La fille se frotta littéralement contre lui et ils échangèrent un baiser sans retenue. Ce devait être Claire, la femme de Mark. Puis, l’Irakien se rassit et se replongea dans Newsweek. Malko, examinant les gens autour de lui, remarqua deux hommes au teint mat – de type sémite – assis à même le sable derrière lui. En maillot noir, un chapeau de toile sur la tête, des lunettes noires. Devant chacun d’eux, un sac de toile. Des gardes du corps. Rachid Mounir était prudent. La fille brune avait ôté sa robe rouge, dévoilant un deux-pièces de même couleur et s’était allongée à côté de lui.
Malko s’éloigna. Bizarre. L’Irakien semblait vraiment en vacances. Qu’attendait-il ? Pourquoi ce farniente ? Qui disait la vérité et qui mentait ? Il remonta dans la Cooper, s’éloignant sur la route longeant la mer. Le Coral Sands, bâti sur la plage, se trouvait après le Beauvallon. Dans une demi-heure, il avait rendez-vous avec Mark, près du Fisherman’s Cove. Il avait déjeuné tout seul, à la piscine de l’hôtel, d’un poisson grillé arrosé de Pepsi-Cola.
Il avait hâte d’être au lendemain, pour partir vraiment à la recherche du Laconia B. En espérant qu’aucune catastrophe ne modifierait ses plans. Il était passé au yacht-club et avait vu Brownie et sa compagne en train de préparer le bateau. De ce côté-là, tout allait bien.
Cinq minutes plus tard, il garait la Cooper dans le parking du Fisherman’s. Le soleil tapait d’une façon démente. Il se sentait nerveux et décida d’emporter le Stainless dans son sac de plage. Assez de surprises désagréables.
Malko recula sous un cocotier pour avoir un peu d’ombre et consulta sa montre pour la centième fois. Cinq heures. Il n’y avait presque plus personne sur la plage. Les touristes rentraient tôt. Un peu plus loin, de l’autre côté de la mini-rivière coupant la plage, quelques Allemandes se trémoussaient sur le sable au son de deux guitaristes, jouant une vague sega, le quadrille local, entourées de Seychellois bavant devant cette chair blonde.
Un vieux couple passa devant lui, tendre comme deux hippopotames.
Pas de Mark.
Inutile d’attendre plus longtemps. Il fallait le traquer dans sa tanière. Il se leva et prit la direction de l’hôtel. Furieux. Le Seychellois était vraiment une anguille. Le temps de s’habiller, de se doucher, il faisait presque nuit lorsqu’il ressortit du bungalow. Pour se cogner presque à Irja Inari, sublime dans une saharienne beige.
— C’est aussi Grey ? demanda Malko.
La Finlandaise sourit.
— Oui.
Décidément.
— Vous m’accompagnez demain ?
— Je ne crois pas, malheureusement. Un autre jour peut-être. J’aimerais beaucoup…
Ce n’était pas son jour. Il était d’une humeur massacrante quand il s’engagea sur la route de Victoria. L’embranchement menant à la résidence de l’ambassadeur de l’URSS se trouvait à deux milles environ. Malko y fut en deux minutes. Décidé cette fois à secouer le « stringer » pour de bon. Il allait si vite qu’il crut être arraché de la Cooper en entrant dans le sentier. Les cochons noirs et les poulets étaient toujours là. Il s’arrêta sous un gros jacquier et se dirigea vers la dernière case, à gauche de la montée cimentée menant à la maison du russe. Sur pilotis, comme les autres, avec un petit escalier de bois menant à la véranda entourant l’unique étage.
Personne en vue. Un poulet se sauva en caquetant. Il se retourna. Une vieille femme l’observait. Elle rentra précipitamment. Il frappa à la porte.
Pas de réponse.
Il poussa la porte qui s’ouvrit sans difficulté et il entra dans une pièce sombre, pour s’immobiliser aussitôt. Une odeur familière et fade venait de frapper ses narines.
Celle du sang frais.
