— C’est possible, en effet, dit Malko. J’avais charté son bateau en bonne et due forme.
— Je n’en doute pas. Par ici, je vous prie.
L’Austin bleue attendait dans la cour, un policier en uniforme au volant. Le civil serra la main de Malko.
— Bon séjour aux Seychelles, Mr Linge.
Un peu plus, il avait droit à un ballet folklorique. L’Austin sortit de la cour et fila vers le marché. Pour aller à Port-Launay, de l’autre côté de l’île, il fallait traverser la montagne par la route de Sans-Souci. Revenir ensuite, car il n’y avait pas de route entre Port-Launay et Beauvallon… Charmant.
La Mini bleue grimpait lentement entre deux murs verts. La route de Sans-Souci serpentait au milieu d’une forêt dense. Pas une case. La végétation avait changé à cause de l’altitude et il faisait presque frais. Une grande bâtisse blanche éclairée par des projecteurs apparut sur la gauche.
— Case Président René, annonça fièrement le conducteur. Que Bon Dieu a aidé lui…
Touchante dévotion. Deux phares surgirent derrière eux, se rapprochant. Malko se retourna, aperçut une voiture noire. Celle-ci donna un bref appel de phares. Aussitôt, le policier qui conduisait l’Austin bleue ralentit et se rangea sur le bas-côté de la route !
Absolument impassible.
La voiture noire les doubla et s’arrêta en travers de la route, dans un grand crissement de freins. Une grosse Toyota 2000.
— Qu’est-ce que vous faites ? sursauta Malko.
Le chauffeur ne bougea pas, ne répondit pas. C’était le guet-apens parfait. La police n’avait pas voulu se compromettre dans un kidnapping, mais ce n’était pas de leur faute si une de leurs voitures était attaquée par des inconnus…
D’un coup d’épaule, Malko essaya de pousser le conducteur hors de son siège, pour prendre le volant, mais l’autre résistait passivement. Les portières de la Toyota s’ouvrirent sur deux hommes.
Rachid Mounir, l’Irakien avait les mains vides, mais Bill, le petit Seychellois, brandissait un pistolet automatique au long canon. Sans se presser, ils s’avancèrent dans la lumière des phares.
Au moment où Malko allait sauter à terre pour tenter de s’enfuir dans la forêt, il y eut un grincement de freins derrière lui. Une autre voiture venait de stopper, derrière eux. Une Mini-Moke rouge. Deux silhouettes en émergèrent et apparurent dans la lumière des phares. Le Derviche et Zvi, le petit Israélien chauve, avec sa grosse Marlin 444 dont le canon était braqué sur les occupants de la Toyota. Ceux-ci s’étaient figés.
Pendant quelques secondes, il ne se passa rien. Puis le levier de la Marlin claqua avec un bruit clair. Bill, le Seychellois, n’avait pas bougé, le pistolet toujours braqué sur l’Austin. Les beaux traits réguliers de Rachid Mounir s’étaient statufiés. Zvi s’approcha du Seychellois et lui posa son arme sur le ventre. À cette distance, on risquait de retrouver des intestins accrochés à tous les cocotiers du coin.
— Get away[20].
Lentement, l’Irakien recula vers la Toyota suivi de Bill. Le Derviche se tourna vers l’Austin.
— Dépêchez-vous, montez avec nous.
Malko sauta aussitôt de l’Austin et se glissa à l’arrière de la Mini-Moke. Aussitôt, les deux Israéliens reculèrent lentement vers lui et le rejoignirent. Le Derviche prit le volant, passa la marche arrière, tandis que Zvi gardait son arme braquée sur les deux hommes immobilisés au milieu de la route. Juste avant de franchir le virage, Zvi appuya sur la détente de son arme. L’explosion ébranla la Mini-Moke et le pare-brise de la Toyota vola en éclats. Puis le Derviche tourna en marche arrière dans un chemin creux, redescendant sur Victoria. L’Israélien posa son regard froid sur Malko.
