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Ce que ça repose, le canotage, mes petites câlines ! Ouf ! On avait besoin de moelleux ! Ça commençait à faire mal aux endosses, ce patacaisse cascadeux. Notre esquif tournoie mollement dans le courant. Je tente de me trouver un aplomb quelconque et j’y parviens. On est drôlement contusionnés, le Mastar et moi. L’agent israélien, lui, à moins de bobo, précisément parce qu’il était ligoté à son siège. Comme quoi faut pas oublier de mettre sa ceinture de sécurité, mes drôles, que vous apparteniez ou pas au club des casse-cous (d’Houille).

Juste Dieu, comme s’exclamait il y a pas si naguère encore la marquise de la Frotte-Chagattau des Tergent, juste Dieu, combien nous sommes loin de la falaise ! Nos gars du comité d’Arcueil gesticulent, là-bas, là-haut, minuscules comme des fourmis ! On voit le profond sillon de notre dévalade dans la terre rouge aux éboulis scintillants. Des écrivains pour-de-vrai ajouteraient qu’on dirait une blessure dans le flanc meurtri de la montagne, ou une connerie ronflante de ce tonneau ! Au bas de la pente, l’autre partie de la carcasse est coincée contre un roc pareil à une énorme canine. Les survivants essaient de rescaper pour de bon en s’égaillant dans toutes les directions. Mais depuis l’en haut, les soldats les flinguent à la mitrailleuse. Pendant cette confusion, notre embarcation s’éloigne dans l’indifférence générale. Heureusement, ce cours d’eau est en crue. Ceux qui espèrent un calembour, style « faut laisser les crues se tasser », peuvent se l’arrondir au tamponnoir, j’ai d’autres crèmes à fouetter !

— Qu’est-ce que c’est que ce fleuve ? glapatouille Béru qui a des ennuis techniques avec son râtelier. La Vodka ? La Fistule ? Le Chibre ? Le Mec-Con ? La Meuse ou le Fusil-Yamoi ? l’Agent israélien répond spontanément :

— L’Euphrate, sans le moindre doute !

— En êtes-vous sûr ? lui dis-je.

— Certain. Ce sont des soldats irakiens, là-haut sur la falaise. J’ai reconnu leurs uniformes… et leurs méthodes. Nous n’avions pas traversé d’autres fleuves, or le Tigre se trouve plus à l’Est.

— Ne serions-nous pas en même temps que dans l’œuffrate dans la gadoue jusqu’au trognon ? questionne innocemment Bérurier.

Je ne réponds pas.

Pourtant, si vous voulez mon avis, on en a plus haut que le trognon !

Bien plus haut !

CHAPITRE III

ÇA FINIT TOUT DE MEME PAR BAIGNER DANS L’HUILE !

On dérive une couple d’heures en tourbillonnant. Notre étrange embarcation fait de l’eau comme un académicien-qui-se-serait-fracturé-le-col-du-fémur.

Déjà, le poste de pilotage est noyé. Notre capsule plonge de plus en plus. Parfois, elle racle le fond du fleuve et on en est chaviré.

— Ça enfonce, on dirait ? note Béru auquel rien n’échappe.

À cette allure, c’te garcerie d’avion va se transformer en sous-marin avant lulure. On ferait p’t’être bien de se payer un concours de deux cents mètres nage libre, tous les trois ?

La suggestion paraît pertinente. À tour de rôle on évacue le reliquat de DC8. La nuit tombe sans bruit. Le fleuve roule impétueusement des eaux couleur de purin. Les rives sont désertes. Nous nageons comme des perdus en direction de la berge de gauche, non par conviction politique, mais parce que c’est la plus proche. On y va d’un crawl impec. Et puis, à un certain moment, c’est la débâcle. Nous sommes happés par un tourbillon effrayant. Impossible de briser la fougue du courant. Lutter est stérile. Le mieux est de se laisser aller. L’Israélien et moi faisons la planche, tandis que Béru fait le tronc. On tournoie dans un carrousel en dinguerie. On se voit, on se dit bonjour, on se quitte pour se retrouver un peu plus tard, un peu plus loin… C’est le bouquet final ! Le dessert de ce voyage infernal. On en avale ! On en recrache ! On crapouille ! On gargouille ! On sacouille !

L’élément liquide joue avec nous comme avec des fœtus de paille (selon Béru). On plonge, on remonte ! Pauvre carcasse qui ne tremble même plus, qui se laisse ballotter au gré des forces turpides. Qui se laisse rouler, transir, meurtrir encore et tant et plus ! Au bout d’un laps d’étang que je ne saurais évaluer, n’ayant pas eu la présence d’esprit de déclencher la trotteuse de mon chrono, le courant mauvais qui nous avait empoignés nous relâche, semblable à un vilain matou qui en aurait classe de joujouer avec la souris de l’abbé Jouvence. Le premier, me semble-t-il, je suis libéré. Le rivage est là, à portée de main. J’use mes dernières forces à l’atteindre. Quelques halètements manière de régulariser le service d’ordre à l’intérieur de mes poumons, et je me retourne pour voir si mes deux compagnons sont toujours en ballottage. Ils radinent à leur tour, comme Marguerite de Bourgogne à l’heure de la pointe[7]. On reprend gentiment ses esprits en se regardant glavioter de la boue, des fétus, des alevins et de vieux préservatifs oblitérés datant de l’occupation britannique. Enfin nous voici remis de ces nouvelles émotions. On est sains et saufs. Provisoirement, certes, mais la santé, le confort intellectuel et la vie de tout individu ne sont-ils pas que provisoires ? Ses coïts, ses malversations, ses sélections, ses érections, ses constipations, ses économies et son enterrement sont limités dans le temps. Pas la peine, donc, de se démolir l’optimisme en considérant la brièveté de ce salut si chèrement acquis.

— Cette flotte est dégueulasse, déclare le Gros. J’en voudrais même pas pour mouiller un Ricard.

Notre camarade d’équipée à un rire de loup-cervier.

— Eh bien, dit-il, je ne m’attendais pas à survivre à de pareils exploits.

Il nous tend une main qui, pour être ruisselante, n’en est pas moins spontanée, comme l’écrivait M. Jules Romains il n’y a pas si longtemps.

— Mon nom est Horry Zonthal, dit-il fort civilement, du fait qu’il n’est point habillé en militaire.

— Enchanté, fait mon Merlin privé en secouant les cinq doigts de l’homme que nous avons entrepris de suivre. Moi, c’est le rabbin Bérurheim.

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7

Si c’est trop subtil pour vous, je vous dresserai une liste de bouquins mieux à votre portée.