Выбрать главу

— Il faut, comme vous dites en ingiliz, prendre tout cela très cool. (Il avait l’air de fixer à dessein Molly mais il finit par ôter ses lunettes réfléchissantes. Il avait des yeux bruns assortis à la teinte de ses cheveux à la coupe militaire. Il sourit.) C’est mieux ainsi, non ? Autrement, on rend le tunel infini, miroir dans un miroir… Vous en particulier, dit-il à Molly, vous devriez faire attention. En Turquie, on n’approuve pas les femmes qui arborent de telles modifications.

Molly mordit dans l’une des pâtisseries.

— Ça, c’est mon problème, toto, fit-elle, la bouche pleine. (Elle mâcha, déglutit et se lécha les lèvres.) J’te connais. T’as fait l’indic pour les militaires, pas vrai ?

Sa main glissa paresseusement dans l’entrebâillement du blouson de cuir et ressortit avec le flécheur. Case ignorait qu’elle le portait.

— Calme, calme, je vous en prie, dit Terzibachjian, son dé à coudre de porcelaine blanche figé à quelques centimètres de ses lèvres.

Elle brandit l’arme.

— Soit tu te prends les explosives, un paquet, soit tu te chopes un cancer. Une seule flèche, tête de nœud. Tu ne sentiras rien avant des mois…

— Je vous en prie. En ingiliz, vous appelleriez ça me faire un mauvais parti…

— Moi, j’appelle ça se lever du pied gauche. Et maintenant, tu me causes de ton type et tu tires ton cul d’ici.

Elle escamota son arme.

— Il vit à Fener, Küchük Gülhane Djaddesi 14. J’ai son itinéraire de tunel, de nuit jusqu’au bazar. Il exerce ces derniers temps au Yenishehir Palas Oteli, un établissement moderne dans le style turistik, mais il se trouve que la police a montré un certain intérêt pour ses prestations. La direction du Yenishehir est devenue nerveuse.

Il sourit. Il sentait un parfum métallique de lotion après-rasage.

— Je veux tout savoir sur les implants, dit-elle en se massant la cuisse. Je veux savoir exactement ce dont il est capable.

Terzibachjian opina.

— Le pire, c’est… comment dites-vous en ingiliz, les subliminaux.

Il découpa méticuleusement le terme en quatre syllabes.

— Sur notre gauche, dit la Mercedes en se frayant un passage dans un dédale de rues noyées de pluie, voici Kapali Carsi, le grand bazar.

À côté de Case, le Finnois émit un murmure appréciateur mais il regardait dans la mauvaise direction. Le côté droit de la rue n’était que succession de décharges en réduction. Case aperçut une carcasse de locomotive juchée sur des tronçons de colonnes de marbre cannelées maculées de rouille. Des statues de marbre décapitées s’entassaient comme des bûches.

— Mal du pays ? demanda Case.

— Coin puant, dit le Finnois.

Sa cravate de soie noire commençait à ressembler à un ruban de carbone usé. Les revers de son costume neuf étaient ornés de taches d’œuf et de sauce au kebab.

— Eh, Persil ! lança Case à l’Arménien assis derrière eux, où ce mec s’est-il fait installer son matos ?

— À Chiba. Il n’a plus de poumon gauche. Et l’autre est… suralimenté – c’est comme ça qu’on dit ? N’importe qui pourrait acheter ces implants, mais c’est lui le plus talentueux. (La Mercedes fit une embardée pour éviter un fardier à pneus ballons chargé de peaux.) Je le suis dans la rue et je vois une douzaine de cyclistes tomber près de lui, en l’espace d’une seule journée. Je retrouve le cycliste à l’hôpital, toujours la même histoire : un scorpion fixé à côté d’une poignée de frein.

— Ce qu’on voit, c’est ce qui sort[3], ouais, fit le Finnois. J’ai vu le schéma sur le silicone du mec. Très flashy. Ce qu’il imagine, tu le vois. Je suppose qu’il pourrait rétrécir le faisceau jusqu’à une impulsion et te frire une rétine comme de rien.

