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— Vous connaissez la région comme le slip de votre petite amie, ricané-je. Je suppose que vous y vîntes en vacances avant le changement de régime ?

— Du tout, proteste Horry Zonthal. Simplement dans l’armée israélienne on nous fait étudier minutieusement les régions que nous devrons conquérir pour assurer notre sécurité.

— Elles vont de Casablanca à Vladivostok, je suppose ?

— Y a de ça. Toute tranquillité territoriale repose sur l’importance des no man’s lands. Ainsi les gens qui s’installent dans un lotissement devraient-ils se soucier avant toute chose de posséder une maison plus petite sur un terrain plus grand, mon cher ; alors qu’ils font généralement le contraire. Le grand ennemi de l’humain c’est la promiscuité.

— Le problème s’aggrave d’heure en heure, souligné-je. Un jour viendra où les hommes seront au coude à coude.

— Jamais ! réfute Zonthal. Ils préféreront faire sauter la planète avant d’en arriver là.

— En attendant, les mecs, je vous annonce qu’on a des gus au panier ! avertit Béru. C’est bien beau de mater les avants, mais faut pas oublier ses arrières.

Je ralentis pour me pencher à l’extérieur. En effet, on aperçoit des lumières louvoyantes à quelques centaines de mètres de nous. La chasse est donnée ! Les engins qui nous coursent sont beaucoup plus rapides que le nôtre. À cause de la pétarade infernale de notre moteur, nous ne les avions pas entendus.

— Ils sont nombreux ? demandé-je en champignonnant à outrance.

— Attends que j’compte les phares et que j’divise par deux !

Béru marmonne des trucs mal audibles et déclare :

— Quatre tires, Gars ! Si c’est des camions pleins de troufions, ça risque vite de faire du peuple. En tout cas, ils bombent. Je crois que notre fuite est stérilisée. Au lieu de se tailler comme des malpropres vaut mieux les affronter puisqu’on jouit d’une mitrailleuse.

— Je crois qu’il a raison, renchérit Zonthal. Faites demi-tour et allons sus à eux ! Vous, là-haut, vous savez actionner ce moulin à légumes ?

— Tu parles, Charles ! J’étais mitrailleur de charme chez les Sénégalais ! À cinq cents mètres j’écrivais mon blaze sur la cible !

Je ralentis pour virer. Des balles viennent frapper notre chenillette.

Tirez sur la chenillette et la bobinette cherra ! Les véhicules lancés à nos trousses sont à présent à moins de cent mètres. Leurs occupants ne se sont pas rendu compte qu’on faisait demi-tour. Ils ont cru qu’on zigzaguait seulement pour essayer d’éviter leurs pruneaux, aussi lorsque le Mastar se met à leur défourailler dessus, c’est la méchante panique !

Comme flingueur, il est effectivement de première, Alexandre-Benoît ! RRrrrrran ! D’une seule salve il éteint tous les phares ! Faut le faire, non ?

D’une seconde salve il perce tous les boudins avant des cinq tonnes qui, dès lors, paraissent se mettre à genoux comme des chameaux.

Les occupants se dispersent en braillant dans tous les azimuts. Y en avait ! Oh ! qu’y en avait ! Une bonne cinq douzaines en tout !

On continue d’approcher. À présent les quatre camions sont déserts, et c’est le désert qui grouille de gars affolés par notre chaude détermination (la température avoisine encore vingt-quatre degrés plantigrades, comme dit Béru).

Cent vingt godasses jonchent le sol. Sous ces latitudes, c’est ça, le « délacement » du guerrier.

— On se croirait aux puces ! blague Bérurier.

Je coupe les gaz. Un silence mésopotamien dégouline suavement dans nos portugaises trop lestées en décibels (on se croirait à la 2e DB).

— On va continuer notre route en camion, mes amis ! déclaré-je. Ce sera un moyen de locomotion plus rapide et moins voyant.

— Mais tous les pneus avant sont crevés ! objecte le Gros.

— On va déguiser deux pneus arrière en pneus avant, Mec. Et tant pis si la pression n’est pas respectée. Allez, oust, au boulot !