Chapitre VI
Les doigts de Malko trouvèrent un interrupteur et il appuya dessus. Il faillit ressortir aussitôt de la case tant le spectacle était insoutenable.
La tête de Mark, le « stringer » de la CIA était posée sur une table en bois inondée de sang, comme un chou-fleur sur un plat. Les yeux fixes, la bouche entrouverte sur un cri silencieux, face à Malko, comme pour le narguer. Le sang coulait encore goutte à goutte du bord de la table sur le plancher de bois vermoulu. Le corps de Mark était tassé dans un coin, sur le côté, au milieu d’une mare de sang encore plus grande. Sous le blue-jean trop serré de play-boy, le sexe faisait encore une bosse dérisoire. La machette qui avait servi à la décapitation gisait encore par terre, la lame souillée. Il avait fallu plusieurs personnes pour tenir le malheureux « stringer ». D’après la position du corps, on l’avait forcé à s’agenouiller et, ensuite, on l’avait décapité par derrière, emportant au passage un morceau de sa chemise…
Malko réprima une nausée. En allant à l’hôpital, il avait condamné Mark à mort. Emporté par sa lâcheté naturelle, le « stringer » de la CIA avait dû tout avouer à Bill. Au moment où Malko reculait vers la véranda il entendit un bruit de moteur. Une voiture venait de s’arrêter à côté de la case.
Il sortit. Dans la lumière des phares, il reconnut la fille en robe de tissu éponge rouge aperçue avec Rachid Mounir. Elle monta les marches d’un pas rapide de la véranda, aperçut Malko. Ne manifestant, ni crainte, ni surprise.
— What do you want ?… Mark is there ?[12]
Malko n’eut pas le temps de répondre. Elle était entrée. Il entendit son cri aigu, revint derrière elle. Figée devant la table, elle contemplait la tête décapitée. Ses traits ne s’étaient pas déformés sous l’effet de la terreur mais plutôt statufiés. Elle se tourna vers Malko, la bouche ouverte, son regard passa à travers lui, comme s’il était un fantôme et elle recula lentement vers la porte.
Lorsqu’il lui prit le bras, elle sembla ne rien sentir. Un moment leurs regards se croisèrent. Il n’y avait absolument rien dans celui de la Seychelloise qu’une panique animale. Comme si elle avait été en catalepsie. Elle ne reprit vie que sur la véranda. Pivotant sur elle-même, elle dévala les marches et sauta dans sa voiture. Son démarrage fut si brutal qu’elle faillit emboutir un gros jacquier.
Sa Toyota frôla une Land Rover qui arrivait. Malko devina quatre hommes à bord. Elle stoppa à l’endroit où la Toyota s’était arrêtée. À cause de la pénombre, il ne pouvait voir de qui il s’agissait, mais n’aimait pas cela du tout… Le temps que les portières de la Land Rover s’ouvrent, il avait plongé à l’intérieur de la case. Il traversa en courant la pièce où se trouvait le cadavre de Mark, poussa une porte donnant sur le derrière de la maison et sauta à terre, immédiatement englouti par la végétation dense. Il parcourut cent mètres parallèlement à la piste cimentée, puis se rapprocha et la franchit d’un bond, redescendant de l’autre côté, vers la Cooper.
En une minute, il fut en sueur. La chaleur était encore lourde et oppressante. Un cochon noir s’enfuit avec un couinement indigné. Il aperçut la Land Rover toujours arrêtée au même endroit. Heureusement, sa Cooper Se trouvait plus loin vers la route de Beauvallon.
Il observa les lieux, dissimulé derrière un tronc, puis bondit à son volant et mit en marche. Le ronflement du moteur fit tourner la tête aux hommes descendus de la Land Rover. Dans la lueur des phares, Malko reconnut la silhouette trapue de Bill la barbouze. Ce dernier l’avait vu aussi. Il cria quelque chose et un des Seychellois se précipita vers la Land Rover. Malko démarrait déjà. Cahotant dans les ornières du sentier, il aperçut le véhicule se mettre en marche. Le petit Bill gesticulait à côté.