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Je n’ai pas le temps d’attacher ma philo à la sienne. La porte est poussée à la diantre foutre, si fort qu’elle pulvérise un sous-verre représentant un éléphant en train de chercher un slip assez vaste pour y loger sa trompe. Stromberg est là. Superbissimo. Tout de blanc vêtu : complet en toile, chemise de lin, chaussures de toile renforcées cuir. Juste son fameux revolver qui est noir. Et l’arme va droit à la vieille pour lui vaporiser deux quetsches dans les naseaux.

Martha interrompt là sa carrière laborieuse.

Moi qui venais de ramasser son feu, je tire sur la main du tueur. L’imminence du danger me confère une sorte de génie, bien plus efficace que celui de la Bastille, tout là-haut, ce trouduc. T’as jamais vu éclater une main ? Oui, je dis bien : éclater : vraouff ! Amenez les clichés : fruit mûr, coquille de noix, clavicule d’officier en retraite, tout bien, au choix. Je la vois se disloquer sous l’impact comme en un ralenti très décomposé. Des cartilages, des lambeaux de viande, des giclées de sang partant dans plusieurs directions. Le pistolet de Jan Stromberg est tombé. Fou de douleur, il n’a pas un geste pour le ramasser. Simplement, il se jette en arrière, et tant pis pour son beau costar immaculé. Près de lui, se tient Ali, le maître Jacques du père Gauguin-Dessort, armé d’une mitraillette qu’il a la prétention de braquer sur nous. La balle que je lui téléphone ruine son funeste projet. Il tombe à genoux et largue sa pétoire pour se comprimer la poitrine à l’intérieur de laquelle il se passe des choses nuisibles.

Cette question étant réglée, je me lance à la poursuite de Stromberg. Il a été mal inspiré de se loquer en Première communiante car sa silhouette blanche se repère fastoche. Bien entendu, les coups de tromblon ont alerté les autres locataires qui rappliquent en tenue nuiteuse. Ils se disent que c’est pas une crémerie banale, l’hôtel Sphinx ; les attractions y sont nombreuses et variées.

Béru tente d’endiguer leur flot grondant :

— Allons, allons, à la niche, m’ssieurs dames, circulez, y a rien à voir !

Rien à voir ? Tu parles !

CHAPITRE FRAISE[23]

Un orage et ma bite.

Qu’est-ce que je déconne, moi ! Je veux dire : une rage m’habite.

Froide, malgré la température. Implacable. Suppose qu’une bête nuisible vienne (Autriche) dévorer sous tes yeux toute une garderie de marmots ; hein, suppose ?

Tu n’aurais qu’une idée en tête : la détruire. Eh bien, c’est ce qui se passe présentement avec Stromberg. Tout mon individu, corps et esprit, se ligue en vue de sa destruction. Je me dis qu’il aurait fallu l’abattre sans sommation, à ma première rencontre. Nombre de vies humaines eussent ainsi été épargnées. Leur nombre, je te laisse le soin de le calculer, moi j’ai d’autres paragraphes à fouetter en cette fin d’ouvrage épique.

Alors je cours dans la nuit où bourdonnent, comme on dit puis dans les ouvrages de dames, des chants et des danses. Les rues, malgré l’heure tardive, sont encore pleines de monde. Malgré sa pogne scrafée, le tueur reste véloce. Il est vrai qu’il ne marche pas sur les mains. Ce gus, crois-moi ou bien va te faire mettre (mais tu iras de toute manière), a subi un fameux entraînement. L’art de s’enfuir, il l’a potassé aussi fort que celui de tuer. Il a une manière à lui de s’esbigner, profitant de tout ce qui s’offre : gens, ruelles, voitures, avec une prestesse diabolique.

Il cesse d’être là. Je force l’allure, explore, le réaperçois et fonce de nouveau, mais ma poursuite s’opère par saccades qui coupent le rythme et me font perdre un peu de terrain chaque fois, car lui agit sans marquer le plus léger temps mort. Alors ma rogne s’accroît davantage. Je me revois sur la plage de Copacabana, au Brésil, quand la barre m’entraînait au large. J’avais beau nager désespérément, au lieu de progresser, je reculais. En cet instant, je ressens un identique sentiment d’impuissance. Non, je ne veux pas lâcher prise. Je ne veux pas être semé.

