« Entre ici et le sec, le fond est d’environ 40 à 60 mètres. Sur le sec, il y a 20 mètres, 14 et même 3 ou 4. Au nord, il s’achève sur un à-pic sous-marin presque vertical. Plusieurs centaines de mètres…
Malko regardait la carte, pensif. 2 miles sur 3, cela représentait une énorme surface à ratisser. À condition de tomber pile dessus.
— En plus du cap, dit-il, comment le trouve-t-on ?
— Les oiseaux, fit Rhonda. Il y en a toujours beaucoup qui travaillent. Les poissons se réfugient sur le sec pour échapper aux requins.
La jeune Australienne avait passé un tee-shirt et donnait ses explications, assise à même le sol du carré.
— Il va falloir travailler au sondeur, remarqua Malko.
— Bien sûr, fit l’Australienne, mais j’ai l’habitude. Et puis, il faut un peu de chance.
Avec un crayon, Rhonda venait de dessiner le récif corallien à son véritable emplacement. En le reportant sur une carte à plus grande échelle, Malko vit qu’il se trouvait exactement sur la route d’un navire quittant les Seychelles et se dirigeant sur l’île de Socotra, à l’entrée de la Mer Rouge.
Comme le Laconia B.
— Cela peut prendre plusieurs jours, remarqua Malko.
Rhonda hocha la tête.
— Oui. On peut même ne pas le trouver. Parfois les courants vous déportent. Le mieux c’est de quadriller la mer à partir de l’endroit où on pense qu’il se trouve. Un quart de mile au nord, virage à droite à 90° et ainsi de suite, en augmentant chaque fois la distance d’un quart de mile. Cela peut prendre une semaine mais on a peu de chances de le rater…
En une semaine, il pouvait se passer beaucoup de choses. Malko adressa au ciel une prière muette. Pour l’instant, il n’y avait plus rien à faire. La nuit allait tomber. Ils commenceraient le lendemain matin.
— Allons à terre, proposa-t-il.
Autant vérifier le chargement des bouteilles. Ils risquaient d’en avoir besoin.
Les graines de falaos s’enfonçaient dans la plante des pieds comme des milliers d’aiguilles, mais c’était encore plus difficile de marcher avec des chaussures sur le sable. Malko contempla Rhonda qui, vêtue de son seul slip, s’ébattait dans l’eau à quelques mètres du bord. La température était délicieuse. Le calme absolu, troublé seulement par le grondement des vagues se brisant sur la barrière de corail, tout autour de l’île. Le ronronnement du compresseur le rassurait. Les Noirs les avaient installés dans un bungalow rustique au toit de chaume, avec de grands ventilateurs au plafond et un large espace ouvert entre le toit et les murs. Ce qui permettait à l’air frais et aux scolopendres de circuler librement. Une douzaine d’autres bungalows étaient en construction dans la cocoteraie. Une large véranda en faisait le tour, avec de vieux sièges de rotin. C’était le retour à l’époque coloniale héroïque… Seul signe de civilisation : la petite piste d’atterrissage, à cent mètres coupant l’île en deux, matérialisée par une large tranchée au milieu de la cocoteraie et une manche à air qui pendait languissamment.
Rhonda revint trempée et s’allongea près de Malko les pointes des seins dressées vers le ciel.
— C’est merveilleux, ici, dit-elle. Pas encore de touristes. Et nous ne sommes qu’à dix minutes par avion de Mahé…
Elle se pencha et embrassa Malko. Sa bouche sentait le sel et son corps rafraîchi par l’eau semblait encore plus ferme. Elle bascula sur le dos, l’attirant sur elle. C’est seulement plusieurs minutes plus tard, que Malko perçut qu’elle avait ôté son maillot. Son corps avait creusé une petite alvéole dans le sable et il l’enfonçait encore plus.
— Doucement, murmura-t-elle, j’ai encore mal partout.
Il entra en elle, lentement, allant et venant avec précautions. Le bassin de la jeune femme se souleva du sable comme pour faire pénétrer Malko encore plus. La bouche collée à son oreille, elle murmura :
— I want you to go deeper and deeper[18].
