. Il n’est pas question d’effractionner cette tirelire.

— Bon, déclare la Pote-en-tas, alors je vas prendre la direction des opérations.

D’une démarche souveraine, elle va à la grille et sonne.

Aussi bête que je vous le dis. C’est une impulsive, la Béruche. Elle détermine rapides, sitôt que ça grince. Hop ! faut que ça pète ou que ça dise pourquoi.

Après tout, hein… Qu’est-ce qu’on risque ?

Toujours à l’avant-garde de la déduction (comme de la séduction, merci, qu’on se le dise, les premières arrivantes seront les premières servies), je me mets à supposer que le coup de carillon doit branlebater la cahute. Surtout s’ils sont sur le qui-meure[35]. Ils vont mater à la jumelle marine ou au télescope géant. Et que vont-ils apercevoir, entre les barreaux de la grille ? Une grosse mégère noire de charbon, tenant un bébé dans ses bras. L’insolite de cette visite risque de les amener à ouvrir.

S’ils n’ouvrent pas, j’ameuterai la garde et on jouera l’acte II de Fort Chabrol.

Je me tiens accroupi contre le pilier du portail. Il fait frais. L’air sent la Marne au petit morninge. Des odeurs de limon et de plantes aquatiques…

— Qu’est-ce que c’est ? tonne une voix par le truchement d’un interphone.

C’est inattendu car on ne voit pas la grille de l’appareil. Berthe en a soubresauté de la mamelle.

Seulement c’est une gaillarde qui récupère fissa.

— J’amène Se gamin ! lance-t-elle en soulevant le bébé à bout de bras.

— Quel gamin ? s’informe la voix (haletante).

— Celui de Mâme Thérèse, répond l’O graisse.

— Quelle Thérèse ? rechigne l’interlophonocuteur.

— Ben, la bonne femme au Polak, quoi !

Sacrée Berthe, Brave Berthe ! Ce toupet ! Cette fougue ! Cette initiative ! Tout à l’arraché ! Te déculotte les maisons les plus hermétiques comme les hommes les plus boutonnés.

Son ton, son assurance, son bébé en imposent. Tout cela sonne vrai !

Le contacteur est interrompu. Je gage que des gens discutaillent à l’intérieur. Et puis il y a un cliquetis, là-bas, dans le jardin. On délourde. On vient aux renseignements. Ils risquent une patrouille jusqu’à la grille, les occupants du Mont Cassino. Ne se mouillent pas au parlophone pour le cas où il s’agirait d’une feinte à julot.

Je me tâte. Comment dois-je comporter ? Neutraliser l’arrivant ?

C’est risqué. On doit observer la grille depuis la boutique. Me planquer et attendre ? D’ac, mais attendre quoi ? T’es au pied du mur, mon San-A, c’est le cas de le dire ou jamais ! Alors prends tes responsabilités, mon père ! Plus le moment de pleurer dans ta soupe. Y a un proverbe qui dit que « l’homme propose mais que Dieu dispose ». Moi, les proverbes, dans l’ensemble je les trouve pommes. Ils embrigadent les gens dans des bons sentiments stéréotypés. Ils sont perfides parce que plaisants, on s’en méfie pas : mieux, on leur fait confiance. Pourtant, certains sont irremplaçables, ainsi de celui que je viens de citer. Combien de fois l’élan carbonise la tactique ! Tu te mijotes un coup. Tu te l’élabores. Et puis au moment de l’accomplir t’as l’inspiration qui chanstique ton programme. Je vois avec les gonzesses, par exemple. Vous prenez rancard à une capricieuse qui capite de la prunelle et dont les ondes de choc vous trémulsent le pendulaire. Parfait. Vous vous préparez au rodéo. Vous lui voulez une belle fiesta, à cette polka. Une joie de vivre belle comme un miroir-soleil. Vous vous dites : « je l’entreprendrai par le bizou vorace, et puis je lui pratiquerai le cerceau en folie, la prise-banane, le cynodrome en délire, la statue équestre, Jehanne au bûcher, Jeannot-boucher, le Nautilus-ne-répond-plus, fume-c’est-du-Stromboli, agace ma gâchette, où-qu’est-passé-mon-pouce, goûte-c’est-pas-des-citrons, le bon magie, le bond des pargnes, vive Popaul, cause-pas-la-bouche-pleine, triste-temps-et-hisse seul, la botte chatée, le chat beauté, le saboté et la salade hongroise ». Seulement, au moment de l’intimité, foin des beaux projets : c’est l’hussard qui s’empare. Vous sautez sur la donzelle comme un cul-de-jatte saute à la corde en revenant de Lourdes. Adieu, vos vaches cochonneries ! Vous suivez la flèche, tout bêtement. Je parle de celle qui vous sort du carquois, mes joyeux tendeurs. Et tout ce que vous lui faites, à la caressante, c’est la séance à papa, celle des samedis soirs.

Idem for me, en cet instant dont on peut dire sans exagération qu’il est critique. Vous allez voir dans bientôt pas longtemps.

Un gus se pointe. L’homme qui m’a parlé au tube, chez le bougne. Je le reconnais à son asthme. On dirait une vieille loco du Far West.

Il s’annonce[36] à la grille. Je ne peux le voir puisque je me tiens hors champ. Mais jouissant d’une ouïe capable de percevoir le soupir d’une mouche en plein orgasme, je l’entends distinctement qui demande :

— Qu’est-ce qui vous prend de sonner chez les gens à pareille heure ! D’abord qui êtes-vous ?

L’aplomb de la morue ! Chapeau !

— Une voisine aux Kelloustik, dit-elle.

— Connais personne de ce nom. Vous êtes seule ?

— Av’qui voudriez-vous que je futasse ? murmure miss Olida.

Méfiant comme un myope qui mangerait du brochet sans ses lunettes, l’homme débride la grille.

Il fait un pas en avant pour mater les azimuts. Ne voyant rien, il s’en permet un autre… Alors là, mes frères, j’opère dans le pur style san-antoniesque. C’est d’une propreté de clinique suisse. Du grand art[37] ! Vous avez déjà vu le tigre fondre sur sa proie, le matin, en allant chercher le journal au kiosque du coin ? Vous avez déjà vu fondre Léon Zitrone sous les projecteurs de la téloche ? Vous avez vu fondre vos économies pendant vos vacances ? Vous avez vu fondre la statue de Karl Marx, pendant l’occupation ? Vous avez vu la France fondre en larmes à la mort de ses vieux militaires ?

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35

Parce qu'enfin, être sur le qui-vive, c'est de l'optimisme !

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36

Habituellement j’ajoute « apostolique », parce que c’est très drôle, mais si on veut espérer un pape français au prochain conclave, faut qu’on commence à baliser, nous autres, les grands écrivains de la fille aînée de l’église.

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37

Je sais des futés qui s'amuseront à faire la liaison !