Un couple de joyeux Noirs passent en riant dans le fracas de leurs vélomoteurs. Ne sachant plus où j’en suis, j’en ceinture un au passage, le propulse à dache, là qu’habite le fameux perruquier des zouaves, ramasse sa péteuse qui gronde au sol en tournicotant comme une folle.

Hop ! En selle ! Taïaut ! Taïaut ! Cette fois, c’est de l’exaltation que je ressens car je rattrape mon gibier.

Oui, oui, j’arrive. Me v’là.

Son sixième sens l’informe. Il se retourne, me voit débouler. Alors, il n’insiste pas et fonce à l’intérieur d’une maisonnette basse dans laquelle ça psalmodie en frappant des mains. Je l’y suis.

Figure-toi une grande pièce enfumée, chichement éclairée par une vieille ampoule crépite d’insectes morts. Une dizaine de Noirs sont là, assis au sol, sur des nattes : des hommes, des femmes, des enfants. Ils s’arrêtent de chantonner et de frapper dans leurs mains, sauf quelques tout petits qui ne pigent pas le changement d’atmosphère. Et ces gamins noirs continuant le rite créent une angoisse terrible.

Stromberg s’est placé derrière la première personne venue : une jeune fille d’ébène (cliché) belle comme la nuit (re-cliché).

Et moi je me tiens devant lui, à deux mètres. On se regarde. Il amorce un geste bref. Juste suffisant pour me permettre de voir qu’il tient un pointeau d’horloger de sa main valide.

La tension est générale, extrême, tout ça, le reste, plus encore !

C’est lui qui rompt le silence. Lui, l’horreur vivante. Lui, l’abject.

— Jetez votre revolver et disparaissez, sinon je massacre.

— Que vous touchiez à cette fille et je vous tue ! riposté-je.

Il a un ricanement. Toujours à l’abri de l’adolescente ; il esquisse un mouvement vif. Un hurlement retentit. Ce fumier, d’une rapide détente, a enfoncé le pointeau dans l’œil d’un vieux mec à cheveux blancs. Il l’en retire aussitôt.

— Jetez votre revolver, sinon je continue.

Le vieux râle, à la renverse. Son agonie déclenche des cris aussi perçants que le pointeau, aussi persans que ceux de l’Anatole comédie à qui une dame montrerait son frifri joli.

Stromberg est un fauve traqué. Ne pouvant utiliser sa main droite, il a saisi le col de la jeune fille avec ses dents pour l’obliger à se déplacer. Le voici près d’un gamin.

— Jetez ce revolver ou je tue le gosse ! Vite !

Qu’est-ce que tu ferais, toi ?

La même chose, non ?

Eh bien, moi aussi.

Je laisse tomber le revolver.

— Qu’espérez-vous ? lui fais-je avec une gravité qui m’honore de bas en haut. Vous sentez bien que vous ne pourrez plus aller encore loin dans la vie en massacrant vos semblables, comme on fauche de la luzerne.

— Poussez l’arme vers moi du bout du pied et fichez le camp ; vous avez de la chance que je ne la tienne pas en main !

De la chance ! Je pige sa manœuvre. Pour ramasser le feu, il devra se désunir un bref instant, et il craint que je le mette à profit. Alors il veut m’éloigner par sécurité, car c’est un vrai professionnel, je te le répète.

— Allons, vite ! s’emporte Stromberg.

Ce qui se développe alors échappe à mon entendement. Les réflexes ne sont pas racontables, puisqu’ils sont des réflexes. Analysables postérieurement, à la rigueur.

Attends, que vient-il de se passer ? Laisse que je décompose l’affaire, mon mec. Le revolver gît sur le plancher, très bien, merci. À un mètre virgule quéqu’chose du tueur. Je fais un pas en avant pour shooter léger dans sa crosse. Ce faisant, je me trouve à quatre-vingt-trois centimètres de la jeune fille qui lui sert de paravent et qu’il a lâchée pour pouvoir me causer puisqu’il la tenait avec les dents. J’avance mon pied droit en direction de l’arme. Stromberg ne me perd pas de l’œil. Un œil de faucon ou de vrai lynx. Acéré, comme on dit dans le tout à trois balles de la littérature. Son pointeau sanglant se trouve à la verticale de la tête frisée du bambin. Les assistants, fascinés, fous de trouille, se sont interrompus de glapir pour retenir leur souffle. Et moi, une force inconnue m’empare. Tout s’opère à mon insu. Qui a dit insu des pieds, dans la classe ? Quelle pauvreté !

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23

Dédié aux mignons d’Henri III qui la ramenaient.