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DESDÉMONA. – De grâce, parlez-moi de Cassio.

OTHELLO. – Le mouchoir!

DESDÉMONA. – Un homme qui toute sa vie a fondé l’espoir de sa fortune sur votre amitié, qui partagea tous vos dangers.

OTHELLO. – Le mouchoir!

DESDÉMONA. – En vérité, vous méritez mes reproches.

OTHELLO. – Allez-vous-en! (Il sort.)

ÉMILIA. – Cet homme n’est-il pas jaloux?

DESDÉMONA. – Je n’avais encore rien vu de semblable! Sûrement il y a quelque charme dans ce mouchoir. Je suis bien malheureuse de l’avoir perdu!

ÉMILIA. – Ce n’est pas une année ou deux qui nous montrent le cœur d’un homme: d’abord ils sont comme affamés, et nous sommes leur proie; ils nous dévorent avec avidité; puis, quand ils sont rassasiés, ils nous repoussent. – Voyez! C’est Cassio et mon mari.

(Entrent Jago et Cassio.)

JAGO, à Cassio. – Il n’y a pas d’autre moyen: c’est elle qui peut l’obtenir. (Apercevant Desdémona.) Et voyez, le bonheur! Allez, pressez-la.

DESDÉMONA. – Qu’y a-t-il, bon Cassio? Quel nouveau sujet vous amène?

CASSIO. – Madame, toujours mon ancienne prière. Je vous en conjure, que par vos généreux secours je revienne à la vie et reprenne ma place dans l’amitié de celui que j’honore de tout l’hommage de mon cœur. Je ne voudrais pas essuyer tant de délais. Si mon offense est mortelle; si mes chagrins actuels, ni mes services passés, ni ceux que je me propose pour l’avenir ne peuvent racheter son amitié, en être instruit est du moins une grâce qui m’est due. Alors, je me revêtirai d’une satisfaction forcée, j’irai me jeter dans quelque autre route à la merci de la fortune.

DESDÉMONA. – Hélas! trop honnête Cassio, mes sollicitations ne sont pas maintenant à l’unisson de son âme. Mon seigneur n’est plus mon seigneur! Et je ne le reconnaîtrais pas si ses traits étaient aussi changés que son humeur. Que tous les saints esprits du ciel me soient propices, comme il est vrai que j’ai parlé pour vous de mon mieux, et que je suis restée en butte à son déplaisir pour m’être expliquée librement! Il vous faut patienter quelque temps: ce que je puis, je le ferai; et je tenterai pour vous plus que je n’oserais pour moi-même. Que cela vous suffise.

JAGO. – Mon seigneur est-il en colère?

ÉMILIA. – Il vient de sortir, et certes dans une étrange agitation.

JAGO. – Peut-il être en colère? J’ai vu le canon faire voler en l’air les files de ses soldats, et, comme le diable lui-même, venir emporter son frère jusque dans ses bras… Et il serait en colère! Il faut quelque chose de bien grave… Je vais aller le trouver. La chose doit être bien grave, s’il est en colère.

DESDÉMONA. – Je t’en prie, vas-y. – (Jago sort.) Sûrement quelque nouvelle importante arrivée de Venise, ou quelque complot tramé sourdement dans Chypre, et dont il aura découvert le secret, aura troublé la paix de son âme; et dans de tels cas l’humeur des hommes s’en prend à de petites choses, bien que ce soient les grandes qui les occupent: voilà comme nous sommes; que nous ayons mal à un doigt, le sentiment de la douleur se répand dans tous nos autres membres qui se portent bien; car enfin nous devons penser que les hommes ne sont pas des dieux. Nous ne devons pas toujours nous attendre, de leur part, à ces soins qui conviennent au jour des noces. Gronde-moi, Émilia; juge injuste que j’étais, je l’accusais dans mon âme de dureté, mais je reconnais maintenant que le témoin était suborné, et qu’il était faussement accusé.