Déjà Horry Zonthal s’affaire. Un instant s’écoule. L’agent israélien et moi-même sommes en train de malmener le coffre à outils d’un des Berliet lorsqu’un gémissement nous fait dresser les oreilles comme deux chacaux[9] devant un électrophone en train de mouliner du Hallyday.

Cette plainte m’inquiète d’autant plus vigoureusement qu’elle est signée Béru.

— Quéque chose qui ne va pas, Gars ? Tu n’es pas blessé au moins ?

— J’arrive pas à m’estraire de cette nom de foutre de saloperie de tourelle de merde ! glapit Sa Majesté. J’ai trop forcé pour m’engager dans l’encolure, à présent, j’sus bloqué ! Pas mèche de m’arracher la bonbonne !

Je laisse Zonthal rechausser seul l’un des camions pour voler au secours de M. Gradu.

Il suffoque ! Il sacre ! Il s’évertue ! Il apoplectise !

— Oh, couillardise en branche ! Merderie du diable ! fulmine mon camarade. Ôte-moi c’te ch’nillette d’autour du ventre que ça m’étouffe le foie !

Facile à demander ! Mais impossible à exaucer. J’ai beau appuyer sur ses frêles épaules nubiles, j’ai beau tirer sur ses jambes graciles comme un sonneur carillonnant le tocsin, il ne bouge pas d’un centimètre, le pauvre ange.

— Découpe ! il s’affole. Découpe que je vais clamser !

— Eh dis, Gros lard, c’est pas un bracelet de montre, ta tourelle ! Il faudrait un chalumeau oxhydrique. Et encore, on te carboniserait la viandasse. Non, il me vient une meilleure idée : l’huile !

— Quoi, l’huile ? s’inquiète le Mahousse.

— Celle du moteur, eh, baleine ! Je vais la récupérer dans un récipient et t’en arroser la taille, peut-être alors pourrons-nous t’arracher !

Passant aux actes, je soutire trois litres d’une huile infâme, mille fois brûlée, et en asperge le torse de mon ami. Ensuite de quoi, Horry vient à la rescousse. Hélas, on a beau haler, on peut aller se faire foutre ! Soudé, il est Béru. Un centaure de chair et de ferraille ! La situation devient délibérément alarmante. Zonthal m’adresse une mimique déconfite : style « selon moi les carottes de votre copain sont cuites ».

Que faire ?

Justement, il le demande, la Bedaine.

— Suivre une cure d’amaigrissement, préconisé-je. Au bout de quelques jours tu auras largué quelques kilos et alors tu pourras passer à travers le chas d’une aiguille.

— Que ça soye à travers çui d’une aiguille ou çui d’une rosière, je m’en tamponne ! brame l’Opulent. Ce que je veux c’est que « ta » bon Dieu de chenillette s’en aille de moi !

Il se tait, émet un gargouillement, puis d’un ton plus feutré demande.

— Y reste de l’huile dans le moteur ?

— Je pense. En tout cas il y en a à bord des camions. Mais te fais pas d’illuses. Gros, dans ta situation, l’oléagineux reste impuissant, on vient d’en avoir la preuve !

— Passez-moi-z’en toujours un litre !

Le moyen de refuser les saintes huiles à un type enchâssé dans une cangue de fer ? Je lui sers un plein bidon d’un mélange nauséabond qui pue la fritaille pourrie, la ferraille rouillée, la mécanique surchauffée et le rance ranci.

Vous savez, dès lors, ce qu’il en fait, Béru ?

Bravo ; vous l’avez deviné ! En effet, mes colombes, il le boit !

Parfaitement, Le Vorace avale à longs traits cette épouvantable mixture brûlée, cette huile de vidange quinze fois vidangée. Il s’enfile ça comme du muscadet, le Mammouth. Glaoug glaoug ! Le liquide visqueux lui dégouline des babines.

— On croit rêver ! murmure, admiratif, l’ami Zonthal.

— Et encore ce n’est rien, affirmé-je, avec une confuse fierté dans la voix. Béru est un garçon qui a fait reculer très loin les limites du comestible.

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9

Me souviens plus si on doit dire : un chacal, des shakos, ou bien un çacolle, des chacaux.