Выбрать главу

— Vous ne me connaissez peut-être pas, mais je vous connais, continua la voix tranquille. Avez-vous jamais entendu parler du Derviche ?

— Le Derviche ?

Les rouages de la prodigieuse mémoire de Malko s’étaient mis en route, triant les souvenirs, les informations, les noms, des visages. Le Derviche. Cela éveillait un très vague écho, mais impossible d’en dire plus.

— Je travaille pour une compagnie d’assurances quelquefois rivale de la vôtre, continua l’inconnu avec un rien d’ironie.

Le Derviche !

Les bribes d’une conversation remontant à plusieurs mois resurgissent dans la mémoire de Malko. Ce jour-là, on parlait du Mossad, les services spéciaux israéliens. Particulièrement d’un de ceux qui se consacraient à la recherche et à l’extermination des terroristes palestiniens.

Le Derviche. Personne ne savait exactement pourquoi on lui avait donné ce surnom. À part quelques hauts fonctionnaires israéliens, personne ne connaissait son visage et sa véritable identité. Le regard de Malko s’immobilisa sur l’ombre assise dans le fauteuil.

Un peu soulagé.

— Bienvenue, dit-il. Je me doutais bien que vous étiez là.

Une arrière-pensée tempéra immédiatement son soulagement. Qu’est-ce qui lui prouvait qu’il avait en face de lui un agent israélien ? Il avait cru aussi se trouver en face de Mark, le « stringer » de la CIA… La plaisanterie pouvait continuer… Les Israéliens n’avaient pas le monopole de l’astuce.

— Je vois que vous avez entendu parler de moi, fit la voix. J’en suis heureux, cela facilitera nos rapports.

Malko laissa s’écouler quelques secondes avant de répondre :

— Qui me prouve que vous êtes le Derviche ? Que se passera-t-il si j’allume la lampe qui se trouve à côté de moi ?

La réponse arriva, dite d’une voix indifférente et parfaitement contrôlée.

— Vous serez mort avant d’avoir vu mes traits. Il y a un pistolet braqué sur vous en ce moment. Ce serait regrettable. Je ne viens pas vous voir en ennemi. Pas encore.

— Pourquoi ? demanda Malko, fixant l’endroit d’où venait la voix.

— Parce que les intérêts de nos compagnies pourraient diverger sur certains points, continua l’Israélien. Je suis à Mahé pour retrouver le Laconia B. Vous aussi. Nous ne sommes pas les seuls. Les autres sont nos adversaires communs.

Malko enregistrait. Au fond, l’Israélien lui proposait – si c’était lui – une alliance provisoire.

— Savez-vous où se trouve le Laconia B ?

La question brutale faillit le surprendre. Ce n’était pas dans les habitudes des barbouzes de parler aussi directement. Il s’agissait vraiment d’une situation inhabituelle.

— Non, dit Malko. Et vous ?

— Je l’ignore également, avoua l’Israélien d’une voix tranquille. Mais il n’est pas impossible que nos adversaires – il appuya sur le mot « nos » – le sachent.

Silence, rompu par le chuintement du conditionneur. Les yeux de Malko s’étaient accoutumés à l’obscurité et il distinguait mieux la silhouette massive dans le fauteuil.

— Pourquoi ? demanda-t-il.

Le Derviche émit un soupir très léger.

— Il y a quelques jours, dit-il, des pêcheurs ont recueilli un cadavre en mer. Il avait été sauvagement torturé. Il se trouvait sur le Laconia B. Il est possible, mais non certain, qu’il ait fourni des indications sur la position exacte de son naufrage.

Tout se recoupait. Malko entra dans le jeu, décidé à en savoir le plus possible.

— Qui l’a torturé ?