— Nous sommes arrivés à temps…
Un ange passa. La reconnaissance n’était pas une vertu cardinale barbouze…
Malko réalisa soudain qu’ils allaient bien vite pour une Mini ordinaire…
— Mais c’est ma voiture, s’exclama-t-il.
Le Derviche daigna sourire.
— Eh oui… Mais nous allons vous la rendre.
Il conduisait à tombeau ouvert dans les lacets. Zvi, paisiblement, démonta la lunette de son arme, toujours sans dire un mot.
— Comment…, commença Malko.
— Nous étions au courant, coupa l’Israélien. Ils veulent savoir ce que vos quatre jours de recherche ont donné. La police de Victoria n’a rien à refuser à Bill. Cassan travaille avec eux, maintenant. Nous vous avons suivi depuis la Police Station de Victoria.
— Où m’emmenez-vous ? demanda Malko.
— Nous avons laissé notre voiture au croisement de la route de Victoria, répondit le Derviche. Je suppose que vous allez rendre compte de vos recherches à Mr Troy ?
Il avait ralenti pour traverser un hameau. L’Exil, lut Malko sur un panneau délavé. Il faisait nettement plus chaud. Des Noirs marchaient le long de la route avec des lampes électriques.
— C’est exact, dit-il.
Ils roulèrent en silence jusqu’au croisement avec la route côtière, encombrée de véhicules comme toujours. Le Derviche stoppa derrière une Toyota jaune, et se tourna vers Malko.
— Vous feriez bien d’être très prudent, Mr Linge. Ils recommenceront.
— Je serai prudent, assura Malko.
Silence. Un ange passa, avec une armure, ce qui alourdissait considérablement son vol.
— À propos, Mr Linge, demanda l’Israélien, quel est le résultat de vos recherches ? Avez-vous retrouvé le Laconia B ?
— Non.
Le Derviche hocha la tête lentement.
— D’autres pourraient vous poser la question avec plus… de persistance. Attention.
Une idée trottait dans la tête de Malko.
— Que fait Cassan ? demanda-t-il. Il n’a pas repris les recherches. Même s’il a brûlé cette carte, il peut sûrement la reconstituer de mémoire.
— C’est en effet probable, dit le Derviche, mais, bizarrement, ils ne sont pas repartis en mer. Brownie Cassan s’est installé au Coral Sands, avec ses nouveaux amis. J’ai l’impression qu’ils attendent que vous retrouviez le Laconia B pour eux. Grâce à cette charmante jeune femme.
Il y avait une certaine ironie triste dans le regard du Derviche. Malko fut certain à cette seconde que l’Israélien n’était pas dupe. Celui-ci sauta de la voiture et lui tendit la main, tandis que Zvi descendait de son côté.
— Mr Linge, dit le Derviche, je ne suis pas sûr que vous disiez la vérité. Il ne faudrait pas que nos ennemis s’emparent de vous. Je ne prendrais pas ce risque. Je serais alors obligé de vous supprimer. Quitte à retrouver le cargo tout seul. À très bientôt. Vous savez où me trouver. Je crois que mon gouvernement est en train de négocier un accord avec le State Department, pour la cargaison du Laconia B. Cela nous permettrait de travailler la main dans la main.
— Cela serait la meilleure solution, dit Malko, avec diplomatie.
Il passa devant et reprit le volant de la Mini. Il était tranquille pour quelques heures. Un kidnapping ne s’improvisait pas. Heureusement, les Israéliens semblaient remarquablement informés. Ils jouaient avec lui au chat et à la souris. Il repensa au noyé à qui on avait arraché les ongles en s’engageant sur la route côtière, derrière un bus surchargé. Il fallait faire vite pour évacuer la cargaison du Laconia B.
Le teint pâle, Willard Troy aurait fait envie à un mort. L’amibiase ne s’améliorait pas. Malko l’avait trouvé couché, avec un thermomètre dans la bouche… le lit disparaissant sous des piles de telex.