— Avez-vous du nouveau ? demanda le Derviche.
— Rien de particulier, dit Malko. Je suppose que vous allez me suivre…
— Vous protéger, corrigea l’Israélien.
L’un derrière l’autre, ils s’engagèrent dans les lacets de la Misère. Vingt minutes plus tard, Malko était à l’hôtel. En passant sur la pelouse, il aperçut le feu de position blanc d’un navire à l’ancre, à peu de distance. Probablement le Koala. Au moins, Rhonda avait réussi à repartir du port.
Il eut envie de pleurer de joie en revoyant le Fisherman’s Cove. Son château contre une douche. Il s’enferma, plongea dans la salle de bains, pour ôter le sel incrusté dans sa peau. Ensuite, il s’arrosa de Bogart, retrouvant avec joie la civilisation. Il finissait à peine qu’on frappa à sa porte.
Zamir était éblouissante dans une robe en fausse panthère qui la moulait comme un gant, juchée sur de hauts talons de douze centimètres, les ongles-griffes rouge ; corail.
— Je suis seule pour dîner, dit-elle d’un ton enjoué.
Les Israéliens alternaient la carotte et le bâton…
Pour l’instant, Malko risquait d’avoir besoin d’eux.
Il fallait les ménager.
— Vous avez des roquettes dans votre sac ? demanda-t-il.
L’Israélienne secoua ses longs cheveux noirs en riant.
— Ne soyez pas bête… Je viens seulement vous tenir compagnie…
Malko lui prit le bras, pensant à Rhonda, toute seule sur le Koala, mais c’est encore là qu’elle était le plus en sûreté. Ils gagnèrent la salle à manger, bourrée. L’Israélienne était très gaie, très charmeuse, assise en face de Malko. Celui-ci aperçut le Derviche et l’éternel Zvi. Il était sous bonne garde. Juste après le dessert, Zamir posa légèrement ses doigts sur ceux de Malko, lui adressa un regard tendre et lui dit :
— Mon sang de juive me dit que vous avez envie de faire l’amour avec moi, dit-elle doucement.
Malko sourit froidement :
— Vous ne devez pas être une vraie Juive. Votre sang vous trompe. Après la journée que j’ai eue, je n’ai envie de faire l’amour avec personne…
Elle se rembrunit :
— Même avec moi ?
— Même avec vous.
En plus, c’était vrai. Il y eut un silence puis l’Israélienne remarqua d’une voix triste :
— Vous savez que si vous refusez de collaborer avec nous, nous serons obligés de vous tuer… Je ne voudrais pas que cela arrive. Vous m’êtes si sympathique…
Ses grands yeux noirs s’étaient humectés. Une nouvelle candidate à l’Oscar de l’hypocrisie.
Malko lui prit la main et la baisa :
— J’espère que vous n’en viendrez pas à cette extrémité…
— Vous ne voulez pas de la destruction d’Israël ? demanda-t-elle tout à coup.
— Bien sûr que non, dit Malko, mais ce n’est pas le problème…
La jeune Israélienne se pencha à travers la table, les yeux flamboyants.
— Si, c’est le problème ! Les Irakiens veulent cet uranium pour construire des bombes atomiques, et nous rayer de la surface de la terre.
Elle était visiblement sincère bien qu’un peu paranoïaque. Malko remarqua :
— Pourquoi vos amis n’ont-ils pas abattu ce Rachid aujourd’hui ?
Zamir eut un sourire glacial :
— Nous avons le temps. Il ne fallait pas vous faire courir de risques. Nous espérons encore que vous comprendrez où est votre devoir…
Malko signa l’addition et se leva.
— Je vous accompagne ?
Elle le suivit sans mot dire. Devant la porte de sa chambre, elle l’embrassa longuement. Son bassin se frottait doucement contre lui et il eut du mal à tenir ses bonnes résolutions. Il s’en détacha pourtant et rentra. Il attendit un moment, ôta ses vêtements, passa un maillot et ressortit par la porte-fenêtre. Le jardin du Fisherman’s était désert. Malko le traversa et longea la plage jusqu’aux rochers, à droite de l’hôtel.