L’os de son pubis cognait impérieusement. Cette fougue déclencha rapidement le plaisir chez Malko.
Rhonda cessa de bouger, retomba aussitôt toute molle et dit d’une petite voix :
— J’ai toujours des problèmes pour jouir. Quand j’étais plus jeune, ma mère me disait que c’était un péché.
Elle se releva d’un bond et le tira par la main, lui laissant tout juste le temps d’enfiler son maillot.
— Viens, allons manger.
Ils s’engagèrent sur un petit sentier serpentant au milieu de la cocoteraie. C’était une délicieuse récréation.
Rhonda s’appuya sur Malko, le corps plein de sable :
— Oh, je suis si contente de dormir dans un vrai lit.
Une masse noire leur barra soudain la route. Une gigantesque tortue de terre à la carapace bombée, haute de près d’un mètre, en train de brouter paisiblement. Elle ne se dérangea pas, se contentant d’allonger avec curiosité son long cou ridé.
— Celle-là, on dit qu’elle a plus de 200 ans, remarqua Rhonda.
Une lampe à acétylène brillait sur la véranda de leur bungalow. Les Noirs avaient préparé un repas sommaire, du « job » à la créole, du riz, de la bière et des mangues. Au pied de l’escalier menant à la véranda, deux grosses tortues dormaient paisiblement. Dieu merci, il n’y avait pas de moustiques… et la douche fonctionnait dans un petit bâtiment derrière. Tandis qu’ils mangeaient, un Noir vint les prévenir que les bouteilles avaient été rechargées et qu’ils les ramenaient sur le Koala. Leur caisse de bière les attendait sur le pont arrière.
— Nous partirons dès qu’il fera jour, conseilla Rhonda.
Ses yeux se fermaient de fatigue. Il n’était pourtant guère plus de neuf heures. Malko ne se sentait pas mieux. À peine allongé sur le lit dur comme une planche, il s’endormit. Grâce aux ventilateurs et à la circulation d’air, il faisait agréablement frais. Il souhaita seulement qu’il n’y ait pas de trop grosses bêtes en visite pendant la nuit. Demain serait un autre jour.
Malko se dressa dans le noir, essayant d’identifier le bruit qui l’avait arraché au sommeil. Un avion. Le bruit du moteur était parfaitement clair dans le silence de la nuit. Un petit avion qui s’approchait à basse altitude. Étrange en pleine nuit. Le cadran lumineux de sa Seiko indiquait une heure du matin. Qui pouvait vouloir se poser à Denis à cette heure ? Certainement pas des touristes… Malko se leva, et, sans réveiller Rhonda, sortit sur la véranda. Au bruit, il devina que l’appareil tournait en rond, cherchant probablement le meilleur moyen d’aborder la piste, sans aucun balisage.
Son cœur se mit à cogner dans sa poitrine. Cette arrivée inopinée ne lui disait rien qui vaille. Il rentra dans le bungalow et secoua doucement Rhonda qui dormait en chien de fusil, insistant jusqu’à ce qu’elle ouvre les yeux. Elle se dressa aussitôt, l’air effrayé. Malko lui sourit :
— Rhonda, fit-il, il se passe quelque chose d’anormal.
Elle cligna des yeux devant la lumière.
— Quoi ?
Malko était déjà en train de s’habiller. Le ronronnement de l’avion se rapprocha.
— Un avion essaie de se poser, dit-il. C’est anormal à cette heure. C’est peut être Brownie ou les Arabes qui viennent récupérer le bateau.
La jeune femme sauta du lit et s’habilla à son tour, sans un mot.
Ils sortirent en même temps sur la véranda. Plusieurs Noirs avaient émergé de leurs cases, des lampes électriques à la main, intrigués aussi par le bruit de l’avion. Ce dernier continuait à tourner, hésitant visiblement à se poser. Malko regarda ses feux de position passer au-dessus de la plage. Que faire pour l’empêcher d’atterrir ?