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Or, donc, me voici en compagnie de deux personnes inconscientes, dont l’une à titre définitif. Sans perdre de temps, je ligote le chauve à poils ras avec les moyens du bord, comme chaque fois dans mes polars à la noix de cajou, que t’auras beau chercher parmi les douze mille que j’aurai écrits, pas un qui ne comporte un mec ligoté avec : des cordons de rideau, du fil électrique, des bretelles, des ceintures, du câble de vélo, des liens conjugaux, des attaches sentimentales, du fil à retordre, de la corde à piano, des courroies de transmission, des brides sur le cou et des bandes de cons. Mais chacun sa méthode, et pas tant de discours, comme le clamait Descartes avant d’être biseauté.

Ayant les mains libres et la poitrine haletante, je me mets à la recherche du fameux prisonnier évoqué naguère par Arabella et le prénommé Marcellin. Le logement souterrain n’est pas si vaste qu’il me faille chercher longtemps. Outre le salon que je viens de quitter, il comprend deux autres pièces aménagées en chambres. Dans la première, il n’y a personne. Mais la deuxième est occupée par un personnage de marque, ou du moins qui le fut temporairement. Sa Majesté, en personne ! Pas la mienne : Béru Premier, l’autre : Bok Dernier. Affalée sur un lit profond comme le tombeau de Léon Napo, elle est inconsciente, des bouteilles vides l’entourent et jonchent le plancher. Dans son sommeil, l’ex-grand tome appelle ses cousins de France qui, vu la distance, n’entendent pas.

Et comment Oreste l’entendrait-il, le bon Bok (dépanaché) avec le boucan qui se fait dans le mur ?

Des coups d’une violence pire qu’inouïe : inouise, font vibrer la pièce. De toute évidence, on s’en prend au mur de communication. Vitos, je vais récupérer l’arme dont s’est servie Arabella pour mettre fin à ses gracieux jours. Note que je pourrais m’esbigner : mais non, c’est pas le gendre de la Malmaison, comme dit le Mammouth.

Armé, attentif, j’attends. Les coups redoublent de violence. Tout vibre, tout tremble. Le fracas va briochant. Et puis enfin, vraaoumpflll ! deux bons mètres carrés de mur se déguisent en un demi-mètre cube de gravats. Dans la poussière de bombardement qui s’élève apparaît un homme. Un gros, un vrai ! Bérurier dans toute sa gloire, pioche en main, pareil à un héros de Germinal, la sueur au front, le faciès saupoudré comme un loukoum (ça fait deux fois dans ce book de chiasse que j’allusionne aux loukoums, raha de leur prénom, mais je compisse tes éventuelles remarques).

— Bon gu d’bois, j’sus t’arrivé à bon porc, à force d’à force, éructe l’Etrusque en époussetant ses frusques à gestes brusques. L’vieux a disparu, mais les gonzesses m’ont dise que s’lon elles, y avait un souterrain dans l’jardin car é z-entendaient du bruit.

— Comment te l’auraient-elles dit, aucune ne parle français ?

— Par gestes, mec ! Par gestes. Y a pas qu’avec des fleurs qu’on peut causer, y reste aussi la bite et les doigts, plus les espressions. Quand t’est-ce j’ai eu pigé, j’m’ai dégauchi un’ pioche et hardi p’tit !

Il tressaille :

— Mais, tézigue, comment t’es arrivé jusque-z-à-là ?

Je branle ce que tu sais et déclare :

— Oh ! moi, Gros, je suis moins courageux que toi, quand je vais en visite, je passe par la porte !

CHAPITRE SUPPLÉMENTAIRE[25]

Le bureau du Vieux.

Matinée finement ensoleillée. Sa calvitie a des teintes majestueuses. Tu croirais du Sisley, tellement que ça pointille serré.

Nous sommes tous réunis : Béru, Pinaud, Lady Meckouihl, Samantha, sans oublier moi-même.

Le Dabe n’a de z’œils que pour la jolie Britannouille. Il la couve du regard, la gobe de la glotte, trémousse, trémouille, fait des petits solos de mandoline avec le bout de la langue, tout ça, tout bien… Vieux marcheur, toujours le slip en goguette.