— Un certain Rachid Mounir, répondit aussitôt l’Israélien. Le n° 2 du Directorat « Action » des services irakiens. Un homme qui nous hait, autant que les SS nous haïssaient. Il se trouve en ce moment à l’hôtel Coral Sands. Nous le connaissons depuis longtemps. C’est lui qui a torturé des prisonniers israéliens pendant la guerre du Kippour. Onze hommes et femmes, faits prisonniers au Mont Hermon. Il leur a arraché les yeux alors qu’ils étaient encore vivants…

Le silence qui s’établit dans la chambre sembla plus lourd à Malko. Il avait déjà entendu parler de l’histoire du Mont Hermon.

— Un homme comme ce Rachid ne doit pas se risquer souvent hors d’Irak, remarqua-t-il. Pourquoi ne vous vengez-vous pas ?

Le Derviche bougea dans son fauteuil, comme si la question de Malko l’avait énervé.

— Nous nous vengerons, affirma-t-il. Mais pas tout de suite. Mais il y a des tâches plus urgentes. Rachid Mounir dispose ici de nombreuses complicités locales.

— Pourquoi les Irakiens veulent-ils le Laconia B demanda Malko.

— Vous êtes très naïf, monsieur Linge, fit le Derviche d’une voix pleine d’amertume. Ceux pour qui travaille Mounir rêvent d’exterminer Israël. Il y a à bord du Laconia B de quoi le détruire dix fois…

— Les Arabes ne maîtrisent pas encore ces techniques, objecta Malko.

— Allons donc, trancha le Derviche, si les Indiens y sont arrivés, ils y arriveront aussi. Avec de l’argent, on se fait aider. De toutes les façons, c’est un risque que nous ne pouvons pas prendre. Surtout pas pendant les négociations qui se déroulent actuellement…

Ils n’allaient pas se lancer dans un cours de technologie atomique. Malko commençait à en avoir assez d’être dans le noir.

— Que voulez-vous ? demanda-t-il.

— Que vous nous disiez où se trouve le Laconia B au cas où vous le trouveriez le premier, annonça l’agent israélien d’une voix égale.

De plus en plus étonnant. La brutalité du Derviche tranchait sur la prudence traditionnelle des Israéliens.

— Comment savez-vous que je vous dirai la vérité ? demanda Malko. Je pourrais très bien déjà savoir où se trouve le Laconia B.

— Non, fit le Derviche. Sinon, on n’aurait pas tenté de vous tuer aujourd’hui. On vous aurait enlevé pour vous torturer.

Silence. Décidément les Israéliens étaient bien renseignés. Malko éprouva quand même une satisfaction vague de les avoir relativement de son côté.

— Que m’offrez-vous en échange de ce que vous me demandez ?

— Des informations, répondit l’Israélien aussitôt. Qui peuvent vous éviter des faux pas. Par exemple, le « contact » que vous avez rencontré aujourd’hui ne s’appelle pas Mark, mais Bill. C’est le chef de la section du SPUP[11] pour Beauvallon. Et surtout le patron officieux de la police parallèle du nouveau régime. Que ce dernier ne contrôle pas totalement.

— Comment connaissait-il notre rencontre ?

Malko aurait pu jurer que le Derviche avait souri dans le noir.

— Parce que Mark, l’agent de votre compagnie, travaille également comme informateur pour le SPUP. Sa femme, Claire, est la maîtresse de Rachid, après beaucoup d’autres, dont l’ancien président Mancham… Mark est un mou, un faible que tout le monde manipule…

Malko fixait la silhouette sombre, atterré. Bravo pour la CIA… Il avait été se jeter droit dans la gueule du loup, grâce à Willard Troy. L’amibiase ne ramollissait pas le cerveau quand même. Il était temps que la CIA fasse le ménage chez elle…

— Ils voulaient savoir si vous connaissiez l’emplacement du Laconia B avant de vous éliminer, continua impitoyablement l’Israélien. Quand ils ont été fixés, ils ont organisé l’attentat contre vous.

Maintenant tout était clair… Malko essayait de classer ce flot d’informations. Cherchant la faille. Parce que tout cela pouvait aussi être de l’intox.

— Pourquoi les Seychellois aident-ils les Irakiens à ce point ?

Le Derviche eut un rire sec et sans joie.

вернуться

11

Seychelles People United Party.