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Ma tête bourdonne. Moi, vous me connaissez ? Un chien de chasse. Le moment finit toujours par arriver où c’est l’instinct qui me mène. Je sens que la mort est là, dans ce bourg paisible. Elle rôde, elle se prépare. Si je n’interviens pas, un homme va périr de mort violente. Je perçois les louches effluves du drame. Il immine, mes filles ! C’est du peu au jus. Et l’intéressé ne se doute de rien. Je l’imagine, chez lui, son trépas est en marche.

Drôle de problo. Je ne connais que le lieu géographique du meurtre. J’ignore tout de la victime et des assassins.

Dehors, la vie ronronne gentiment. Une voiture des postes… Un livreur de bière… Des bagnoles cossues… Des gosses qui se poursuivent en criant des honteries… Deux chiens qui s’entr’ hument le fignedé… Qui va tuer qui ?

Pour un peu, je regretterais d’avoir pu me rapatrier aussi rapidement. Si j’avais été retenu au large des côtes israéliennes, les choses se seraient déroulées « en dehors de moi ». Je n’aurais pas eu à jouer ce triste rôle de témoin impuissant.

Brusquement, une rumeur caverneuse éclate dans le pays. C’est une bagnole rouge, nantie d’un haut-parleur, qui parcourt doucement la localité en annonçant une soirée de gala à la salle des fêtes. « Le Cid », avec Chemoldu, ex-sociétaire de la Comédie Française dans le principal rôle Prix unique (en son genre) des places : 5 francs ! Demi-tarif pour les étudiants et leurs petites cousines sur simple présentation de leurs devoirs de vacances.

Le fichtre me prend. Que dis-je, le fichtre ! Le foutre ! Je virgule un billet sur le zinc du bavasseur et je m’élance dehors en criant à Béru de me suivre.

Je cours au-devant de la bagnole aboyeuse. Elle est pilotée par un type maigre, tout en angles et en triangles. Sa bouille me dit quelque chose. Je crois bien qu’il s’agit de Chemoldu en personne, l’ex-saucier-terre de la Comédie-Française. Tellement ex que personne, rue de Richelieu, ne doit se rappeler son séjour chez Molière. Probable qu’il a monté une tournée familiale : sa bonne femme joue Chimène, son beau-père fait le Comte et sa belle-doche évite de se raser pour interpréter don Diègue.

— Vous désirez ? demande-t-il avec hauteur après avoir plaqué son micro contre sa poitrine.

— Une place à vos côtés, Monseigneur.

Lui qui croyait que je lui sollicitais un autographe ! Le voilà tout déçu, tout hostile.

— Ah, ça, monsieur, vous possédez un fier toupet ! déclame le bon Cid cacheté (ses cachets ne doivent pas être plus gros que des cachets d’aspirine !).

— Laissez mon toupet tranquille, vous confondez avec Cyrano ! j’objecte. Police !

Ça le désamorce pas.

— Vous avez votre carte ?

— Pas sur moi, mais laissez-moi votre adresse, je vous en ferai parvenir une photocopie !

Ayant dit, j’ouvre sa portière du côté passager. Il va pour égosiller, mais Béru ouvre la portière du côté conducteur et repousse l’acteur vers le milieu de la banquette d’un coup de dargif péremptoire.

— Mais ! Au secours ! s’écrie Chemoldu.

— Vous faites pas sauter les cordes vocales, vieux, sinon vous serez aphone pour la représentation de ce soir et il faudra rembourser. J’ai besoin de votre voiture vingt minutes. Nous sommes réellement de la police et je vous donne ma parole que nous vous ferons une publicité du tonnerre.

Est-ce la peur, ou bien mon esprit de décision qui agit, toujours est-il que le Cid se met à bayer au Corneille[43].

— En route ! fais-je au Gros.

— Ça consiste en quoi ? il demande.

— Tu circules !

— Où ?

— Dans le patelin et ses environs. Prends toutes les petites rues, les chemins creux, les impasses, arrête-toi sur les places et aux carrefours. Va doucement.