ÉMILIA. – Je prie le ciel que ce soit, comme vous le croyez, quelque affaire d’État, et non aucune idée, aucun soupçon de jalousie, qui l’aigrisse contre vous.

DESDÉMONA. – Hélas! le malheureux jour! – Jamais je ne lui en donnai sujet.

ÉMILIA. – Mais les cœurs jaloux ne se satisfont pas de cette réponse: ils ne sont pas toujours jaloux pour quelque raison; mais ils sont toujours jaloux, parce qu’ils sont jaloux. La jalousie est un monstre qui s’engendre lui-même, et qui naît de lui-même.

DESDÉMONA. – Que le ciel écarte ce monstre du cœur d’Othello!

ÉMILIA. – Amen, madame!

DESDÉMONA. – Je veux l’aller chercher. Cassio, promenez-vous par ici. Si je le trouve disposé, je lui rappellerai votre demande, et je ferai tout ce que je pourrai pour en obtenir le succès.

CASSIO. – Je remercie humblement Votre Seigneurie.

(Desdémona et Émilia sortent.)

(Entre Bianca.)

BIANCA. – Ah! Dieu vous garde, cher Cassio!

CASSIO. – Qui est-ce qui vous fait sortir de chez vous? Comment vous portez-vous, ma belle Bianca? D’honneur, ma douce amie, j’allais de ce pas chez vous.

BIANCA. – Et moi j’allais chez vous, Cassio. Comment! me fuir une semaine entière, sept jours et sept nuits, huit fois vingt heures! Et les heures de l’absence des amants sont cent fois plus lentes que les heures du cadran. Oh! triste calcul!

CASSIO. – Excusez-moi, Bianca; tout ce temps j’ai été oppressé de pensées accablantes; mais avec moins d’interruptions j’effacerai le souvenir de cette longue suite d’absences. Chère Bianca (il tire de sa poche le mouchoir de Desdémona et le lui présente), copiez-moi ce dessin.

BIANCA. – Oh! Cassio, d’où vient ceci? C’est le don de quelque nouvelle amie? Ah! je devine la cause d’une absence que j’ai trop sentie. En êtes-vous là? Bien, bien!

CASSIO. – Allez, femme, rejetez vos vils soupçons dans la gueule du diable où vous les avez pris. Vous êtes jalouse, maintenant? Vous croyez que ceci vient de quelque maîtresse, que c’est un souvenir? Non, en bonne foi, Bianca.

BIANCA. – Eh bien! à qui appartient-il?

CASSIO. – Je n’en sais rien encore, ma chère. Je l’ai trouvé dans ma chambre; le travail m’en plaît fort: avant qu’on le redemande, comme cela arrivera probablement, je voudrais en avoir le dessin: prenez-le, copiez-le, et laissez-moi pour le moment.

BIANCA. – Vous laisser, et pourquoi?

CASSIO. – J’attends ici le général, et je n’ai pas envie, car ce ne serait pas une recommandation pour moi, qu’il me trouve accosté d’une femme.

BIANCA. – Et pourquoi, s’il vous plaît?

CASSIO. – Ce n’est pas que je ne vous aime.

BIANCA. – Non, non, vous ne m’aimez point: je vous prie, du moins reconduisez-moi quelques pas; et dites si je vous verrai de bonne heure ce soir?

CASSIO. – Je ne puis vous accompagner bien loin, car c’est ici même que j’attends; mais je vous verrai de bonne heure.

BIANCA. – C’est bon, bon. Il faut bien que je me plie aux circonstances.

(Ils sortent.)

FIN DU TROISIÈME ACTE.

ACTE QUATRIÈME

SCÈNE I

Devant le château.

Entrent OTHELLO et JAGO

JAGO. – Voulez-vous vous arrêter à cette pensée?

OTHELLO. – À cette pensée, Jago.

JAGO. – Quoi, donner en secret un baiser!

OTHELLO. – Un baiser que rien ne légitime!

JAGO. – Ou s’enfermer seule avec un amant, dans la nuit [17], une heure ou deux, sans aucun mauvais dessein!