Il se mit à l’eau et commença à nager silencieusement vers le feu blanc du Koala.
Chapitre XVII
Le feu blanc du Koala se rapprochait. Grâce à la lune, la nuit était très claire. Malko aperçut une silhouette sur la plage arrière. Méfiant, il s’arrêta de nager et appela.
— Rhonda ?
— I am here, répondit aussitôt l’Australienne. Everything’s all right.
Elle l’observait, penchée sur le bastingage et l’aida à se hisser le long de la coque lisse. Elle lui tendit une serviette pour qu’il se sèche. Il faisait presque froid.
— Que s’est-il passé ?
— Oh, rien de grave, dit Malko, pour ne pas l’inquiéter. Cassan a essayé de me faire passer pour un voleur de bateau. Cela s’est arrangé. Mais je crains qu’il ne cherche à se venger sur toi. Je vais dormir ici, et j’ai de quoi nous défendre…
Il avait apporté le Stainless dans un sac de plastique accroché à sa ceinture.
— Nous fermerons la cabine à clef, dit Rhonda.
Ils pénétrèrent dans le carré. Installé sur le canapé, Malko expliqua à Rhonda l’histoire du ponton. Sans préciser bien entendu qu’il s’agissait d’une opération CIA.
— Tu connais l’Italien qui a le petit chantier naval ?
— Oui, répondit-elle. Il est en train de réparer un chalutier nord-coréen qui s’était échoué. Il est sérieux. Il a formé des Seychellois et il y a son fils. Ils pourront sûrement faire ce que tu attends d’eux.
Enfin une bonne nouvelle. Mais ce n’était qu’une partie du problème. Une fois les 560 fûts d’oxyde d’uranium sur le ponton, comment faire pour qu’ils échappent aux Israéliens et aux Irakiens aidés des barbouzes seychelloises ? Malko avait beau se creuser la tête, il n’en avait pas la moindre idée. Il lui restait quelques jours pour résoudre le problème.
— Allons dormir.
Le Koala était aussi immobile comme s’il avait été scellé au fond. Pas un pouce de vent et pas de houle. Lorsqu’il entra dans la petite cabine avant, Rhonda l’attendait, allongée sur la couchette de gauche, nue. Sa peau était presque aussi cuivrée que ses cheveux.
— Tu n’es pas trop fatigué ? demanda-t-elle timidement.
— Non, dit-il.
La peau tiède de la jeune Australienne lui sembla merveilleuse.
Elle l’enlaça et murmura à son oreille :
— I think I love you[21].
Un homme immobile au bord de la plage regardait le youyou s’approcher : le Derviche, perdu au milieu des touristes. Dès que Malko fut à portée de voix, il laissa tomber sèchement :
— Vous auriez dû me dire où vous alliez. Nous avons été très inquiets.
— Je ne vais tout de même pas vous tenir au courant de tous mes déplacements, dit Malko tandis que Rhonda hissait le youyou sur le sable. Vous n’êtes pas mon officier traitant.
Le soleil brillait, la plage était envahie de touristes qui ne pouvaient soupçonner ce qui se passait. Une chose inquiéta Malko : que le Derviche soit là au lieu de rechercher le Laconia B, cela signifiait qu’il était persuadé que Malko l’avait déjà trouvé… Il attendait que celui-ci récupère la cargaison pour la lui prendre sous le nez.
— Avez-vous des nouvelles des autres ? demanda Malko tandis qu’ils se dirigeaient vers le Fisherman’s Cove.
— Ils sont au Coral Sands, dit le Derviche. Ils n’ont pas bougé. Malko éprouva un picotement désagréable au creux de l’estomac. Son raisonnement était valable pour les Irakiens aussi. Grâce aux informations de Brownie Cassan, ceux-ci savaient que Rhonda avait été capable de le mener au sec. Donc au Laconia B. Il se fit l’impression d’être enfermé dans une cage avec des fauves prêts à le dévorer à la première imprudence. Malko et Rhonda s’installèrent sur les chaises longues en face de son bungalow.