Quant à moi, je cueille le micro aux doigts moites de Chemoldu, et je dégoise le texte ci-dessous :

— Allô ! Allô ! Avis à la population. Aujourd’hui même sera interprété à Saint-Nom-la Bretèche : « L’exécution de Von Chichmann par le Shin-Beth. » Je répète. Aujourd’hui, à Saint-Nom, « L’exécution de Von Chichmann par le Shin-Beth ». Attention, attention ! Achtung ! Achtung !

Et j’y vais, sans trêve, de ma voix admirablement timbrée au tarif pneumatique.

Gonflé autant qu’astucieux, vous ne pensez pas ? Ce faisant, mon objectif est double : « alerter Von Chichmann et me signaler aux tueurs du Shin-Beth planqués dans le pays afin de les pousser à se manifester. En agissant de la sorte, je leur casse la cabane, comprenez-vous ? Il est pas machiavélique, le Tonio ? C’est pas chiadé de première bourre, ça ?

« Attention ! Attention…

On roule à une allure de corbillard automobile. Chemoldu se fait tout mignard entre nous. Béru a un coude à la portière. De sa main libre il pianote le toit de la carriole. Il ne me pose pas de questions. Il a pigé, le gros bougre. Un sourire de maquignon tord ses lèvres gloutonnes.

L’exécution de Von Chichmann par le Shin-Beth…

On a traversé toute l’agglomération, de part en part, en allant loin sur la route. On sillonne à présent les petites voies secondaires où se blottissent les maisons de pierres blondes sur lesquelles se vautrent les glycines tutélaires. Des visages apparaissent aux fenêtres. Des gamins nous escortent un instant, en trottinant, de même que des roquets jappeurs.

— Achtung ! Achtung !…

L’avons-nous déjà atteint, Von Chichmann ? Sait-il, maintenant que sa vie est en danger ? Et si oui, a-t-il les moyens de se protéger ? Cet étrange appel ne risque-t-il pas de lui faire perdre la tête, au contraire ?

J’avais promis de lui mobiliser sa calèche pour vingt minutes, à l’ex-so-scié-taire de la Comédie Vranzaize. On l’utilise depuis déjà trois quarts d’heure à vouloir tout couvrir de ma belle voix vibrante. On passe, on repasse, on dépasse, on surpasse !

« Attention ! Attention ! Aujourd’hui même, à Saint-Nom : « L’exécution de Von Chichmann par le Shin-Beth ».

— Merde ! s’écrie le Mammouth.

Cette solennelle déclaration passe par l’ampli et s’étale sur le bourg. Je coupe le contact.

— Que t’arrive-t-il ?

— J’sus à plat.

En grommelant des invectives capables de compromettre son salut éternel (car il y met en cause l’existence de Dieu, lui, le baptiste !) Bérurier va regarder à l’avant de la tire. Il se baisse, examine les pneus et s’approche de ma portière.

— On est naze des deux boudins avant, Mec ! annonce-t-il.

— À la fois !

De son index crochu il m’invite à descendre.

— Avec ce tapis d’honneur qu’on nous a déroulé, c’t’un miracle qu’on soye pas à plat à cent pour cent.

Il me montre de drôles de petits objets biscornus sur le chemin. Ils sont gros comme des noix et hérissés de pointes très effilées.

— Et ils n’ont pas pleuré la marchandise ! renchérit mon compagnon. Sur dix mètres au moins !

— Courons ! hurlé-je.

Je pique un sprint. Sa Majesté m’imite en bramant des « Ouktuvamerdatanmoi » déjà essoufflés.

Votre San-Antonio chéri, mesdames, ne perd pas un pouce de seconde à l’affranchir. Il court, il court comme le furet du bois joli. Il débouche sur l’esplanade où se trouve garée sa pompe. S’y rue comme Cirrus dans six rues[44]. Il démarre, exécute un crocheton pour charger son cachalot.

— Mainondedieuspliquetoi ! exhale Alexandre-Benoît, comme un adieu d’opéra consécutif au meurtre du ténor par la basse, malgré l’intervention tardive de son beau-frère le gentil baryton[45].

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43

Y’en a-t-il un seul parmi les entre vous qui ne s’attendait pas à ce calembour ?

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44

Passez outre, merci.

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45

Dans un opéra le baryton est presque toujours le beau-frère du ténor.