— Vous en avez parlé à votre amie ? (Terzibachjian se pencha entre les sièges baquets.) En Turquie, les femmes sont encore des femmes. Celle-ci…

Le Finnois renifla.

— Elle aurait vite fait de te faire porter tes couilles en sautoir si jamais tu t’avisais de lui loucher un peu trop dessus.

— Je ne saisis pas l’expression…

— Ça va, intervint Case. Ça veut dire : la ferme.

L’Arménien se renfonça dans sa banquette, laissant une senteur métallique d’après-rasage. Il se mit à chuchoter dans un émetteur-récepteur Sanyo une étrange macédoine de grec, de français et de turc parsemée de fragments épars d’anglais. Le récepteur lui répondit en français. La Mercedes négocia en douceur un coin de rue.

— Le bazar aux épices, parfois appelé le bazar égyptien, indiqua la voiture, fut édifié sur le site d’un bazar antérieur érigé par le sultan Hatice en 1660. C’est le marché central de la ville pour les épices, le logiciel, le parfum, la drogue…

— La drogue, dit Case en regardant les balais d’essuie-glaces passer et repasser sur le Lexan à l’épreuve des balles. Qu’est-ce que tu disais déjà, Persil, que ce Riviera était en train de se faire accrocher ?

— Un mélange de cocaïne et de mépéridine, oui.

L’Arménien revint à son dialogue avec le Sanyo.

— Du Démérol, comme on appelait ça, expliqua le Finnois. C’est le roi du speed. Tu fricotes avec de drôles de gens, Case.

— T’occupe, dit Case en remontant le col de son blouson. On pourra toujours filer à c’te pauvre andouille un pancréas neuf ou je ne sais quoi.

Une fois qu’ils eurent pénétré dans le bazar, l’humeur du Finnois s’améliora notablement, comme s’il était rassuré par la densité de la foule et le sentiment de claustration. Ils longèrent avec l’Arménien une large allée, abritée sous des feuilles de plastique maculées de suie tendues sur des charpentes en ferraille peinte en vert qui dataient de l’âge de la vapeur. Un millier de pubs suspendues s’y tortillaient en clignotant.

— Eh, bon Dieu ! fit le Finnois en prenant Case par le bras, vise un peu ça. (Il pointa le doigt.) C’est un cheval, mec. T’en as déjà vu ?

Case contempla l’animal naturalisé et hocha la tête. Il était présenté sur une espèce de piédestal, près de l’entrée d’une échoppe où l’on vendait des oiseaux et des singes. Les pattes de la créature étaient noircies et pelées par des décennies d’attouchements.

— J’en ai vu un une fois dans le Maryland, poursuivit le Finnois, et c’était trois bonnes années après la pandémie. Il y a encore des Arabes qui essaient de les recoder à partir de l’ADN mais ils se plantent tout le temps.

Les yeux de verre brun de l’animal semblaient les suivre au passage. Terzibachjian les conduisit dans un café près du cœur du marché, une salle basse de plafond qui donnait l’impression de n’avoir pas fermé depuis des siècles. Des garçons maigres en veste blanche tachée virevoltaient entre les tables bondées, portant en équilibre des plateaux d’acier avec des bouteilles de Turk-Tuborg et de minuscules verres de thé.

Case acheta un paquet de Yeheyuans à un vendeur près de la porte. L’Arménien marmottait dans son Sanyo.

— Venez, leur dit-il. Il arrive. Chaque nuit, il prend le tunel jusqu’au bazar, pour acheter à Ali sa mixture. Votre dame est tout près. Venez.

вернуться

3

«What you see is what you get» — ou écran «WYSIWYG»: les systèmes informatiques conviviaux récents autorisent l’affichage sur le moniteur d’une page-écran qui ressemble autant que possible au document que l’utilisateur obtiendrait s’il utilisait une imprimante graphique pour faire une copie d’écran (corps et polices de caractères, espacements, mise en pages, symboles, illustrations, incrustations, tableaux, etc.). (N.d.T.)