Il tripougne l’appareil noir que j’ai triomphalement déposé sur son bureau. Il redonde :

— Bravo à tous, belle victoire ! Alors, la genèse de tout cela, mon vieux lapin ?

Le vieux lapin étant moi-même, fils unique et de ce fait préféré de M’man Félicie, je remue le nose pour faire davantage ton rabbit à un goût.

— Eh bien, la genèse, monsieur le directeur, c’était l’ex-empereur. Le brave homme, avant son abdication à coups de pompes occultes, a planqué une quantité folle de diamants dans un coffre suisse, tout le monde s’en doutait plus ou moins. Il y en a pour des milliards d’anciens francs.

« Des gens plus astucieux que d’autres ont décidé de mettre la main sur le fabuleux magot. Mais un coffre suisse ne s’ouvre pas comme une tirelire japonaise. Dans le cas présent, Sa Majesté Scotch Ier n’a délivré aucune procuration, si bien qu’elle seule peut y accéder. Donc, pour pouvoir s’emparer des cailloux, la condition première est que le ci-devant (assis derrière) imperator soit présent dans la chambre forte de la Banque Helvétique. La bande décida donc, avant tout, de s’assurer de sa personne, mais avec un maximum de discrétion, sans que la chose soulève de vagues. Un sien cousin qui lui ressemble comme une blennoragie ressemble à une autre blennoragie, fut pressenti pour entrer dans le coup et accepta de prendre la place de Bok dans sa résidence de Sassédutrou.

Le Vieux m’écoute distraitement, faisant des « Voilà, voilà » entre mes fins de paragraphe pour donner à penser qu’il m’écoute, mais c’est le galbe des jambes de Samantha qu’il suit avec le plus d’attention. Un tricotin démesuré paraît dans ses prunelles polaires, Béru somnole, une main passée sous la jupe de Lady Meckouihl, enfin remise de ses ébats. Pinaud, quant à lui, se masse anxieusement le ventre. Des gargouillis menaçants, dont l’écho s’amplifie, annoncent qu’il a mal assimilé le foie gras d’Air Afrique, et que d’autres déculottades express se préparent.

Le Dabe tripote avec fièvre l’appareil qui, en fait, est à l’origine de cette époustouflante affaire, et que j’ai récupéré dans l’appartement souterrain du maître de l’École Antinomiste.

Comme Achille est de plus en plus perché sur sa bite, je me permets de l’interpeller :

— Vous me suivez, monsieur le directeur ?

Il regarde sa montre.

— Seize heures dix-sept, San-Antonio. Je crois qu’on tient le beau temps, hé ?

Il me court, ce vieux glandu ! Se crever l’oigne pour un pareil apôtre, fume, à la fin ! On lui vit des péripéties de première classe pendant qu’il se masse la rotonde à son burlingue, et quand on vient au rapport avec une historiette qui flanquerait la diarrhée verte à Ponson du Terrail soi-même, tout ce qu’il fait, c’est de se consacrer au prose d’une gonzesse !

— Peut-être préféreriez-vous que je vous racontasse la suite plus tard, seul à seul ?

Il renfrogne :

— Quelle idée ! Pas du tout, nous sommes entre amis, tous les protagonistes réunis, les conditions ne sauraient être meilleures.

— Où en étais-je ? perfidé-je, manière de tester son degré de distraction.

— Eh bien, heu… là où vous en êtes resté. Poursuivez, mon vieux, ne vous interrompez pas toujours, c’est agaçant, un chef a besoin d’être informé clairement. Vous m’avez habitué à mieux que cela. J’aime vos phrases courtes. La phrase courte, c’est la clé de voûte de l’éloquence. Aujourd’hui, vous vous égarez dans mille et une digressions. Pas convaincant, cela. Retrouvez-moi votre bonne vieille concision habituelle. D’accord ?

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25

Que je te dédie car s’il n’existait pas, tu jugerais l’histoire incomplète.